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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Aperçus sur le monachisme cistercien | | | Bernard de Clairvaux Sermons variés Cerf 2010 / 29 € - 189.95 ffr. / 300 pages ISBN : 978-2-204-09445-0 FORMAT : 12,5cm x 19,5cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire et docteur en histoire médiévale. Sa thèse a porté sur «Église, richesse et pauvreté dans lOccident médiéval. Lexégèse des Évangiles aux XIIe-XIIIe siècles». Imprimer
Bien quil ait constamment incité ses frères à rester cloîtrés et silencieux dans le paradis des monastères, Bernard de Clairvaux na pas lui-même cessé de voyager et de parler, pressé par le souci de diffuser toujours plus avant la réforme cistercienne. Sil na pas été le fondateur de lordre cistercien, créé quelques années avant quil ne le rejoignît en 1112, Bernard de Clairvaux a bien été le principal artisan de sa diffusion dans toute lEurope, se forgeant ainsi un pouvoir tel quil a pu être considéré comme un second pape, et construisant aussi en même temps une pensée spirituelle qui peut le faire considérer comme le dernier des «Pères de lÉglise». Or cest à la parole avant tout quil doit un tel prestige et une telle influence.
Ce sont quelques-uns de ces discours, quelques bribes de cette parole qui sont rassemblés et traduits dans le recueil des Sermons variés. Comme le reconnaissent les éditeurs du volume, les lecteurs ne trouveront pas là les sermons les plus fameux de labbé de Clairvaux, ni ses uvres les plus abouties. Souvent ce nest pas du meilleur saint Bernard (p.233), ni dans le style, ni dans le contenu doctrinal. Ce volume nest pourtant pas dépourvu dintérêt, loin de là.
Lintérêt est dabord historique. Les dix sermons réunis correspondent à des textes prononcés par Bernard et notés par son secrétaire ou un auditeur. Bernard les a laissés de côté, sans les remanier, et sans les intégrer dans la collection de sermons quil a réunie à la fin de sa vie. Par conséquent, ces sermons sont demeurés proches de ce qui a pu effectivement être prononcé à loral, et renseignent ainsi sur la réalité de la prédication monastique, mieux que des sermons réécrits.
Cette prédication apparaît ici dans toute sa variété. Non seulement les occasions et les sujets des sermons diffèrent, mais la méthode elle-même varie. Si le sermon sur saint Benoît sapparente à une forme de commentaire biblique, celui pour lAvent constitue un exposé structuré plus thématiquement, celui pour lépiphanie se déploie autour dun seul mot la paix -, un de ceux consacrés à saint Victor est une forme dhagiographie, et celui sur la volonté de Dieu sapparente au commentaire dune des phrases du Notre-Père. Certains sermons sont très brefs, dautres bien plus longs. La prédication na donc pas lunité (ou la monotonie) que pourraient laisser penser les Sermons sur le Cantique.
Le contenu de la prédication fournit quant à lui autant daperçus de la vie monastique telle que la conçoit labbé de Clairvaux. Le premier et le sixième sermons illustrent la «pauvreté volontaire» : celle-ci est présentée comme une épreuve rigoureuse dascétisme, puisque cest une forme d«enfer» ou de «martyre», mais cest aussi un «bienheureux enfer» qui rapproche de Dieu en imitant la pauvreté des apôtres, et qui garantit aussi dans lau-delà une place éminente. Une autre vertu couramment mise en valeur est bien sûr celle de lhumilité : le sermon sur la conversion de Paul lui est presque intégralement consacré. La vertu la plus importante est toutefois probablement celle de lobéissance. : «Embrasse donc de tout lélan de ton esprit et de tout leffort de ton corps, oui, embrasse ce bien quest lobéissance» (p.105). Car lobéissance nest pas seulement utile au bon fonctionnement du monastère, elle est avant tout la vertu qui permet daccéder à Dieu. Elle doit en effet être replacée dans le cadre dune anthropologie que plusieurs sermons présentent, et dans laquelle la volonté a un rôle capital, car cest elle qui peut et doit adhérer à la volonté divine.
Cela ne va toutefois pas sans difficultés et il est étonnant de voir à quel point, dans ces sermons, la vie monastique est présentée comme un combat, comme une lutte incessante. Sil en souligne le prix, Bernard ne manque pas den rappeler les difficultés. Il nest pas simple dêtre moine : cest un combat sans cesse renouvelé, cest une vie pénible par ses exigences (jeûnes, pauvreté, travail). Aussi un saint comme Victor est-il à imiter car cest un saint combattant. De ce point de vue, il nest pas étonnant que les Templiers se soient inspirés du modèle cistercien, étendant la métaphore du combat à la guerre contre les infidèles.
Enfin ce recueil présente dautres centres dintérêts plus ponctuels. Les sermons pour la saint Victor témoignent dun certain scepticisme à propos des miracles : Bernard refuse en effet dy insister car ils sont certes dignes dadmiration, mais ne doivent pas être convoités ; de Victor, il retient principalement ce qui lui paraît imitable. En outre, ce volume ajoute aux neufs sermons édités dans lédition de référence des uvres complètes de Bernard en latin, un dixième sermon, pour la saint Benoît, qui devient ainsi facilement accessible, et dont lintérêt est grand tant par son influence sur lexégèse du XIIIe siècle, que par loriginalité de son interprétation. La présence du texte latin en regard de la traduction permet au lecteur de goûter les effets de style qui ne sont pas toujours possibles à traduire.
Laspect disparate du volume nôte donc rien à son intérêt. Il présente dailleurs une forme dunité en ce quil est une introduction au monachisme cistercien.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 22/02/2011 ) Imprimer | | |
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