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D’utiles mises au point sur la France révolutionnaire | | | Collectif Terminer la révolution ? Economica 2004 / 30 € - 196.5 ffr. / 326 pages ISBN : 2-7178-4618-2 FORMAT : 16x24 cm
Actes du colloque organisé par le Musée de l'Armée les 4 et 5 décembre 2001 avec le concours de la Fondation Napoléon.
Lauteur du compte rendu : Élie Allouche, agrégé dhistoire-géographie, diplomé de 3e cycle en Histoire, webmestre de lInstitut dHistoire de la Révolution française (Université de Paris I), prépare actuellement une thèse sur la Plaine à la Convention nationale tout en enseignant au Collège De Lattre de Tassigny (Le Perreux). Il est lauteur du livre Enseigner lhistoire géographique, conseils pratiques (Seli Arslan, 2002) et finit un ouvrage sur la Révolution française (99 questions sur la Révolution française, CRDP Montpellier). Imprimer
Depuis environ une dizaine dannées, les historiens revisitent entièrement la période charnière qui va du Directoire au Consulat, en insistant sur les continuités politiques et administratives qui relient les deux régimes et sur les dimensions internationales du phénomène révolutionnaire.
Cet ouvrage sinscrit dans un vaste projet scientifique entrepris par le Musée de lArmée (en liaison avec la Fondation Napoléon), qui organise une série de colloques dans la perspective du bicentenaire de la bataille dAusterlitz (2 décembre 1805) et dont le titre global est «Napoléon et lEurope entre guerre et paix». Le premier dentre eux, dont les actes sont publiés dans le présent volume, sest déroulé les 4 et 5 décembre 2001 et avait pour titre «Terminer la Révolution ?».
Les seize contributions, plus la conclusion de Jean-Paul Bertaud, tentent de dresser un tableau de la situation française et internationale vers 1799. Larticle introductif de Jean Delmas annonce les thèmes abordés dans le colloque, qui sarticulent autour dune même problématique : la portée du projet politique consulaire, qui consiste à proclamer la fin de la Révolution tout en créant les conditions institutionnelles à la consolidation de ses acquis.
Les différentes contributions dressent un tableau très riche et complexe de létat de la France et de lEurope au moment où Bonaparte sempare du pouvoir. Les huit premières portent sur la situation intérieure de la France et les huit suivantes sur les aspects internationaux.
Il revient en premier lieu à Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, auteur du Grand Consulat et dune Nouvelle Histoire du Premier Empire (Fayard) détudier en détails le texte de la proclamation consulaire du 19 brumaire an VIII, qui déclare : «Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui lont commencée. Elle est finie». Lauteur discute notamment de la pertinence quil y a à clore la Révolution en 1799. Cette analyse nest pas nouvelle (voir Alphonse Aulard) mais elle retrouve une nouvelle vigueur aujourdhui : ainsi le manuel de M. Biard et Pascal Dupuy (La Révolution française 1787-1804, enjeux, influences, débats, Armand Colin, 2004) choisit aussi une périodisation plus large que la traditionnelle décennie 1789-1799.
Larticle de Jean-Clément Martin veut démontrer quant à lui la vitalité de la contre-révolution et son enracinement social en 1799. Les mouvements royalistes ont certes échoué militairement, à cause de leurs divisions internes et de leurs maladresses, mais ils ont dans le même temps imposé des inflexions modératrices et conservatrices notables au cours de la Révolution elle-même, jusquau coup dÉtat de Brumaire.
La brève contribution de Jean Tulard porte sur le remaniement administratif de Paris, entrepris afin dempêcher tout nouveau mouvement insurrectionnel : «Si Paris ne bouge plus à partir de 1795, cest que lHôtel de Ville na plus de maire». La nouvelle mainmise de lÉtat sur la capitale, qui débute sous le Directoire, est renforcée par le Consulat (installation du Préfet de la Seine). Paris ne se «réveillera» quen 1830.
Gilbert Bodinier analyse ensuite létat de lopinion dans larmée. Selon lui, «la seule opposition que Bonaparte dut affronter dans larmée est celle des généraux», relevant une certaine jalousie à son égard, notamment dans lentourage de Moreau. Des complots sont même fomentés de la part dofficiers (comme Berthois ou Bernadotte) pour démettre voire assassiner le Premier Consul. Au moment de la proclamation de lEmpire, lopposition la plus vive se manifeste au sein de lÉcole Polytechnique (où le fils de Brissot refuse de prêter serment) tandis que cette décision est plutôt bien acceptée au sein de larmée, malgré lenracinement du sentiment républicain chez les soldats. Toujours dans le domaine militaire, la contribution de Laurence Wodey montre de quelle façon Bonaparte sest servi du général Turreau (celui des trop célèbres «colonnes infernales» qui ont détruit la Vendée en 1794) pour mener une opération militaire dans le Valais de 1800 à 1802, et permettre la construction de la route de Simplon, reliant la France à lItalie du Nord. Lopération, perçue comme un «tremplin vers la gloire» par Turreau, devait savérer désastreuse pour les Valaisans dont les velléités autonomistes furent matées par le général. Le Valais sera annexé à lEmpire et deviendra le département du Simplon en 1810.
