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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Jean Alaux Lectures tragiques d'Homère Belin - L'antiquité au présent 2007 / 22 € - 144.1 ffr. / 253 pages ISBN : 978-2-7011-4538-9 FORMAT : 14,0cm x 20,5cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après Le Liège et le filet : filiation et lien familial dans la tragédie athénienne (1995), Jean Alaux, agrégé de luniversité et docteur ès lettres, publie son deuxième livre dans la collection «LAntiquité au Présent» chez Belin.
Son nouvel ouvrage est lui aussi centré sur lunivers tragique, mais sintéresse plus particulièrement à linfluence exercée, dans limaginaire grec de la période classique, par le genre fondateur que fut lépopée. En effet, malgré ses propres innovations, la tragédie grecque exploite et problématise les représentations construites chez Homère. Mais la poésie tragique se réfère à la poésie homérique de plusieurs manières : on assiste ainsi à des phénomènes datomisation ou de condensation, de déplacement, de distorsion ou même dinversion. Cest le cas, par exemple, des reprises dHomère dans lOrestie dEschyle. Lauteur examine ainsi, plus subtilement, la façon dont Euripide dialogue avec Eschyle par citations homériques interposées. Mais il y a plus : Jean Alaux étudie également la manière dont les allusions et les représentations homériques sinscrivent dans larchitecture et les enjeux densemble dune uvre, mais aussi, plus largement, dans lhistoire des représentations grecques. Il va même jusquà montrer comment les modèles homériques habitent une fiction en loccurrence lHélène dEuripide qui semble, à première lecture, devoir sen démarquer.
La première partie, «Tragédie et épopée : dun texte à lautre», sintéresse de manière générale aux héritages et conflits qui peuvent être repérés entre les deux genres, grâce à une lecture intertextuelle des uvres dHomère et des poètes tragiques. Le choix par ces derniers de tel ou tel récit mythique ou de tel ou tel aspect dun mythe déjà présents dans la matière épique, peut donner lieu à une simple reprise, à une variation, à un développement nouveau ou à une réélaboration critique. La référence textuelle à lépopée peut prendre la forme de citations explicites, dallusions, ou encore de combinaisons de plusieurs citations ou allusions. Se mettent ainsi en jeu des mécanismes qui sapparentent aux lois de condensation et de déplacement propres à limaginaire lui-même. La tragédie est fille de lépopée, dont elle se démarque, et cette filiation sétablit sur le double mode de la hantise et de lopposition : omniprésence des figures, des motifs, des représentations héritées de lépopée, mise en question et distorsion de lhéritage
Les Tragiques élaborent donc plusieurs modalités et stratégies de la référence. La tragédie athénienne du Ve siècle av. J.-C. fait un «usage polyphonique de lhéritage homérique, mais privilégie également les dimensions du texte épique qui sont déjà sources ou reflets de tensions et de débats» (p.50).
Lauteur est conscient que les uvres des trois grands Tragiques sont à tel point tissées déchos venus de lépopée homérique que lexhaustivité dans létude des références est pratiquement impossible. Il opère donc des choix, et se concentre dans la deuxième partie sur une étude des liens entre «imaginaire et parenté». Il prend dabord pour objet détude lAjax de Sophocle, en mettant laccent sur les jeux déponymie présents dans le nom du personnage et ceux de sa parenté (son père Télamon, son fils Eurysakès). Il sattache ensuite à lexemple de lHécube dEuripide, y décelant les influences homériques mais également les échos eschyléens et euripidéens. Il termine sur une étude plus globale des représentations grecques de la fraternité, marquée par la forte ambiguïté de la proximité des frères (Agamemnon et Ménélas dans lIliade
) et de leur rivalité (Etéocle et Polynice dans Les Sept contre Thèbes dEschyle, Antigone et dipe à Colone de Sophocle, ou Les Phéniciennes dEuripide
).
Dans la troisième partie, «Autour dun mythe», Jean Alaux sintéresse au personnage dHélène. Il combine lapproche transversale (celle dun mythe majeur qui hante la littérature occidentale) et lanalyse dune uvre (lHélène dEuripide) pour montrer que, même si la lecture tragique dun mythe prétend sécarter de la version homérique, elle nen demeure pas moins tributaire. Ainsi, même si lHélène «innocente» dEuripide nest jamais allée à Troie et a été remplacée dans le lit de Pâris par un fantôme trompeur qui sévanouit dès que Ménélas retrouve son épouse en Egypte, lhéroïne conserve bien des traits homériques, notamment son ambiguïté séductrice (elle trompe son soupirant, le roi égyptien Théoclymène, par de fausses promesses, afin de mieux pouvoir séchapper avec son mari retrouvé).
Le livre de Jean Alaux invite à poursuivre létude des relations entre épopée et tragédie, lauteur reconnaissant lui-même quil est bien loin davoir épuisé le sujet. Cette étude ne peut se cantonner à la seule analyse littéraire et strictement philologique. Il est nécessaire selon lui de prendre en compte léclairage anthropologique (essentiel pour qui analyse les structures de parenté ; on ne saurait dans ce domaine se passer des analyses lévi-straussiennes, même sil convient parfois de nuancer les résultats de recherches qui embrassent par définition un champ dinvestigation considérable), voire même de recourir à certaines notions élaborées ou réélaborées par la psychanalyse (en prenant bien soin que cette dernière ne se substitue pas pour autant à lanalyse littéraire et historique des uvres). Il suit en cela les perspectives ouvertes par celle qui fut sa directrice de thèse, Nicole Loraux, alors que dautres hellénistes, comme Jean-Pierre Vernant ou Pierre Vidal-Naquet par exemple, étaient beaucoup plus méfiants sur lutilisation des concepts freudiens dans létude minutieuse des uvres de lAntiquité grecque.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 20/11/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Hélène de Euripide La Sauvagerie dans la poésie grecque d'Homère à Eschyle de Christine Mauduit Homère de Pierre Carlier | | |
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