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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Le charme obscur des sagesses anciennes | | | Christian Jacq Les Grands sages de l'Egypte ancienne Perrin - Tempus 2009 / 7.50 € - 49.13 ffr. / 256 pages ISBN : 978-2-262-03046-9 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en février 2007 (Perrin).
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de lInstitut dEtudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez LHarmattan, de Individualité et subjectivité chez Nietzsche (2004). Imprimer
La sagesse égyptienne a fasciné le monde antique jusquà lépoque romaine, puis à son tour lEurope moderne cultivée est tombée sous son charme après le déchiffrage des hiéroglyphes. Christian Jacq, passionné dégyptologie, et romancier à succès, entreprend une visite de deux mille ans dhistoire égyptienne à travers une galerie de portraits des principaux auteurs de traités et de maximes qui, tour à tour, créèrent et enrichirent lidéologie pharaonique de leur temps.
Louvrage, rempli dérudition, traverse les règnes, les dynasties, les décennies, les siècles, comme dans un voyage onirique. Les noms obscurs sont égrainés : Imhotep, Méresânkh, Ipou-Our, Khêty. Tous sortis des abîmes de loubli, et parés par lauteur de qualificatifs hyperboliques : «extraordinaire», «exceptionnel», «hors du commun». De page en page, on sabandonne à la torpeur des songes. LEgypte du pharaon Djéser (autour de 2650 av.JC) est nécessairement «sereine et puissante», et, même si Christian Jacq admet que nous ne disposons daucun document à ce sujet, Ramsès II (autour de 1 250 av. JC) offre «au Proche-Orient de belles années de tranquillité et prospérité». Moses Finley qui déjà regrettait ne pas disposer dassez déléments sur la Rome de Caton pour savoir sil fallait déduire du silence des textes lexistence dune paix sociale se retournerait dans sa tombe
Sous la plume de Jacq, lidée même dune distance entre lidéologie du pouvoir (par définition lénifiante) et la réalité du monde décrit est délibérément abolie. De même est abolie lhistoire : Christian Jacq, adhérant au système de contrainte qui obligeait les scribes au plus parfait conservatisme dans lart de lécriture tout comme dans le message délivré, semble dévoiler toujours la même sagesse, celle qui existe de tous temps, et qui vaut pour toutes les époques. La méthode donne des résultats étranges : ainsi par exemple on décrit lenseignement de Ptahhotep comme sil avait vraiment été celui dun vizir du XXIVe siècle avant notre ère
alors que les historiens soulignent habituellement que ces textes furent compilés, et peut-être même composés, près de trois cents ans après sa mort en une époque troublée de morcellement du pouvoir, où les rituels monarchiques se démocratisent et où émerge une forme de conscience morale individuelle au regard du jugement dans lau-delà. Un peu comme si lon prétendait connaître les convictions profondes de Moïse, en omettant que tout ce que nous savons sur son compte ne fut écrit que six siècles après lexistence supposée du prophète (cf. Finkelstein et Silberman)
Plutôt que de rester rivé à une sagesse de limmobilité, on aurait aimé que lauteur noublie pas la philosophie héraclitéenne de Montaigne : «Le monde n'est qu'une branloire pérenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides dEgypte». A maints égards la rêverie de Christian Jacq semble relever dun catalogue des mythologies à la Roland Barthes, qui dévoile surtout les fantasmes de notre temps ou dun certain milieu intellectuel pétri désotérisme - sur une Egypte inaccessible, paradis perdu immobile aux eaux duquel nous devrions nous «ressourcer». Il y aurait une sociologie à faire des ouvrages de Christian Jacq, du message subliminal que peuvent nous délivrer ses attaques contre notre monde moderne «dindividualistes forcenés» ou sa vision des guerres sanglantes de Sésostris en Nubie qui ne lui attirèrent, selon lui, «aucune haine, bien au contraire !».
Plutôt que ses extases répétitives et monotones devant des maximes un peu creuses ou des symboles sortis de leur contexte, on eût préféré une réflexion rigoureuse sur la contribution dune pensée de léternité à la prise de conscience des possibilités éthiques individuelles, une mise en perspective anthropologique de la singularité égyptienne par rapport à ses voisins proche-orientaux et africains, une analyse politique des évolutions du discours monarchique sur deux millénaires.
On découvrira néanmoins dans ce livre quelques anecdotes suggestives sur limage du vizir ou sur le pouvoir des reines, qui donnent envie den savoir plus. Les inconditionnels des romans de Christian Jacq retrouveront sans doute avec plaisir un univers qui leur est familier et, qui, quel quen soit le degré de réalité, fournit matière à évasion.
Christophe Colera ( Mis en ligne le 09/06/2009 ) Imprimer
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