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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Des seigneurs et des moines | | | Florian Mazel Féodalités - 888-1180 Belin - Histoire de France 2010 / 36 € - 235.8 ffr. / 783 pages ISBN : 978-2-7011-3359-1 FORMAT : 17,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat est agrégé d'histoire. Enseignant dans le secondaire, il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Sans doute cette nouvelle Histoire de France dirigée par Joël Cornette fait-elle léconomie dun Tableau de la géographie de la France qui ouvrait celle dErnest Lavisse. Néanmoins, à la lecture de ce qui en est le deuxième tome, force est de lui reconnaître une approche géographique particulière du sujet. Loin denvisager la France comme étant, entre la définitive division de lEmpire carolingien après la déposition de Charles III le gros suivie de lélection à la royauté du grand-oncle dHugues Capet en 888 et lavènement de Philippe II Auguste en 1180, la Francie occidentale, le parti est pris, cartes à lappui fort heureusement, dévoquer aussi les provinces qui relèvent alors de la Francie orientale ou Germanie, des royaumes bourguignon et provençal, sans négliger celles appartenant aujourdhui à dautres nations mais alors vassales du roi des Francs : la Flandre et la Catalogne. Ces dernières fournissent dailleurs moult exemples.
Si cela suffit à faire douter le lecteur de lexistence dune France éternelle, le cas échéant, le découpage de louvrage achève de faire prendre conscience du rôle central de lespace français en devenir dans la civilisation européenne occidentale. Ici sélabore la société féodale et sa déconcentration du pouvoir politique après la centralisation carolingienne, un processus largement à lorigine de notre pays, soit dit en passant.
Ici naissent les clercs qui donnent des impulsions majeures tant dans la construction de lEglise (Hugues de Cluny ou le pape Léon IX, ancien évêque de Toul) que dans la théologie ou la spiritualité chrétienne (Bernard de Clairvaux) ou encore la pédagogie universitaire (Pierre Abélard). Ici se construisent des sociétés rurales et des sociétés urbaines, mais toujours autour du modèle seigneurial. Avec les moines, les seigneurs, laïcs ou ecclésiastiques, sont les grands acteurs de cette histoire. En plus dune étape de lhistoire de France, ce Féodalité est une étape de lhistoire de lEurope qui figurerait sans honte dans la collection des Grandes Civilisations de léditeur Arthaud.
Parce quil ne néglige aucuns des aspects du politique à léconomique en passant par le religieux et le monumental et sa symbolique, le volume tend cependant à présenter une faiblesse sur lévènementiel en dépit dune chronologie finale et de multiples généalogies comme il est de rigueur dans la collection. Le lecteur en quête des grandes dates qui ont fait la France aura un peu de mal à les retrouver dans le texte, lequel dailleurs nest pas dun accès toujours aisé, non pas à cause du style de Florian Mazel, mais parce que les questions abordées sont parfois dune haute réflexion. Le premier chapitre, «Lheure des princes», pourrait en rebuter plus dun. Il faut attendre le chapitre 9 pour renouer un peu avec une approche plus traditionnelle de lhistoire de France.
Plutôt que sur une date précise, les deux parties du livre sarticulent autour de la réforme grégorienne dont lauteur estime quelle constitue une rupture majeure tant dans ses conséquences ecclésiologiques que dans son approche du politique. A une longue mutation de lhéritage carolingien succède à partir du milieu du XIe siècle la mise en place dun autre monde, celui du bas moyen-âge.
Néanmoins, si les deux parties sont symétriques puisquelles abordent successivement les mêmes aspects thématiques, quoique de manière plus développée dans la deuxième partie puisque villes et campagnes y disposent de chapitres spécifiques, le ton de chacune delle est très différent. En envisageant les choses sous une approche plus notionnelle comme la seigneurie au chapitre 3, la première partie savère beaucoup plus complexe que la seconde où figurent dailleurs quelques morceaux magistraux comme le chapitre sur la rupture grégorienne, remarquable synthèse que lon ose à peine qualifier ainsi à cause de sa richesse et de sa complétude.
Par ailleurs, lauteur a pris soin de poser son ouvrage en opposition avec une historiographie républicaine qui a longtemps entretenu la vision dun moyen âge obscurantiste aux populations accablées par les droits seigneuriaux. Son souci le plus constant est de combattre le mythe de «lan mil» avec son cortège de peurs eschatologiques, sa brutale mutation avec lavènement dune société seigneuriale signifiant la déliquescence du pouvoir royal et donc de la nation française. Cest dailleurs sur ce vieux débat historiographique que souvre le dernier chapitre dit «Atelier de lhistorien», exercice de rigueur et ajout précieux de la collection.
Lhistorien ne peut avoir de sentiment mitigé devant une telle somme et une telle richesse iconographique jamais réduite à des fins illustratives. Sauf peut-être celui de se dire que ce volume nest pas accessible à tous et que cette Histoire de France ne sera pas aussi ''grand public'' que la été celle de Lavisse. Mais le métier dhistorien et la connaissance historique ont tellement progressé depuis
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 07/09/2010 ) Imprimer | | |
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