|
Histoire & Sciences sociales -> |
| Henri Grange Benjamin Constant - Amoureux & républicain. 1795-1799 Les Belles Lettres 2004 / 25 € - 163.75 ffr. / 382 pages ISBN : 2251442723 FORMAT : 14x21 cm
Lauteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques, Antoine Picardat a été chargé de cours à lInstitut catholique de Paris et analyste de politique internationale au Ministère de la Défense. Il est actuellement ATER à lIEP de Lille. Imprimer
Amoureux et républicain
Voilà bien le genre de sous-titre qui suscite linquiétude. Surtout lorsquil sagit dune biographie dun personnage de lenvergure de Benjamin Constant, lun de plus grands esprits de son temps. Anxieux, on se demande ce qui va lemporter : la chambre à coucher ou le salon, les lettres damour ou les pamphlets politiques, la passion des sentiments ou la fureur des combats didées ? Que lon se rassure, Henri Grange na pas laissé beaucoup de place à leau de rose et sest concentré sur la politique. Le côté amoureux du personnage nest quune toile de fond, qui explique certains choix et rythme l'existence.
Cette étude des années de jeunesse de Benjamin Constant est particulièrement intéressante, car elle nous permet de découvrir un personnage différent de celui retenu par la postérité. On connaît lhomme mûr, opposant déterminé à Napoléon, auteur de De lesprit de conquête et de lusurpation. On connaît aussi le libéral, qui tente courageusement lexpérience des Cent Jours et collabore avec son adversaire dhier en rédigeant lActe additionnel aux lois et constitutions de lempire. On connaît surtout le tribun de la Restauration, chef de file des libéraux, inlassable adversaire des violations de lesprit de la Charte par la monarchie. On connaît, enfin, lun des accoucheurs de la Monarchie de Juillet, régime modéré qui répond à ses aspirations. Mais il existe un premier Benjamin Constant, celui du Directoire. Au cours de ces années, le futur théoricien du libéralisme découvre les dures réalités de la politique et surtout, il constate que lécart est parfois grand entre les idées et leur traduction en faits et en actes.
Les idées libérales conduisent cet enthousiaste de la Révolution à renoncer à une carrière de haut fonctionnaire auprès du duc de Brunswick. En septembre 1794, il fait la connaissance de sa compatriote, Germaine de Staël, fille de Necker, elle aussi passionnée de politique et didées nouvelles. Amoureux, puis amants, ils arrivent à Paris en juin 1795, bien décidés à y jouer un rôle de premier plan.
Pour Benjamin Constant, souvre alors une période dintense activité. Passionné par la république, il écrit, polémique, soutient ou attaque, et anime aussi une sorte de club de réflexion et dinfluence : le Cercle constitutionnel. Etant propriétaire, il simplique dans la vie politique du canton de Luzarches, en Seine et Oise, dont il tente vainement dêtre élu député aux Cinq Cents. Il cherche à être naturalisé français et se dépense sans compter pour faire rayer Mme de Staël et Necker de la liste des émigrés. Entreprise dautant plus délicate que Germaine a le don de choisir ses amis parmi les adversaires du Directoire, dont les membres la poursuivent en retour dune féroce animosité.
Trois aspects de l'initiation politique de Constant méritent dêtre signalés. Tout dabord, sa fragilité dans le monde sans pitié du Directoire. Comparé à des animaux politiques comme Barras ou Talleyrand, dont il simagine faire son obligé (!) ou même comme Sieyès, Constant est bien tendre. Là où il pense être un conseiller de lombre, il est considéré comme une simple variable dajustement ! Lorsque, après Fructidor, il prendra ses distances avec les auteurs du coup dEtat, sa disgrâce sera rapide et ses illusions sur son habileté politique apparaîtront pour ce quelles sont.
Ensuite, ses hésitations et ses contradictions initiales. Sitôt débarqué de Suisse à Paris, il écrit un article dans lequel il se déclare farouchement opposé au décret des Deux-tiers. Quelques semaines plus tard, il fait volte-face et cest avec la même ardeur quil sy rallie ! Désormais chaud partisan du Directoire, il le défend dans De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de sy rallier. A la veille de Fructidor, il se livre aux justifications les plus douteuses du futur coup dEtat. Il affirme quentre les idées théoriques et les idées pratiques, il existe un décalage et que les circonstances doivent parfois amener à mettre en oeuvre, en sinspirant des secondes, des moyens qui séloignent sensiblement des premières. Après avoir ainsi justifié par avance la violation des principes constitutionnels, il applaudit une fois le coup fait. Brumaire le verra ségarer dans les mêmes contradictions.
Toutefois, et cest probablement laspect le plus intéressant, ces expériences lamènent à se forger des convictions fortes qui seront celles du grand Benjamin Constant de lEmpire et de la Restauration. Après Fructidor comme après Brumaire, il réalise vite son erreur. Dans le premier cas, il se rend compte que violer des principes en prétendant les défendre est exactement ce que Robespierre et les Jacobins avaient fait. Le résultat avait été la dictature et la Terreur. Dans le second, il voit tout de suite quavec Bonaparte, Sieyès et tous les autres sont tombés sur beaucoup plus fort queux, et que ce nouveau venu na guère lintention dinstaurer un régime constitutionnel représentatif et libéral, comme Constant le souhaiterait. La disgrâce et lexil sont dès lors annoncés
Le Directoire fut une époque très contrastée. Dun côté, des dirigeants cyniques à légoïsme absolu, nayant comme seule obsession que leur maintien au pouvoir, au prix de toutes les bassesses et de toutes les illégalités. De lautre, un bouillonnement intellectuel, entretenu par des penseurs, actifs et engagés, comme Benjamin Constant ou Germaine de Staël. Ils se sont donnés une tâche colossale et essentielle : comment fonder le meilleur système politique possible, une république reposant sur les principes de 1789 et sépanouissant dans un grand pays de 25 millions dhabitants ? Répondre à cette question sera un travail repris par plusieurs générations de penseurs et dhommes politiques au cours du siècle suivant.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 01/11/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Necker de Ghislain, de Diesbach Une singulière famille de Jean-Denis Bredin | | |
|
|
|
|