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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Maurice Sartre Histoires grecques Seuil - L'univers historique 2006 / 24 € - 157.2 ffr. / 458 pages ISBN : 2-02-037209-6 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement élève conservateur à lEcole Nationale Supérieure des Sciences de lInformation et des Bibliothèques. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Maurice Sartre, professeur dhistoire ancienne à lUniversité François-Rabelais de Tours et membre de lInstitut Universitaire de France, a publié plusieurs ouvrages sur lhistoire de la Méditerranée orientale aux époques hellénistique et impériale, depuis sa thèse sur la ville de Bostra, des origines à lIslam (publiée en 1985 à la Librairie orientaliste Paul Geuthner). Auteur douvrages remarqués sur lAnatolie ou la Syrie antiques (dont la monumentale synthèse DAlexandre à Zénobie, Fayard, 2001, 2e éd. 2003), il a également consacré de nombreuses études érudites aux inscriptions grecques et latines de Syrie et de Jordanie. Il est aussi lauteur de nombreux articles de vulgarisation dans la revue LHistoire, dont il fait partie du comité de rédaction.
Dans son nouveau livre, lhistorien puise avec une subjectivité assumée dans les matériaux épars laissés par les Grecs et leurs émules de la Sicile au Soudan, de lAttique à lAsie centrale, en passant par lArabie ou lAsie Mineure. Il brosse quarante-trois séquences qui abordent la plupart des aspects majeurs de la civilisation grecque, sans négliger les marges de cet oïkoumène hellène. Cet intérêt pour les marges et les zones limitrophes de contact entre Grecs et Barbares date peut-être de son premier travail de recherche sur les eschatiai (frontières), réalisé sous la direction de Pierre Vidal-Naquet. Lauteur avoue en tout cas sans ambages quil nourrit plus une fascination pour la périphérie du monde grec que pour son centre, même si son métier denseignant le ramène plus souvent vers ce dernier.
Plutôt quune grande synthèse sur la civilisation grecque peut-être irréalisable, ou du moins forcément partielle Maurice Sartre sen tient plus modestement «à des fragments, à des éclats dispersés dans le temps et dans lespace» (p.15). Cela tient en grande partie à la méthode, car lauteur, en historien averti, part de documents, parfois anecdotiques, en essayant den montrer la portée. Il a pour ambition de mettre sous les yeux du lecteur le travail et les méthodes de lhistorien, en montrant comment un document peut se révéler riche denseignements si lon sait linterroger, le mettre en série, le rapprocher dautres qui peuvent léclairer. Il avoue la volonté pédagogique de louvrage pour les étudiants en histoire, le livre ayant le mérite de leur proposer des modèles de commentaire de documents, sans oublier de précieuses cartes pour localiser tous les sites mentionnés, ainsi quun glossaire. Mais luvre nest pas destinée quà un public universitaire, et lindividu cultivé et simplement curieux dhistoire saura y trouver son compte, dautant plus que lappareil érudit de notes, limité, ne saurait lassommer. Certains documents sont bien connus, mais dautres découverts parfois très récemment sont quasi inédits, nayant fait lobjet que de publications diffusées auprès des seuls spécialistes.
Les quarante-trois chapitres (ou «séquences») ont été classés dans un ordre chronologique approximatif. Le livre commence avec un texte de Plutarque tiré de la Vie de Thésée, roi légendaire dAthènes, qui réunit les habitants de lAttique pour fonder une cité. Bien que ce récit nillustre en rien la manière dont sest historiquement constituée Athènes, il nous éclaire sur les représentations qu'en avaient les Athéniens. Suit un développement sur les origines de la polis grecque, concept que lon traduit banalement en français par «cité-Etat». La deuxième séquence, à travers un document épigraphique concernant la fondation de Cyrène par des Théréens, sintéresse au phénomène de la colonisation archaïque. La troisième séquence présente des documents numismatiques et évoque donc tout logiquement les origines de la monnaie, inventée semble-t-il en Lydie mais popularisée par les Grecs. Plus originale, la quatrième séquence concerne des graffitis en grec sur la jambe dune statue de Ramsès II à Abou Simbel, et permet denvisager la situation des mercenaires et des marchands grecs dans lEgypte pharaonique.
