| |
Une sombre et étrange affaire | | | Alain Provost Domus Diaboli - Un évêque en procès au temps de Philippe le Bel Belin 2010 / 23 € - 150.65 ffr. / 362 pages ISBN : 978-2-7011-4895-3 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire, il prépare une thèse en histoire médiévale. Imprimer
Au départ : un rouleau de quelques cinquante-sept mètres de long, constitué de plus de soixante-dix peaux de parchemins liées les unes aux autres, et qui regroupe les dépositions de quelques trois cents témoins contre Guichard, évêque de Troyes au début du XIVe siècle. Cest cette source exceptionnelle, à laquelle sajoutent quelques autres documents sur le procès, qui est au centre du livre dAlain Provost. Car il sagit non seulement dune source dinformations, mais aussi dun objet détude en lui-même pour lhistorien, et cest bien dans cette perspective que lauteur laborde.
Certes ce livre se fonde sur lhistoire de Guichard qui, moine aux origines obscures, est devenu, grâce au soutien de deux reines, Blanche dArtois puis Jeanne de Navarre, abbé dun prestigieux monastère avant daccéder à la fonction dévêque de Troyes en 1298, ce qui fit de lui un des puissants personnages du Royaume de France. Mais, en 1305, Jeanne, lépouse de Philippe le Bel, décède brutalement, à trente-trois ans. Rapidement, ou quelques années plus tard suite à la «confession» dun ermite, Guichard se trouve accusé davoir tué la reine par envoûtement, et davoir cherché à empoisonner le frère et le fils du roi. Ces accusations poussent Philippe le Bel à faire pression sur le pape pour quil ordonne une enquête, qui se déroule en 1308-1309. Cest alors que les accusations contre lévêque se multiplient jusquà prendre un tour diabolique : assassin, il est aussi fornicateur, sodomite, simoniaque, usurier, violent, joueur, hérétique, faussaire, etc
tous crimes quavait annoncés la visite du diable en personne dans sa maison denfance. Finalement, quelques années plus tard, en 1314, il est simplement nommé évêque de Diakovar en Bosnie, un exil.
Mais ce livre ne raconte pas une histoire. Alain Provost ne se pose pas non plus en nouveau juge qui voudrait démêler le faux du vrai. Il ne sintéresse même que partiellement aux enjeux du procès : le procès comme mode de gouvernement et daffermissement de la présence royale dans le comté de Champagne récemment intégré au cur du pouvoir, limportance et le jeu des conseillés (comme Nogaret), la concurrence avec le pouvoir pontifical tous ces aspects sont certes étudiés, mais ils ne forment pas le fil directeur du livre.
Lessentiel est en effet une réflexion sur la pratique judiciaire. Il sagit de comprendre lemballement de la procédure et des accusations, en reliant tout cela à la fois au contexte intellectuel marqué par les développements de la démonologie ou des réflexions sur la richesse et la pauvreté, et au fonctionnement de lenquête elle-même. Lauteur se penche sur le processus de diffamation, sur la constitution des preuves et des actes daccusation, et surtout sur la parole des témoins. Par là, ce livre est une réflexion sur la production documentaire et ainsi sur lhistoire. Cest donc un livre à méditer, pour réfléchir sur la justice, y compris peut-être celle de notre temps ; sûrement pour aborder dautres sources médiévales qui évoquent la parole des accusés, notamment celle des procès des hérétiques.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 15/06/2010 ) Imprimer | | |