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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Un traité médiéval d’économie | | | Pierre de Jean Olivi Traité des contrats Les Belles Lettres - Bibliothèque scolastique 2012 / 27 € - 176.85 ffr. / 448 pages ISBN : 978-2-251-61005-4 FORMAT : 12,9 cm × 19,3 cm
Sylvain Piron (Commentateur)
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire et docteur en histoire médiévale. Sa thèse a porté sur «Église, richesse et pauvreté dans lOccident médiéval. Lexégèse des Évangiles aux XIIe-XIIIe siècles". Imprimer
La publication du Traité des contrats de Pierre de Jean Olivi était un événement attendu par la communauté des médiévistes. Il sagit en effet dun texte qui nest véritablement connu que depuis les années 1970 au cours desquelles ont été publiées deux éditions italiennes, sans traduction. Depuis lors, ce traité a suscité létonnement car cest un franciscain provençal du XIIIe siècle, connu pour son engagement en faveur dune pauvreté radicale, qui a écrit un des premiers traités médiévaux déconomie, lequel laisse une assez large latitude daction aux marchands qui font fructifier un capital (le mot revient souvent dans le texte). Cest pourquoi ce texte a tantôt été considéré comme une uvre mineure, tantôt comme une sorte dhapax, tantôt comme «laspect bizarre dune pensée hors-norme» (Le Goff, cité p.18), tantôt au contraire comme un ouvrage majeur. Toutefois, laccès à luvre elle-même demeurait très ardu en raison déditions partiellement fautives, mais surtout à cause de la difficulté du latin et plus encore de la complexité de la pensée qui sy déploie et des réalités qui y sont étudiées.
Ce sont ces obstacles que permet de surmonter cette nouvelle édition, fruit dun long travail de Sylvain Piron qui avait soutenu sa thèse sur ce sujet en 1999 et a poursuivi ses recherches sur ces questions en qualité de maître de conférences à lEHESS. Ce volume comporte tout dabord une nouvelle édition du texte latin, permise par la découverte de deux nouveaux manuscrits, dont lun qui transmet une version révisée par Olivi lui-même de son traité. Cest donc cette deuxième version du traité qui est ici éditée.
À cela sajoute une traduction française rédigée dans une langue accessible, sans technicité excessive ni fioritures rhétoriques. La lecture est surtout aidée par une soixantaine de pages de «notes complémentaires» extrêmement précieuses. Elles constituent un commentaire linéaire du traité qui met en avant les enjeux des questions traitées, souligne loriginalité ou non des réponses apportées, justifie des choix de traduction, explique les points les plus obscurs, et surtout replace le contenu du traité dans son contexte intellectuel (celui du droit canon, de la théologie, de la philosophie) et dans son contexte historique (celui des contrats et des réalités politiques et économiques du Languedoc du XIIIe siècle).
Lensemble est précédé par une triple introduction. Un avant-propos discute la possibilité de parler déconomie médiévale et entend montrer comment cette pensée peut fournir un axe pour critiquer léconomie politique moderne. Une présentation indique le contexte de rédaction (une première rédaction vers 1293-94 à Narbonne, ré-élaborée dans les années 1295-1296), lorigine du traité et ses destinataires. Elle présente aussi succinctement les influences de la pensée franciscaine et des développements juridiques ou philosophiques. Enfin, les principes dédition développent les aspects plus techniques sur le choix des manuscrits.
Il est donc désormais possible, pour un lecteur francophone, de découvrir ce fameux Traité des contrats et il faut reconnaître que sa lecture est souvent fascinante. En effet, même si S. Piron souligne la normalité de ce traité, on y trouve, à côté de questions qui demeurent déroutantes voire absconses (comme le cas de celui qui achète des moutons à un homme qui nen possède pas), des développements très intéressants sur la valeur dun bien, sur le rôle des marchands, sur la notion de capital, sur limportance accordée au travail des marchands et au risque quencourt le capital. Dans toutes ces réflexions, le penseur franciscain laisse à la communauté civile une assez grande liberté daction, en ne cherchant pas à lui imposer des normes qui seraient propres aux franciscains. Cest une forme de tolérance à légard des activités marchandes qui se déploie ici.
Lusure est la question centrale du traité (car cest, selon la formule de S. Piron, la «clé de voute» (p.17) de la réflexion économique des scolastiques) mais toute une partie consacrée aux «précisions sur la matière des usures» montre bien comment Olivi restreint le champ dapplication de cette norme ecclésiastique, en usant parfois de réflexions philosophiques approfondies, notamment sur la notion de temps.
Le Traité des contrats demeure donc certes une lecture dépaysante mais désormais possible en français et bien guidée !
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 07/05/2013 ) Imprimer
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