| Roland Hureaux Jésus et Marie-Madeleine Perrin - Tempus 2006 / 7 € - 45.85 ffr. / 170 pages ISBN : 2-262-02449-9 FORMAT : 11x18 cm
Première publication en mai 2005 (Perrin).
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Roland Hureaux est normalien, agrégé dhistoire, et membre du comité de rédaction de la revue Commentaires. Il est plutôt connu pour des essais de réflexion sur la société française, que comme spécialiste des religions. Il ne tient dailleurs nullement à faire uvre de théologien, mais sil publie aujourdhui ce bref texte sur Jésus et Marie-Madeleine, cest quon le sent exaspéré par le succès de da Vinci code, quil sabstient même de nommer, se bornant à lallusion lapidaire à «un récent succès de librairie». Il reprend donc ce que lon sait de Marie Madeleine, de ses rapports avec Jésus, et analyse sa place dans les Evangiles, entre le groupe des saintes femmes et celui des apôtres. Il choisit de s'adresser à un vaste public, à qui il propose une synthèse intelligente et fondée sur des sources citées, sur un ton volontiers polémique (en particulier dans les dernières pages).
A le suivre, reprenant les textes et la tradition, on mesure à quel point sest opérée au fil des siècles la construction dun personnage souvent éloigné des premiers textes. Marie Madeleine a été abondamment utilisée par liconographie occidentale : pécheresse repentie, aux longs cheveux blonds, inondant de parfum les pieds du Christ. Se replonger dans les Ecritures incite à découvrir une réalité plus complexe. En premier lieu, parce que les Evangiles sont moins bavards que lon ne limagine volontiers, du moins les textes canoniques (cest-à-dire ceux que lEglise a reconnus dès les premiers siècles et qui sont les plus anciens), et les allusions à Marie Madeleine sont assez minces. Toutefois, si minces soient elles, elles font apparaître trois femmes dans lentourage de Jésus, en qui on peut reconnaître Marie Madeleine : la pécheresse anonyme qui se jette aux pieds de Jésus lors du repas offert par Simon (et la scène du parfum répandu), Marie, sur de Marthe et de Lazare, qui écoute la parole aux pieds de Jésus tandis que Marthe saffaire, et Marie de Magdala, expressément nommée, qui est au pied de la Croix, et à qui Jésus ressuscité choisit dapparaître en premier, avant de se manifester aux apôtres.
Aussi, dès les premiers siècles, la question sest posée, et si saint Augustin, évêque dHippone, voit une seule et même personne en ces trois figures, sa lecture nest pas partagée par tous les auteurs. Deux traditions sopposent ainsi : celle de lEglise catholique latine qui ne voit quune seule femme à la différence de lEglise orthodoxe qui maintient trois personnages, choix qui est aussi souvent celui des protestants. Au XXe siècle, la discussion se poursuit et des exégètes catholiques (comme le père M.-J. Lagrange) préfèrent également la solution de trois femmes différentes.
Cependant le débat autour de Marie Madeleine ne se borne pas à cela. Il s'agit de savoir qui était en fait le personnage historique, si lon suit la tradition dune seule femme : une pécheresse, cest-à-dire une prostituée ? Roland Hureaux voit plutôt en elle une juive hellénisée, lidée de péché étant alors davantage à analyser dans la rupture avec le foyer juif et ses croyances, que dans ses murs. Quelle est la place des femmes dans lEvangile, autour de Jésus, des «saintes femmes», Marie et ses proches, mais aussi de la Samaritaine ou de la femme adultère, de ces réprouvées à qui Jésus choisit dadresser sa parole ? Enfin on peut établir un parallèle entre Marie, la mère qui a donné la vie, et Madeleine qui, par lonction quelle réalise sur la tête du Christ, annonce en quelque sorte la mort dans un rite funéraire.
Le dernier point est celui des relations entre Jésus et Madeleine ; cest celui qui a fait le plus fantasmer ! Roland Hureaux rappelle que la relation privilégiée qui semble sêtre établie, et qui se manifeste par le privilège de la première apparition du ressuscité, fut toujours objet sinon de scandale du moins de questions dans le monde chrétien et ce dès le Moyen Age. Quant à lui, il en tient pour une relation forte et chaste ; cest cette idée qui est dailleurs illustrée par la couverture du livre. Cette relation contribuant à enraciner davantage encore Jésus dans lhumanité, à la fois par louverture aux femmes, et par le droit à la prédilection dans son entourage. Il convoque à lappui de sa thèse dautres exemples : Héloïse et Abélard (qui ne sont pas le meilleur exemple dune relation chaste...), François dAssise et Claire, et
Jean Paul II et mère Térésa! MarieMadeleine est en quelque sorte le pendant féminin de Jean, «le disciple que Jésus aimait». Pour l'auteur, la force et l'originalité du personnage de Marie-Madeleine résident bien dans cette relation unique, fondée sur la foi qui renouvelle toute lecture des relations humaines ("Le secret de Marie de Béthanie est que, au centre de tout est la relation de personne à personne. Mieux que les apôtres, mieux que les disciples, elle a percé ce secret là. Peut être parce qu'elle avait été pécheresse. Sans doute aussi, nous l'avons dit, parce qu'elle était femme").
Les dernières pages relatent de façon expéditive lhistoire de Marie-Madeleine depuis les premiers siècles, son installation en France après larrivée en Provence, linstallation à Vézelay, et sa légende. Le lecteur peut choisir d'énumérer souvenirs et associations autour de Madeleine : les larmes, le gâteau proustien
Lauteur, lui, insiste sur lhéritage de Marie de Magdala : signe de foi simple, découte, de féminité acceptée, augmentée dune part de mystère.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 14/04/2006 ) Imprimer
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