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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Paul : une théologie de l’accomplissement | | | Odile Flichy La Figure de Paul dans les Actes des Apôtres - Un phénomène de réception de la tradition paulinienne à la fin du premier siècle Cerf - Lectio Divina 2007 / 38 € - 248.9 ffr. / 363 pages ISBN : 978-2-204-08244-0 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Les éditions Cerf, spécialisées dans la spiritualité chrétienne, publient dans leur collection «Lectio divina», le travail dOdile Flichy, docteur en théologie, professeur associé au centre de Sèvres, qui pour cette thèse, a reçu un prix de la faculté de théologie de Lausanne.
Il sagit dun ouvrage scientifique, avec notes de bas de page, annexes et bibliographie. Le texte est érudit, et demblée sadresse à un lecteur averti. Lobjet est de déterminer les modalités de la construction du personnage de Paul dans les Actes des Apôtres, écrits par Luc au Ier siècle de notre ère. Odile Flichy organise son propos en un Etat de la recherche et de l'objet scientifique (définir un nouveau paradigme), et présente ensuite deux parties : «Paul, le juif converti» ; «Paul, missionnaire des juifs et des païens».
Sinterroger sur la figure de Paul (Paul de Tarse avant la conversion du chemin de Damas) na rien de nouveau dans le christianisme, et la question sest posée dès les débuts de lexégèse critique. Odile Flichy dresse un tableau clair et précis de lhistoire de la recherche sur les Actes. Depuis des siècles, on considère volontiers que le Paul présenté par Luc est somme toute «trop beau pour être vrai», et l'on accorde davantage de crédibilité au Paul des Lettres. Le propos dOdile Flichy est de montrer que la construction de Luc nest pas aussi éloignée de la vérité historique quon a bien voulu le dire. Elle choisit de sintéresser au milieu de lecteurs auquel est destiné le texte de Luc : pour elle, une élite urbaine, hellénisée.
Elle appuie sa thèse en se fondant sur lapport des sciences humaines sur la notion de vérité en histoire. Elle invoque les historiens H.-I. Marrou, Paul Veyne et surtout le philosophe Paul Ricoeur : «La vérité de lhistoire tient au projet même de celui qui lécrit et à sa manière de relire et de reconstruire les événements du passé» (p.45). Elle constate : «Lauteur des Actes a joué, avec talent, sur les trois registres documentaire, explicatif et poétique de lécriture de lhistoire» (p.46). Plutôt que de traquer à tout prix les différences entre le Paul des Actes des apôtres et celui des Lettres, mieux vaut sinterroger sur le procédé de construction narrative employé par Luc, qui permet de centrer lattention du lecteur sur la mission de Paul.
Aussi, selon l'auteur, faut-il voir le Paul des Actes comme une des figures de lapôtre, vue par un auteur, Luc, qui est à la fois un écrivain, un théologien et un historien, et dont le but est daffirmer la continuité entre judaïsme et christianisme. Continuité qui sincarne dans la personne de Paul, juif religieux, persécuteur des chrétiens, puis «illuminé» sur le chemin de Damas, recueilli par Ananias, et une communauté de chrétiens qui doivent eux aussi accepter ce retournement, opérer une conversion ; Paul devient alors à la fois le missionnaire des Juifs et celui des païens. Il faut également tenir compte du milieu de réception, du ou plutôt des publics concernés : ces communautés chrétiennes des débuts du christianisme, souvent encore proches du judaïsme, «mixtes» de culture. Sans oublier la tradition vivante encore de lhellénisme et en particulier décoles de philosophie, qui vénéraient la mémoire dun fondateur, pratiquaient des repas cultuels et des rites en commun, et sur lesquelles se sont peut-être calquées les premières communautés chrétiennes. Il ne faut pas sous-estimer le poids de lhellénisme dans ces sociétés méditerranéennes des premiers siècles. On pourrait donc considérer quexistait une «école paulinienne», témoin de la vitalité de cette tradition. Se seraient construits autour de la figure de Paul, trois pôles : un pôle canonique (avec les lettres), un pôle biographique - Paul missionnaire des Nations - et un pôle doctoral (p.44) : Paul docteur de lEglise.
Les Actes, eux, insistent essentiellement sur le juif converti, missionnaire de la Synagogue, celui qui interpelle le roi Agrippa et le gouverneur Festus, à Jérusalem. Ses arguments sont puisés dans la tradition juive, en particulier davidique, et insistent sur la continuité entre judaïsme et christianisme. Question vouée à une belle postérité ! Paul est aussi le missionnaire des païens à qui il présente un Dieu radicalement nouveau, détenteur dune souveraineté universelle. «Substituant la figure universelle du juge eschatologique à celle du Messie davidique promis à Israël, sa prédication nen reste pas moins enracinée dans lannonce de la Bonne Nouvelle de la Résurrection : le visage du missionnaire des païens est indissociable de celui du missionnaire de la synagogue» (p.278).
Les Actes sont un récit volontairement non clos, ouvert sur lavenir ; une construction narrative qui insiste sur luniversalité du message, le rôle des païens présentés comme curieux dentendre la parole du Christ, «Bonne nouvelle» capable de transcender la diversité des cultures, la continuité avec le judaïsme et Paul, poursuit, y compris dans sa vie et dans sa mort, la mission du Christ. Pour écrire cette histoire, Luc a puisé aux ressources narratives de lhistoriographie antique quil connaissait bien.
Une lecture ardue mais passionnante, destinée à tout lecteur qui sintéresse aux premiers temps du christianisme et à la naissance dun corpus et dune tradition qui voit naître lEglise chrétienne. L'ouvrage dOdile Flichy sadresse aussi à quiconque se pose des questions sur lécriture de lhistoire et la relation entre «vérité historique» et discours narratif.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 01/10/2007 ) Imprimer
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