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Les Grecs du côté obscur
Pierre Vidal-Naquet   Le Chasseur noir - Formes de pensée et formes de société dans le monde grec
La Découverte - Poche 2005 /  13.50 € - 88.43 ffr. / 485 pages
ISBN : 2-7071-4500-9
FORMAT : 13x19 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes d’Hésiode) et d’un DEA de Sciences des Religions à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia, il est actuellement professeur d’histoire-géographie.
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Après les deux tomes de Mythe et tragédie en Grèce ancienne écrits en collaboration avec Jean-Pierre Vernant, les éditions de la Découverte ont eu la bonne (mais tardive !) idée de rééditer dans une collection de poche le grand classique de Pierre Vidal-Naquet, Le Chasseur noir.

Cet ouvrage majeur avait été publié en 1981 aux éditions François Maspéro, puis en 1991 à La Découverte. Cette troisième édition comporte un certain nombre de corrections matérielles et un tout petit nombre de corrections de fond. Il fera en tout cas la joie des étudiants hellénistes qui pourront acquérir pour une somme modique ce livre de référence, qui a contribué à donner sa légitimité aux analyses structurales et anthropologiques de l’«incomparable» civilisation grecque.

Ce livre correspond à un recueil de plusieurs articles de l’auteur, qui ont été remaniés afin de former un tout cohérent. Tous les thèmes d’études de Pierre Vidal-Naquet n’y sont pas évoqués (l’histoire économique et sociale du monde grec, l’histoire institutionnelle, l’histoire du monde juif et de ses contacts avec l’hellénisme pendant les périodes hellénistique et romaine, l’histoire de l’histoire, l’historiographie du monde grec dans la pensée occidentale et les recherches sur la tragédie ne sont pas des questions abordées dans ce volume et ont donné lieu à d’autres écrits), même si l’écriture des différents chapitres s’est étalée de 1957 à 1980. Œuvre de longue haleine et finement ciselée, comme le chef-d’œuvre d’un maître artisan de corporation médiévale…

L’auteur a choisi comme titre du livre celui d’une étude qui a marqué pour lui une étape capitale : la découverte de l’analyse structurale comme méthode d’analyse. De plus, le chasseur noir se meut dans la montagne et dans la forêt (l’africaniste dirait dans la brousse…), et c’est par de telles marges, de telles frontières (en grec, les eschatiai) que Pierre Vidal-Naquet aborde la Cité grecque. Le sous-titre renvoie au lien qu’il a tenté d’établir entre les formes de pensée (notamment mythiques, mais aussi philosophiques et historiques) et les formes de société, c’est-à-dire des pratiques sociales telles que la guerre, l’esclavage ou les institutions juvéniles ; d’un coté, l’imaginaire ; de l’autre le monde très concret des rites, des décisions politiques ou du travail, dont il s’agit de montrer qu’ils ont aussi une dimension imaginaire. Son analyse structurale ne se contente donc pas de mettre en série les mythes et de les faire se réfléchir en faisant jouer leurs articulations logiques. Il s’agit d’y lier l’histoire institutionnelle, sociale et économique. Comme l’auteur le dit lui-même dans l’avant-propos, «un texte existe non seulement à travers son environnement textuel, politique, social, institutionnel, mais aussi dans et par la tradition qui nous l’a légué, à travers les manuscrits, les travaux des philologues, des exégètes de toute sorte, des historiens» (p.15). Cependant, l’articulation du social et de l’imaginaire ne laisse pas forcément apparaître la clarté, mais plutôt l’opaque, les contradictions, les marges et les frontières.

L’introduction, version abrégée d’un texte paru dans l’Encyclopaedia Universalis (t.VII, 1970, pp.1009-1018), s’efforce de définir le «discours grec» comme une table des oppositions : le cultivé et le sauvage, le maître et l’esclave, l’homme et la femme, le citoyen et l’étranger, l’adulte et l’enfant, le guerrier et l’artisan… On est bien dans l’héritage structuraliste de Claude Lévi-Strauss, appliqué aux Grecs, même si la diachronie y prend plus de place que chez le théoricien de l’opposition entre les «sociétés froides» et les «sociétés chaudes».

Viennent ensuite trois études sur «L’espace et le temps». L’espace tel que le donne à voir l’Odyssée joue sur l’opposition du réel et de l’imaginaire, des dieux, des monstres et des hommes, du sacrifice et de la barbarie. L’essai sur «Epaminondas pythagoricien», écrit en collaboration avec Pierre Lévêque et abordant les problèmes des représentations de la droite et de la gauche autant dans la tactique guerrière que dans la philosophie, n’a pas été transformé par rapport à sa première publication en 1960, mais muni d’un appendice. Une autre étude aborde les différences entre «temps des dieux et temps des hommes».

La deuxième partie, «Les jeunes, les guerriers» analyse la façon dont se situent l’un par rapport à l’autre l’hoplite, modèle du citoyen-soldat, et celui qui est destiné à l’être (mais ne l’est pas encore…) : l’éphèbe, le jeune homme qui doit expérimenter la sauvagerie des confins avant d’être intégré dans le monde civique : le «chasseur noir» qui donne son titre au livre. Pierre Vidal-Naquet dégage ainsi dans l’éphébie athénienne une strate archaïque qui renvoie aux initiations et aux rites de passage à l’âge adulte pour les garçons, afin de les transformer en ce que Maurice Godelier, spécialiste des plus exotiques Baruya de Nouvelle-Guinée, a appelé les «grands hommes».

Dans la troisième partie, «Les femmes, les esclaves, les artisans», l’auteur s’intéresse à ceux qui sont situés sur les marges de la cité car non-citoyens. Là aussi, la cité concrète et la cité des représentations sont étudiées, notamment à travers la tradition rituelle et quelque peu obscure des «esclaves immortelles d’Athéna Ilias» devant expier le viol mythique de Cassandre par Ajax, ou encore la liaison entre «esclavage et gynécocratie dans la tradition, le mythe, l’utopie», sans parler de la place ambiguë des artisans dans la cité idéale platonicienne des Lois.

Dans la dernière partie, «La cité pensée, vécue», il est question de la raison, de Platon, de Phidias et de Delphes. Les mythes platoniciens nous proposent deux versions du conte des deux cités : Athènes et l’Atlantide dans le Timée et le Critias ; l’âge de Cronos et l’âge de Zeus dans le Politique. Depuis Delphes, nous voyons Athènes autrement, et notamment depuis cette base singulière que Phidias orna de sculptures, en l’honneur de Marathon, et qui présente une figure différente de celles que la cité donne ordinairement d’elle-même. C’est sur ce paysage pythique du lumineux pays du blond Apollon que Pierre Vidal-Naquet a voulu clore son livre. Comme un retour à la lumière après les méandres obscurs de l’initiation de l’éphèbe…


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 22/04/2005 )
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