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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Mésopotamie mon amour
Jean Bottéro   Au commencement étaient les dieux
Hachette - Pluriel 2008 /  8 € - 52.4 ffr. / 255 pages
ISBN : 978-2-01-279404-7
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.
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La collection Pluriel des éditions Hachette vient de publier au format poche un recueil de textes de Jean Bottéro, précédemment paru en 2004 aux éditions Tallandier. Il s’agit en fait d’un recueil d’articles parus dans la revue L’Histoire, à laquelle le bibliste et assyriologue disparu en 2007 a collaboré pendant de longues années. Le titre pourrait laisser penser que l’ouvrage est consacré essentiellement à «la plus vieille religion» (titre d’un autre de ses livres en Folio Histoire, 1998) née sur les bords du Tigre et de l’Euphrate. Mais il évoque aussi d’autres réalités de la vie quotidienne en Mésopotamie.

La première partie, clin d’œil à son collègue américain Samuel Noah Kramer (L’Histoire commence à Sumer, 1957), avec qui il a écrit la somme Lorsque les dieux faisaient l’homme : mythologie mésopotamienne (Gallimard, 1989), s’intéresse à la première civilisation historiquement connue, celle des Sumériens, inventeurs de l’écriture et des premières cités. On ignore encore l’origine de cette population installée dans le sud de la Mésopotamie, leur langue n’étant comparable à aucune autre langue connue. Le sumérien cesse d’être parlé dès la fin du IIIe millénaire av. J.-C., quand les Sémites deviennent majoritaires dans la région. Mais il demeure une langue savante et religieuse des textes cunéiformes aux IIe et Ier millénaires. Les Sumériens transmettent aussi leur conception du divin, même si les Sémites ont généralement d’autres noms pour leurs dieux (Ishtar au lieu d’Inanna, ou Ea au lieu d’Enki, par exemple).

A cette première partie est intégré un historique de la redécouverte de la Mésopotamie par les modernes, au début du XIXe siècle, facilitée par le déchiffrement des écritures cunéiformes à partir de 1802 par Georg Friedrich Grotefend à Göttingen. Jean Bottéro relate ainsi les étapes de la naissance de sa propre discipline, l’assyriologie (qui doit son nom au fait que l’on attribuait, à l’époque, les plus anciennes tablettes aux terribles Assyriens), et des découvertes archéologiques dans cette région située entre deux grands fleuves.

La deuxième partie traite des récits mythologiques et des croyances religieuses. Deux articles sont consacrés au plus vieux récit du Déluge (dont se sont inspirés les Hébreux) et à la première arche de Noé. Ce mythe, illustré dans le Poème du Supersage (Atrahasis) est d’ailleurs rappelé dans la célèbre Épopée de Gilgamesh. Le récit est assez différent de celui de la Genèse, malgré d’évidentes ressemblances. Le roi des dieux, Enlil, agacé par le bruit des hommes, souhaite les détruire (il n’est pas question ici de faute morale d’une humanité dégénérée). Mais le sage dieu Ea conseille au roi Atrahasis de construire une arche où il embarquera ses proches, ainsi que des animaux domestiques et sauvages. Après la catastrophe, celle-ci s’échoue au sommet d’une montagne (qui n’est pas l’Ararat).

Le troisième chapitre de cette partie a pour thème les représentations de l’au-delà chez les Mésopotamiens, ce «pays sans retour» souterrain, sombre et poussiéreux semblable au schéol des anciens Israélites, gouverné par la reine Ereshkigal et son époux Nergal. Le mort n’est qu’un double ombreux et volatil du défunt. Il n’y a aucun jugement, aucune récompense ni aucune sanction par rapport à une vie terrestre exemplaire ou remplie d’exactions. Le poème mythologique La Descente d’Ishtar aux Enfers raconte comment cette déesse d’En-haut, patronne de l’amour libre, s’était un jour décidée à visiter le royaume des morts, peut-être en vue d’en faire la conquête. Mais, dépouillée progressivement de tous ses ornements et attributs divins, elle se retrouve à l’état de cadavre. Elle ne doit son salut qu’à un échange de son sort avec son amant Tammuz.

La troisième partie concerne la vie quotidienne en Mésopotamie. Le premier chapitre est consacré à l’amour libre à Babylone. C’est le domaine de la déesse Inanna-Ishtar, la plus importante déesse du panthéon. Les Mésopotamiens n’avaient pas les mêmes tabous que nous autour du sexe et de son usage, mais ils restaient beaucoup plus discrets sur l’expression des sentiments. Le mariage représentait la vocation première de l’homme et de la femme, mais des «spécialistes» des deux sexes pratiquaient aussi la prostitution (nulle opprobre ne s’attachait par exemple aux actes homosexuels). Ces prostitué(e)s étaient considéré(e)s comme des êtres marginaux, mais dans le mythe ils assuraient le passage de la sauvagerie à la civilisation (ainsi de la courtisane séduisant Enkidu dans l’Epopée de Gilgamesh). La pratique de l’amour ne posait pas le moindre problème de conscience. De plus, malgré le caractère patriarcal de cette société, la femme avait droit comme l’homme au plaisir. Le deuxième chapitre est consacré à la morale et à la sagesse des anciens Mésopotamiens, bien éloignées des nôtres. Fauter, c’est se révolter contre les dieux, sans référence à des principes abstraits comme le «Bien» et le «Mal» ; les recommandations de bonne conduite dans la vie en société ne sont pas rattachées, comme dans la Bible, à des commandements divins.