On peut trouver un peu longue lanalyse militaire et géostratégique du Commandant Christophe Gué sur les rapports de force en Europe vers 1799-1800, mais on est bien forcé dobserver quen la matière les jugements des historiens ont souvent été contradictoires : la France est-elle alors dans une situation «délicate» (perte de lItalie, armée de Bonaparte bloquée en Égypte) ou «stabilisée» (frontières préservées, victoire de Zurich) ? Y a-t-il une part de «chance» dans certains dénouements militaires (Marengo) ? Sans doute, mais pour lauteur cette «chance» aurait été «aidée» par un rapport de forces initialement favorable à la France, que les ambitions excessives de Bonaparte auraient gâché par la suite.
On peut émettre quelque réserve sur larticle dAlain Plessis qui napporte rien de bien neuf sur luvre de stabilisation financière du Consulat, mais qui a cependant le mérite de faire une synthèse sur un sujet difficile en rappelant au passage que la stabilisation financière commence sous le Directoire avec le ministre Ramel-Nogaret (voir à ce sujet la thèse récente de François-Joël Balland soutenue à Paris IV en 2002).
Une mise au point intéressante et originale sur le Concordat nous est fournie par Jacques-Olivier Boudon, qui rappelle opportunément la part du rousseauisme dans la politique de réconciliation religieuse de Bonaparte. Comme Robespierre avant lui, celui-ci est convaincu que la religion, sans laquelle il ny aurait pas de morale, est un élément essentiel de la cohésion sociale.
La partie de louvrage consacrée aux aspects internationaux est sans doute la plus stimulante. On peut y relever plusieurs traits essentiels caractérisant la réception de la Révolution française en Europe : en tant quapplication politique des idéaux philosophiques, elle fut dabord très favorablement perçue par les élites éclairées (article de Christoph Hatschek sur les philosophes allemands) ; mais celles-ci prennent ensuite leurs distances pour trois raisons essentielles : lintervention de la foule qui acquiert le statut de force politique majeure en France (jusquen 1794), les excès de la Terreur (qui ne sarrête pas en 1794) et le caractère de plus en plus impérialiste de lexpansion française.
Les candidats aux concours auront tout intérêt à lire larticle dEduard Maur sur limpact de la Révolution dans les milieux populaires tchèques, qui nourrit une série dimages fantasmagoriques (sur lintervention imminente des libérateurs français) puisant dans leur inconscient historique.
François Crouzet nous livre une analyse éclairante sur lhistoire complexe de lAngleterre autour des années 1798-1801, qui succède au revirement des intellectuels, de plus en plus hostiles à légard de la Révolution française à partir de lexpansion de la Grande Nation en Italie puis en Suisse. Lauteur présente notamment limpact de la politique française sur la politique intérieure anglaise (suspension de lHabeas Corpus, suppression des «sociétés séditieuses», Union Act en février 1801) tout en insistant sur la vitalité économique dun pays qui poursuit son industrialisation en pleine guerre. On peut cependant observer que limpact de la guerre en Angleterre ne peut être strictement comparé à la situation de la France, cette dernière subissant des combats à lintérieur même de son territoire.
Larticle le plus passionnant est sans doute celui de G. Sirotkine sur la politique de Catherine II de Russie vis-à-vis de la Révolution française. Partant dun paradoxe (lintervention militaire tardive des Russes dans la guerre contre la France malgré leur engagement idéologique précoce contre la Révolution) auquel se sont heurtées différentes interprétations historiographiques, lauteur en conclut que la politique russe est avant tout dominée par un souci permanent dadaptation et de tentatives de compromis, ayant pour objectif «modéré» de voir linstauration dune monarchie constitutionnelle en France. Ce même caractère pragmatique pourrait sappliquer à la politique autrichienne, analysée par Michael Hochedlinger qui estime que les Habsbourg nont pas mené de «guerre idéologique» contre la Révolution mais que leur politique a surtout été guidée par des ambitions militaires et territoriales. LÉtat autrichien, lun des plus modernes du siècle des Lumières, ne serait devenu réactionnaire et conservateur que sous leffet de lexpansionnisme français.
Au final, voici un livre qui devrait rendre de grands services aux candidats aux concours. Ils y trouveront dutiles mises au point sur les rapports entre la France et lEurope à laube du XIXe siècle et sur la réception du fait révolutionnaire dans les cours et les sociétés.
Elie Allouche ( Mis en ligne le 30/09/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La République bourgeoise de Denis Woronoff La France de la Révolution et de l'Empire de Jean Tulard | | |
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