 | |
Louis XI de Jacques Heers: portrait à l'emporte-pièce | | | Jacques Heers Louis XI Perrin - Tempus 2003 / 9 € - 58.95 ffr. / 430 pages ISBN : 2-262-02084-1 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru une première fois en 1999 (Perrin).
L'auteur du compte rendu: agrégée d'Histoire, docteur de l'Université de Lille III en Histoire moderne, actuellement Chargée de Recherche (1ère classe) au C.N.R.S., Isabelle Brancourt est en poste au Centre d'Etude d'Histoire Juridique (Archives nationales). Ses recherches concernent l'histoire de la justice du Parlement de Paris et de la procédure sous l'Ancien Régime.
Imprimer
Louvrage de M. Heers est une biographie, non lhistoire dun règne, encore moins de la France sous le règne de Louis XI. Entièrement construit autour du personnage de Louis XI, le livre ne se présente pas non plus sous la forme classique de ce genre littéraire si délicat : la chronologie de la vie du roi, trame nécessaire et dailleurs respectée, ne structure pas louvrage du début à la fin, mais chacune de ses parties. Celles-ci, au nombre de six, ne sont pas de ces partitions académiques dont le nombre même ferait injure à la loi ternaire : elles sapparentent plutôt à des tableaux, peintures sur bois, si typiquement médiévales, de ces panonceaux peints de couleurs vives qui, assemblées, formeraient comme un retable dont la vita de Louis XI serait le thème commun.
Dans chacun de ces panneaux (on pourrait aussi les comparer à des pièces de tapisserie comme en étaient décorées les salles des châteaux), Louis XI apparaît, vêtu différemment selon laction qui lanime. Le premier («Le fil, la trame et la toile»), tout en longueur, en mouvement aussi, est comme la frise de lensemble du règne : Louis XI, à peine esquissé et en même temps multiple, la traverse, en dauphin hâtif, rebelle, rongeant son frein, en roi décidé et bâtisseur de sa France dans les heurs et malheurs dun temps difficile. Le lecteur survole ces vingt-deux années, comprend les articulations, et retient les points névralgiques de ce règne dont M. Heers sait quil a eu déjà de bons chroniqueurs. Il ne sattarde pas.
Les cinq autres tableaux, au contraire, peignent le roi en traits aigus et incisifs : il apparaît alors haut en couleur, dominant nettement son entourage ou larrière-plan événementiel. On le voit tour à tour en majesté, de soie et de velours vêtu ; puis en maître, à cheval pour voir et contrôler tout et partout , à son siège pour réfléchir et dicter, pour «consulter souvent et toujours tout conduire» (p.180) ; ensuite en justicier, terrible balance dune société où le prince est un, le féodal abaissé et le sujet soumis ; en guerrier aussi, contrairement à la légende, toujours sur la brèche, chef de guerre et dopération, adepte dune guerre sans quartier, impitoyable et efficace, pour avoir tiré les leçons de la bataille de Montléry (1465) ; enfin en chrétien, soumis à la papauté à condition de la gouverner, à Dieu par réalisme, et dévot sincère, ostentatoire mais pleinement de son temps.
Les traits sont colorés, saisissants, dautant plus quil semble que ce soit Louis XI lui-même qui tienne le pinceau. M. Heers crée cette impression grâce à deux procédés constants : dune part, on remarque lutilisation privilégiée des lettres de Louis XI, dont lauteur démontre le caractère essentiellement personnel, et des sources darchives, comptes et autres journaux du Trésor : hors de toute subjectivité, les unes et les autres dessinent le décor choisi par le roi, reconstituent ses itinéraires, ses volontés, ses générosités, profilent ses amitiés et ses inimitiés, sans préjudice dune connaissance approfondie des sources plus communément exploitées, mémoires et témoignages, et de la manière dont elles lont été par lhistoriographie. Dautre part, M. Heers manie lart dentremêler le discours direct, entre guillemets, et la synthèse hardie de lévénement et de la pensée, qui tire les traits dunion entre les citations.
Ouverte tambour battant par une introduction dune exceptionnelle vivacité, la critique des sources et les analyses historiographiques apparaissent au cur de la démarche de M. Heers. Aucun mépris dans les réflexions sur le traitement scientifique antérieur de la question, au contraire, mais de pénétrantes remarques sur les motivations et les limites des travaux réalisés avec le souhait dapporter sa modeste contribution à cette recherche fondamentale de la vérité historique du personnage. Il ny a donc pas au fond de cette biographie de volonté de «réhabilitation» ni dinspiration «hagiographique». Louis XI nen sort ni déchu, ni grandi : seulement, il émerge nettement mieux du brouillard des siècles passés. Comme le révèle demblée le choix du portrait de couverture, ce roi apparaît surtout comme un homme qui a sidéré ses contemporains par son intelligence, sa vivacité, son activité incessante, dans tous les domaines ; nous dirions aujourdhui son hyperactivité. Une intelligence qui le place non pas en avance sur son temps, mais au-dessus. Utilisant sa parfaite connaissance de lItalie, lauteur a cru pouvoir déceler en Louis XI une «modernité» non pas des Lumières, loin de là, mais clairement «machiavélienne», avant la lettre, par simple imprégnation des modèles italiens de son temps. Cest ce «machiavélisme» inconscient de Louis XI qui autorise les seuls termes que lon pourrait taxer danachroniques, de louvrage : la «fronde» des princes et des ligueurs du Bien Public (ex. p.60), la «raison dEtat» (ex. p.124, 243), ce «métier de roi» (ex. p.157) auquel Louis XI paraît se délecter, semblent clairement renvoyer lesprit du lecteur à cet autre temps si «machiavélien» de notre histoire, celui des premières années du règne de Louis XIV, élève et filleul de Mazarin.
Car il y a dans le livre de M. Heers des choix très insolemment affirmés : ceux dune réelle intelligence de la monarchie ancienne, dun amour et dune familiarité affectueuse de la période à laquelle il a consacré sa vie, à ce «Moyen Age» dont il a fini par détester létiquetage, tant on a voulu lisoler (lostraciser ?) des mondes supposés de «lumière» que furent lAntiquité et la Renaissance. Il y a tout au long de ce travail un prégnant regret de la caricature simpliste dans laquelle le public, spécialement le public scolaire, est maintenu depuis tant de décennies non seulement de Louis XI, mais plus largement de son temps. M. Heers aimerait en découdre : les «faiseurs de manuels» (p.345) napprécieront guère. Depuis la publication en 2001 du Louis XI(Fayard) en 1019 pages de M. Jean Favier, lintérêt de ces 430 pages réside toujours dans ce «style» si original de leur auteur.
Isabelle Brancourt ( Mis en ligne le 07/11/2003 ) Imprimer | | |