| René Grousset Le Conquérant du monde - Vie de Gengis-Khan Albin Michel 2008 / 20 € - 131 ffr. / 352 pages ISBN : 978-2-226-18867-0 FORMAT : 14,5cm x 22,5cm
Les auteurs du compte rendu :
Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).
Jean-Pierre Sarmant est inspecteur général honoraire de lÉducation nationale. Imprimer
Auteur de La Face de lAsie, de LEmpire des steppes, de La Chine et son art, de De la Grèce à la Chine et de tant dautres vastes synthèses, René Grousset a souhaité présenter cette biographie, publiée pour la première fois en 1944, comme un roman. Les brefs chapitres du livre se présentent chacun comme un récit daventures.
Au voisinage des limites actuelles de la Mongolie et de la Russie, aux confins de la taïga et de la steppe, voici dabord la lignée des chefs obscurs qui allaient avoir lhonneur dêtre les proches aïeux du Conquérant. La première partie de louvrage relate lenfance traquée du jeune Temudjin et les péripéties de sa longue et difficile ascension, suite de trahisons, dembuscades, denlèvements et de meurtres. Ce nest quarrivé à la quarantaine que Temudjin parvient à unifier les tribus turco-mongoles de lactuelle Mongolie, non sans en avoir exterminé un bon nombre. Après le kuriltaï de 1206, véritable sacre du khan universel, commence en 1211 la quinzaine dannées des conquêtes implacables qui feront que son nom inspirera pour longtemps la terreur dans le monde sédentaire.
Le talent de René Grousset éclate dans la description du cadre géographique, souvent grandiose, toujours décrit avec précision et poésie, dans lequel se déroulent les événements. Lauteur excelle tout autant à faire revivre les caractères dans des portraits hauts en couleurs : le fluctuant Toghril, roi des Kéreites, monarque nestorien qui est sans doute à lorigine du mythe du «Prêtre Jean», linstable Jamuqa, frère juré du jeune Temudjin, dont laffrontement avec ce dernier, entrecoupé de réconciliations, prend les dimensions dun drame classique, les femmes dune énergie «virile», bien digne de ce peuple de fer, que sont la mère, Höèlun, et lépouse, Börte, du futur Gengis Khan.
Le portrait du héros lui-même surprend tout dabord par labondance de traits positifs. Il attire les ralliements par son sens de léquité, sa loyauté envers les siens, sa reconnaissance pour les services rendus. Il nhonore rien tant que la fidélité, même chez lennemi. Doué dun robuste bon sens et du sens du possible, il sait aussi écouter et tenir compte des avis, que ce soit ceux de ses femmes ou de conseillers étrangers, ouigours ou chinois. Un Khitan arrive même à lui faire comprendre quil peut être plus rentable de faire payer un impôt à des sédentaires que lon vient de soumettre que de les passer au fil de lépée. Illettré lui-même, Gengis fait apprendre lécriture turque ouigoure à ses fils et fait venir de Chine jusque dans lAfghanistan où il guerroie un philosophe des leçons duquel il est avide.
Au moment daborder la description de la conquête de lAsie centrale iranisée et des terribles massacres et destructions qui laccompagnent, lauteur est bien conscient de ce que son héros apparaît sous un jour moins sympathique, il évoque lui-même le fait que les sources dont nous disposons pour la première partie de la vie de Gengis Khan sont essentiellement mongoles (au premier rang dentre elles, lHistoire secrète des Mongols) alors que les conquêtes ont été rapportées par des chroniqueurs persans (Rachid-ed-Dîn), qui sont bien entendu surtout sensibles à lhorreur ressentie par les peuples conquis. Il ny a toutefois pas vraiment de contradiction entre les qualités morales de Gengis Khan et, sans vraiment de cruauté gratuite, les épouvantables massacres quil ordonne quand il se considère comme trahi ou seulement quand on lui résiste. Pour René Grousset, les aspects terrifiants du Conquérant du monde sont seulement caractéristiques de son peuple à cette époque et de létat primitif des tribus dont il avait pris la tête.
Tout en étant issu dune analyse critique des sources, due à un spécialiste de premier ordre, ce livre a les charmes dun grand roman historique et se lit avec le même plaisir.
Jean-Pierre et Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 27/01/2009 ) Imprimer | | |