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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Penser Rome sans anachronisme
Jean-Noël Robert   Rome, la gloire et la liberté - Aux sources de l'identité européenne
Les Belles Lettres 2008 /  23 € - 150.65 ffr. / 377 pages
ISBN : 978-2-251-44341-6
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L’auteur du compte-rendu : Yannick Durbec, professeur agrégé de Lettres Classiques, Docteur ès Lettres, enseigne en Lettres Supérieures et a publié une édition des fragments poétiques de Callimaque aux Belles Lettres, ainsi que plusieurs articles dans des revues de philologie.
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Le livre de Jean-Noël Robert, éminent latiniste et historien de Rome, pourrait être une remarquable introduction à la collection REALIA, que dirige cet auteur chez le même éditeur. L’auteur, en refusant la mise à plat de l’histoire, qui consiste à plaquer sur l’Antiquité des concepts anachroniques pour tenir un discours sur le présent, s’efforce de révéler la singularité des mentalités romaines. Si ces dernières forment un substrat de civilisation commun aux pays européens, elles diffèrent cependant nettement des nôtres et leur étude est l’occasion d’une prise de distance salutaire par rapport à notre propre civilisation. Sous la plume de J.-N. Robert, Rome n’est plus un modèle, ni un exemple, mais une expérience privilégiée.

J.-N. Robert s’attache, dans un premier chapitre très polémique, à démontrer que les notions d’impérialisme, de colonialisme et de nationalisme sont inadéquates pour décrire les phénomènes d’expansion par lesquels la Ville en vint à donner son nom à une civilisation qui couvrit un espace immense. La démonstration se développe sous forme de syllogismes. La définition du terme incriminé constitue la proposition majeure, l’analyse historique la proposition mineure et la conclusion souligne l’inadéquation de ces termes. L’impérialisme est une décision concertée d’un État pour soumettre d’autres peuples selon un plan méthodique de conquête qui vise à une domination politique et économique. Or, à Rome sous la République, aucune faction politique n’entraîne le pouvoir dans une politique de conquête planifiée. Par conséquent, si la conquête est une réalité indéniable, le terme «impérialisme» est un anachronisme pour désigner la politique romaine. Seuls des individus ont pu avoir des visées impérialistes. La même démonstration est conduite pour la notion de «colonialisme». La colonisation peut être définie comme l’occupation du vaincu par le vainqueur omniprésent, qui tend à imposer ses valeurs pour «civiliser» l’indigène. Or, la présence des Italiens sur les territoires conquis est très limitée, les affaires locales ne relèvent pas de l’administration romaine et surtout aucun enseignement d’État n’est dispensé. Par conséquent, la comparaison avec les conquêtes coloniales occidentales modernes est porteuse d’erreurs lourdes.

Le développement de l’esprit universaliste de Rome et la fin de la République furent les conséquences des conquêtes qui suivirent la deuxième guerre punique. Sous le principat, le prince érigea l’image d’un monarque universel. Le temps n’était plus à l’expansion territoriale, mais à l’administration des territoires conquis et le principal lien entre tous les habitants de l’Empire devint le culte impérial. L’acmé de la politique impériale fut la constitution antonine qui octroya la citoyenneté à la quasi-totalité des hommes libres. Tous les habitants de l’empire pouvaient se dire Romains, quelle que fût leur culture de référence. La notion de culture nationale est un anachronisme et le concept clef est l’imitation. J.-N. Robert constate donc l’inadéquation du concept de romanisation et appelle au renouvellement des outils méthodologiques.

Les chapitres deux et trois du livre sont consacrés à une description synthétique de la société et de l’homme romain. Cette société est duale et l’argent constitue le «baromètre social». De complexes barrières sociales structurent les groupes sociaux. Le cloisonnement est au moins aussi important que la fracture sociale. Chaque catégorie sociale méprise les groupes inférieurs. La notion de «client» renvoie à cette bipartition de la société. Le clientélisme évolua. Lien réciproque sous la République, il devint un rapport de vassalité économique sous l’Empire.

La qualité de vie romaine, qui séduisit les peuples conquis, reposait grandement sur l’otium urbanum, dont les deux marqueurs les plus manifestes étaient les spectacles et les thermes, qui, paradoxalement, ne trouvent pas leur origine dans la culture romaine. Les spectacles, si souvent représentés au cinéma, ritualisent la violence sur laquelle se fonde l’ordre social. Dans l’arène s’exprime la virtus, qui peut alors se vivre par procuration. Ce goût pour des spectacles fortement chargés en émotions est un trait significatif de la mentalité romaine.

À Rome, point d’individus, seule l’appartenance à différents groupes sociaux définit la personne. L’auteur suit le parcours de la vie depuis la première épreuve que constitue pour un nouveau-né son acceptation par le paterfamilias. La femme est considérée comme une reproductrice et la paternité est le premier devoir du citoyen. Un père doit transmettre à son fils la virtus, la fides et la pietas. Cette dernière recouvre l’observance des devoirs envers ses parents, sa patrie et les dieux, dans le cadre d’une religion conçue comme un code de conduite méticuleux, avant les modifications du paysage mental introduites par les religions orientales. Dans cette société du spectacle, chaque citoyen joue un rôle de composition et se forge ainsi un prestige social. Cette image de soi travaillée se manifeste dans le costume du citoyen et notamment la toge, dont le port révélait les sentiments, mais aussi dans le rapport aux autres et dans des moments très codifiés comme la cena.

La clarté du propos de J.-N. Robert fait de ce livre une remarquable introduction aux mentalités romaines. L’auteur défend avec vigueur et passion une position, qui s’inscrit dans les débats sur l’utilisation de l’histoire dans les débats politiques contemporains et qui s’avère, in fine, quels que soient parfois les aléas de la démonstration, particulièrement convaincante. On pourra toutefois regretter, sur un plan matériel, l’erreur qui fait succéder à la page 324 les pages 333 à 336, puis 329 à 331 et enfin 325 à 328.


Yannick Durbec
( Mis en ligne le 25/06/2008 )
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