Le troisième chapitre traite du célèbre «Code d’Hammourabi». Jean Bottéro montre qu’il ne s’agit pas vraiment d’un code de lois, mais d’un ensemble de modèles de jugement, nullement exhaustif, permettant d’aider ses successeurs à rendre la justice. Il s’agit donc plutôt d’un «florilège de jurisprudence» (p.128) présentant des modèles de situations. Le quatrième chapitre traite de la magie et de la médecine. Les deux techniques semblent à première vue distinguées, car il existait une médecine de médecins, empirique et utilisant les propriétés des plantes, et un exorcisme de «mages» permettant de repérer l’origine surnaturelle de certains maux et d’utiliser les techniques adéquates pour y mettre fin, par exemple grâce à des rituels permettant d’apaiser une divinité courroucée, ou d’éloigner des démons. Ces deux techniques se sont parfois «contaminées» : il arrive de trouver de l’irrationnel exorcistique dans la médecine, et du rationnel médical dans la pratique des magiciens.

Les deux derniers chapitres de cette partie sont consacrés à la nourriture et à la boisson. La «plus vieille cuisine du monde», à laquelle Jean Bottéro a consacré un livre (Audibert, 2002, rééd. Points Seuil 2006), nous est connue par trois tablettes cunéiformes akkadiennes des alentours de 1700 av. J.-C. La révolution de la cuisine à l’eau a permis le développement d’une véritable gastronomie, qui différait probablement beaucoup de nos goûts et que nos contemporains n’apprécieraient peut-être guère (cuisine lourde et grasse, mélange inhabituel d’épices…). Pour ce qui est de la boisson, même si l’on est surtout dans un pays de bière, le vin, importé de Syrie, était aussi très apprécié des élites, et constituait une offrande de choix pour les dieux, tout comme les plats alambiqués concoctés par les cuisiniers mésopotamiens.

La quatrième partie opère un retour au religieux, en s’intéressant plutôt au volet bibliste de l’œuvre de Jean Bottéro. Le premier et le deuxième chapitre traitent de la naissance du monothéisme. Avec les anciens Israélites, on passe des dieux au Dieu unique, via l’étape intermédiaire, encore repérable dans la Bible, de l’hénothéisme (attachement exclusif à un seul dieu et désintérêt à l’égard des autres, sans nier pour autant leur existence). C’est surtout la fin de l’indépendance des Hébreux et l’exil à Babylone qui semblent catalyser cette évolution. La question du mal est abordée dans le troisième chapitre. Pour les Mésopotamiens, fatalistes, il est lié à la défaveur (et donc au caprice) des dieux, qui permet l’action de puissances secondaires négatives. Face à l’adversité, la meilleure attitude est d’attendre avec résignation le retour du bonheur. Pour les auteurs de la Bible, il n’y a pas de réponse au problème du mal, si ce n’est que les desseins de Dieu sont impénétrables (cf. le livre de Job). Le dernier chapitre s’intéresse aux relations entre Dieu et le crime. Avant d’être une atteinte au droit, l’action criminelle est en fait avant tout un péché, une rébellion contre Dieu, qui doit être à ce titre condamnée. L’attachement des Israélites à leur Dieu ne se manifestait pas, comme en Mésopotamie, par un service de biens et denrées matériels, mais par la seule obéissance à un code moral, celui du Décalogue. Incorporée dans son message par le christianisme, une telle conviction a pesé lourd dans la formation de la conscience occidentale.

Cet ouvrage constitue ainsi une bonne introduction à l’œuvre de Jean Bottéro, abordant les différents thèmes étudiés par l’assyriologue dans ses différents livres. Il pourra être utilement complété, dans la même collection, par les entretiens accordés par l’auteur à Hélène Monsacré, et publiés sous le titre Babylone et la Bible. En annexes, des cartes de la Mésopotamie, un lexique (auquel renvoient des astérisques dans le corps de l’ouvrage), une chronologie et un index permettent de faciliter la lecture, surtout pour celui qui souhaite s’initier au monde exotique des anciens Mésopotamiens, que Jean Bottéro considère comme les premiers ancêtres de notre civilisation, via les Grecs et les Hébreux ayant recueilli une partie de leur héritage.


Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 30/09/2008 )
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