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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Vous qui croyez connaître l’Egypte…
René Lachaud   Les Dieux masqués
Signatura 2007 /  29 € - 189.95 ffr. / 224 pages
ISBN : 972-2-915369-09-0
FORMAT : 17 x 24 cm

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autres, chez L’Harmattan, de Individualité et subjectivité chez Nietzsche (2004).
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Il est des étonnements dont on ne se remet pas ; dont il faut toute une œuvre pour se remettre. Une expérience : comme la lecture de Descartes par Malebranche, la découverte de la Kabylie par Bourdieu. De ces chocs affectifs dont on ne revient pas indemne, à supposer même qu’on en revienne. René Lachaud a vécu le sien : «Il y a quelques années, pérégrinant pour la énième fois dans le temple d’Hathor, à Dendera, un jour de plein été, nous pensions naïvement connaître les lieux et, satisfait déambulions en toute quiétude. / Soudain, le doute s’abattit sur nous en même temps qu’un envahissant sentiment d’étrangeté. Plus rien ne nous était familier. Nous n’étions plus chez nous mais au sein d’un gouffre vertigineux dont nous n’avions même pas soupçonné l’existence… Tant d’années, tant de retours, tant de savoirs accumulés pour finalement n’avoir rien compris, rien vu, rien senti !»

Né d’une rupture profonde avec un savoir académique convenu, une culture qui croit connaître, mais qui se borne à projeter du familier sur du mystère, ce livre débouche sur une autre connaissance de l’Egypte, une Egypte déroutante qui a des chances d’être plus réelle que celle que nous offrent au mieux l’égyptologie intellectualiste, occidentalocentrée, contemporaine, au pire sa vulgarisation dans des romans de gare et des films commerciaux.

Au lieu de partir, comme les égyptologues académiques, des horizons postchrétiens de notre époque, monde qui sépare les savoirs, et qui a sa propre vision (métaphysique) des dieux, du corps, de la politique, René Lachaud inverse la perspective et construit son approche en partant du début, c’est-à-dire de ce vieux socle (préhistorique) commun aux cinq continents que l’on appelle le chamanisme. Cette façon d’aborder le monde qu’ont les «sorciers», «hommes-remèdes», chefs spirituels des premières communautés néolithiques est une représentation holistique, dans laquelle tout renvoie à tout, où le rituel concret, la pratique du corps, l’intuition, la symbiose avec l’état naturel des choses, visible et invisible, guident le regard et le geste et où le savoir vaut comme pratique, non comme une théorie. Non seulement, en commençant par ce commencement-là, Lachaud évite les anachronismes rétrospectifs, mais encore il permet de rendre justice à des phénomènes aussi profondément structurants de la réalité égyptienne que l’écriture idéographique (que Lachaud rapproche à juste titre de celle des Chinois, et en qui il voit avant tout un rituel corporel), ou l’étrange fonction sacerdotale (le terme lui-même est un piège) des pharaons (que tout, dans l’iconographie égyptienne, relie aux sorciers-chamans sibériens, passeurs entre les mondes des animaux, des humains, des esprits).

La tentative de Lachaud a des équivalents dans l’historiographie récente – que l’on songe par exemple aux recherches de Jean Bollack sur le chamanisme des présocratiques en Grèce (et, plus loin, à Eric Robertson Dodds, voire aux intuitions nietzschéennes sur la Naissance de la Tragédie). Appliqué à l’Egypte, le détour par le chamanisme donne des résultats remarquables, et permet notamment à René Lachaud de nous faire revisiter tout le panthéon égyptien, à la lumière de l’Asie et de l’Afrique profondes, rendant limpides, et évidents, ces attributs obscurs, qu’on recensait jusque là à titre purement anecdotique, du dieu-faucon, ou de la déesse-vache. Comme Mircea Eliade avant lui, qui figure en bonne place dans sa courte bibliographie de fin d’ouvrage, l’historien parcourt l’imagerie, classique dans le chamanisme, des Mystères initiatiques, des corps dépecés, des arbres sacrés, au sein de laquelle les mythes égyptiens trouvent parfaitement leur place et reçoivent une résonance nouvelle.

Le travail de Lachaud a les défauts de ses qualités. Fuyant l’académisme, et donc la pratique de la note de bas de page, il enferme parfois son lecteur dans une poésie personnelle qui peut avoir de vagues relents de huis-clos sectaire, là où la référence bibliographique, tout en scellant une dépendance à l’égard de la caste universitaire, eût au moins ouvert des fenêtres sur les recherches d’autres auteurs. De même son refus du savoir théoriciste le fait passer à côté de récentes découvertes «académiques» très importantes, notamment sur les premières structures étatiques égyptiennes, qu’il eût été intéressant de confronter à ses intuitions sur la royauté pharaonique – Lachaud parle de la Préhistoire égyptienne comme on le faisait il y a cinquante ans, et, peut-être, de ce fait, dés-historicise quelque peu l’objet de son étude. Ainsi, paradoxalement, son peu d’intérêt pour une archéologie rationaliste et objectivante des cités égyptiennes, conduirait presque l’auteur à commettre à l’égard du lien préhistoire/antiquité classique le péché qu’il reproche à nos contemporains sur la relation monde moderne/monde antique, c’est-à-dire celui de l’illusion (de la réduction) rétrospective, de l’anachronisme, de la négation de l’altérité temporelle. Enfin la méfiance de Lachaud à l’égard du rationalisme l’entraîne à adhérer aux mythes cryptoscientifiques les plus douteux (parfois même les plus absurdes), comme celui du partage entre cerveau droit et cerveau gauche (p.10), ou de l’inconscient collectif jungien (p.154). Le lecteur indulgent verra dans ces égarements la rançon à payer pour une trop grande lucidité sur d’autres points. On n’a jamais rien sans rien…

Par delà ces réserves, retenons qu’en puisant généreusement aux sources du patrimoine culturel et existentiel commun de l’humanité, l’auteur a l’immense mérite d’enfin lever un voile sur une Egypte nouvelle, restée jusque là travestie par des approches trop étriquées. Au-delà de l’Egypte, il initie de la sorte à une appréhension globale des réalités pré-modernes de notre espèce, qu’il convient sans doute de généraliser à toutes les cultures antiques, et qui, en retour, fait signe, pour notre présent, vers des possibilités d’être, de voir, de ressentir dont nous avions collectivement perdu la trace.


Christophe Colera
( Mis en ligne le 19/03/2008 )
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