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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Jacques Le Goff L' Europe est-elle née au Moyen-Age ? Seuil - Points histoire 2010 / 9.50 € - 62.23 ffr. / 344 pages ISBN : 978-2-7578-1963-0 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en septembre 2003 (Seuil)
L'auteur du compte rendu: Olivier Marin, ancien élève de lEcole Normale Supérieure, enseigne lhistoire du Moyen Age à lUniversité Paris-Nord et au Séminaire Saint-Sulpice. Imprimer
Depuis la publication de son grand livre Les Intellectuels au Moyen Age (Seuil, 1957, 2ème édition 1985), on savait J. Le Goff maître dans lart de lanachronisme. Il le prouve de nouveau avec cette synthèse, LEurope est-elle née au Moyen Age ?, dans laquelle il transfère brillamment au passé une catégorie issue des combats et débats contemporains. Sans doute le terme dEurope nétait-il pas tout à fait inconnu des médiévaux. Mais il restait alors dun usage plutôt rare, cantonné quil était au langage technique de la géographie. Cet espace ne suscitait-il donc aucun sentiment dappartenance ? J. Le Goff défend lidée que lEurope, dans ses profondeurs réelles comme imaginées, est née au cours du Moyen Age et que les projets dunification politique ultérieurs ont pu sédifier sur ces anciennes pierres dattente. Sa démonstration se lit comme un roman, car même si elle peut parfois prêter à contestation dans le détail, elle savère toujours perspicace et stimulante.
Les qualités de louvrage tiennent autant au genre adopté quà la méthode suivie. Il sagit dun essai historique, qui ne vise pas à lexhaustivité mais qui cherche à donner une vue cavalière des formes les plus significatives de la civilisation européenne médiévale. Cette gageure, J. Le Goff la remplit avec une virtuosité éblouissante. Nul ne sait comme lui mettre au jour les solidarités qui unissent les structures matérielles aux mentalités collectives, aux lois dorganisation sociale et jusquaux plus hautes formes de la production intellectuelle et artistique. Ce faisant, il assume ostensiblement ses goûts et ses passions, insiste à loisir sur ce qui fait ses délices de chercheur depuis des décennies ; on ne sétonnera donc pas que lEurope médiévale telle quil la voit soit celle du rire, de la cuisine, du Purgatoire et des marginaux.
Non moins admirable est sa capacité à restituer la diversité de notre continent, sans en excepter les prolongements scandinaves et slaves. A lheure où les pays dEurope centrale ont adhéré à lUnion Européenne, les pages quil consacre à la conversion des Slaves, à la menace mongole ou encore au Polonais Pawel Wlodkowic, premier théoricien du droit des gens, sont particulièrement bienvenues.
La méthode, dautre part, se veut résolument historique. J. Le Goff explore une à une les strates qui ont constitué successivement lEurope, depuis les ruines de lEmpire romain jusquaux grandes découvertes, et évite ainsi de senfermer dans une définition a priori qui risquerait den hypostasier tel ou tel aspect. Cela ne lui interdit certes pas de dévoiler ici où là le poids des permanences, mais il préfère montrer dans lEurope une réalité relative, aux limites fluctuantes, objet de rêves et de projets contradictoires. Cest dire que les échecs et les divisions ont aussi toute leur place dans ce livre qui allie avec bonheur le sens des vastes perspectives et celui de la complexité historique.
En létat, LEurope est-elle née au Moyen Age ? est donc un livre passionnant à mettre entre toutes les mains. Gageons de surcroît que lexcellente bibliographie qui laccompagne, à la fois très à jour et parfaitement maniable, piquera la curiosité de nombreux lecteurs désireux den savoir plus sur lhistoire de notre Vieux Continent. Sans bouder son plaisir, lhistorien de métier ne pourra sempêcher malgré tout de relever certains raccourcis et partis-pris qui appelleraient certainement la discussion. Sans doute nétait-il pas possible de tout dire en lespace de quelque trois cents pages. Il nempêche que la faible place accordée au haut Moyen Age, qui vit seffacer lantique Romania centrée sur la Méditerranée au profit des contrées septentrionales, laisse perplexe. Le choix des thèmes abordés prête également le flanc à la critique. Cest dabord quapparaît bien peu le rôle des institutions dans la formation de lEurope : J. Le Goff ne souffle mot ni de linstitution des chapitres généraux monastiques ni du développement de ladministration curiale et des légations, ni même des conciles généraux, dont on sait pourtant quils ont été des carrefours de lEurope bouillonnants de cosmopolitisme. Louvrage ne met guère non plus en valeur les événements, quils soient diplomatiques, militaires ou politiques. Le cas le plus flagrant est ici celui des croisades : maintenir, par une de ces boutades dont J. Le Goff a le secret, que lOccident nen a retiré comme seul bénéfice que labricot fait fi des innombrables échanges technologiques et économiques quelles ont occasionnés. Enfin, les traditions intellectuelles propres à lEurope auraient certainement mérité une plus grande attention, à commencer par le fait paradoxal que de laveu même des médiévaux, leur sagesse était tout entière tirée de langues étrangères de lhébreu, du grec et de larabe. Ce sentiment d«estrangement» à légard des sources du savoir et de la foi ne se retrouve ni chez les Byzantins ni chez les musulmans, et il a certainement été en partie à lorigine des renaissances européennes que décrit J. Le Goff. Aussi aurait-il pu discuter le bel essai consacré par lhistorien de la philosophie Rémi Brague à ces questions (sous le titre LEurope, La Voie romaine, Gallimard, 1998).
Mais de telles réserves ne font de toute manière que souligner limmense intérêt que lon trouvera à découvrir et à méditer le livre de J. Le Goff.
Olivier Marin ( Mis en ligne le 28/09/2010 ) Imprimer
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