Plusieurs documents contribuent à une meilleure compréhension du système démocratique athénien, quil sagisse dun texte dHérodote sur Clisthène (fondateur de la démocratie, qui nen était pas moins le petit-fils homonyme du tyran de Sicyone, et qui avait été archonte sous la tyrannie pisistratide) ou de tessons dostracisme montrant les progrès de la démocratie après le guerres médiques. Maurice Sartre rappelle au reste que le modèle de la cité ne séteint pas à la période hellénistique, non plus quà lépoque impériale. Certaines communautés indigènes acquièrent même ce statut tardivement, comme Toraion, en Phrygie, dans la première moitié du IIe siècle av. J.-C.
La place des femmes exclues du champ politique est évoquée dabord dans la prière dHippolyte à Zeus chez Euripide (on aurait pu tout aussi bien prendre les deux versions du mythe de Pandore chez Hésiode, qui manifestent bien plus tôt la même misogynie). Mais leur (relative) promotion à lépoque hellénistique (puis impériale) nest pas oubliée, à travers lexemple des décrets en lhonneur de lévergète Archippè de Kymè au IIe siècle av. J.-C. Dautres documents sont utiles à létude des relations entre Grecs et Juifs : papyrus évoquant les cadeaux du riche et puissant Toubias de Transjordanie au roi lagide ; texte des Maccabées vilipendant «limpie» grand-prêtre Jason, qui semble avoir voulu transformer Jérusalem en polis ; texte de Philon évoquant les relations très conflictuelles des Juifs et des Grecs à Alexandrie dEgypte ; extrait de la Mishna (IIe siècle apr. J.-C.) autorisant la fréquentation des thermes, même si lon y trouve des statues de divinités
On ne saurait résumer ici toutes les séquences, qui permettent daborder aussi la vie économique et sociale (commerce, esclavage, place des étrangers, éducation des jeunes
), la vie religieuse (place des devins et des oracles ; culte des souverains ; adoption de divinités grecques par les indigènes, ou au contraire conservation de leurs cultes ancestraux sous un simple vernis hellène
), le dynamisme de lhellénisme sous lEmpire romain en Orient, ou encore les relations entre hellénisme et christianisme. La dernière séquence se clôt avec la mort dHypatie, mathématicienne et philosophe néo-platonicienne alexandrine massacrée par des chrétiens fanatiques. Dès le XVIIIe siècle, les modernes y ont vu une martyre païenne, mais Maurice Sartre montre que sa mort a des raisons plus politiques que religieuses : «le meurtre dHypatie apparaît, pour lessentiel, comme la conséquence dun conflit entre chrétiens, entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel» (p.444). De plus, Hypatie nétait pas hostile aux Chrétiens. Certains de ses disciples Synésios de Cyrène et Kyros de Panopolis devinrent même évêques. Avec elle disparaît une femme exceptionnelle, mais ce nest pas pour autant comme on la souvent écrit la fin de la culture grecque antique et du paganisme.
Dans sa postface, Maurice Sartre confesse quil y aurait encore beaucoup à dire, et quil a quelque peu privilégié les marges orientales ou méridionales du monde grec, au détriment de lOccident (il avoue même nêtre jamais allé à Marseille). Il faut dire, à sa décharge, que le sujet est fort vaste, pour ne pas dire inépuisable. En effet, pendant près de mille ans, la culture grecque a été considérée dans le monde méditerranéen (et parfois bien au-delà, jusquà Aï Khanoum dans lactuel Afghanistan par exemple), comme la culture de référence, celle quil fallait acquérir pour paraître moderne. Ce que nous livre donc Maurice Sartre, ce sont en quelque sorte les témoignages dune première forme de mondialisation à léchelle de loïkoumène
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 12/05/2006 ) Imprimer | | |
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