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Histoire & Sciences sociales  ->  Moyen-Age  
 

Meurtres vénéneux : autopsie d’un crime
Franck Collard   Le Crime de poison au Moyen Age
PUF - Le noeud gordien 2003 /  32 € - 209.6 ffr. / 300 pages
ISBN : 2-13-052470-2
FORMAT : 15x22 cm

L'auteur du compte rendu: Perrine Cayron, après une hypokhâgne et une khâgne en Lettres classiques, a poursuivi son cursus en histoire. Elle est l'auteur d'un mémoire de maîtrise sur Jacob et sa maison aux temps carolingiens sous la direction d'Yves Sassier. Elle est actuellement enseignante.
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<i>«Quand le poignard brille moins, que le sang coule plus rarement, c’est alors que la mode est au poison».(Ch. Leleux, Les poisons à travers les âges, Paris, 1923).

Dans l’esprit des non-spécialistes, le Moyen Age est associé à des pratiques de cruauté impulsive et de violence sanguinaire alors que la perfidie venimeuse, infiniment plus sournoise, est assimilée de façon laudative à des périodes historiques jugées plus raffinées, «comme le temps des Césars ou celui des Borgia» (p.3). Il faut bien évidemment combattre ces a priori infondés. C’est le but de l’auteur de cet ouvrage, Franck Collard, disciple de Bernard Guenée et de Claude Gauvard. Cette étude est menée de façon poussée (l’ouvrage constitue une version amendée et allégée d’un mémoire d’habilitation à diriger des recherches) et rigoureuse ; elle offre une analyse approfondie, nuancée, illustrée par de nombreux exemples variés où chaque type de sources est tour à tour sollicité.

A l’origine de cet essai se trouvent une intuition double (celle de Jules Michelet et celle de Bernard Guenée) ainsi que le résultat des travaux de certains médiévistes européens qui ont qualifié à juste titre le XIIe siècle anglo-normand ou le XIVe siècle ibérique de «siècles des poisons». C’est bien peu pour se lancer dans une monographie recouvrant les dix siècles du Moyen Age occidental ; surtout si nous précisons que l’historiographie sur le sujet est fort maigre pour ne pas dire inexistante, et que les mentions dans les sources sont la plupart du temps lapidaires. Pour l’auteur de l’ouvrage, ces quelques éléments s’avérèrent suffisamment importants et le sujet grandement fascinant pour justifier la recherche sur un thème que la démographie historique, l’histoire des mœurs et de la vie privée n’avaient jusqu’à lors que contourné. L’entreprise avait même un goût de challenge : donner tort aux travaux des positivistes du XXe siècle qui étudièrent ces morts mystérieuses de l’histoire à la lumière des progrès de la médecine légale et qui qualifièrent les suppositions d’empoisonnement de «pathologies de professeurs d’histoire» (A.Brachet, 1903).

Le but de l’ouvrage est très simple : traiter de la criminalité par poison au Moyen Age, c’est-à-dire de 500 à 1500, en tirant partie de la distorsion entre pénurie bibliographie et luxuriance documentaire. La méthode utilisée se reflète dans le plan adopté par l’auteur qui définit dans un premier temps ce qu’il entend par «crime de poison», à savoir le mode d’existence de ce supposé crime dans les esprits. L’exhaustivité de l’essai réside aussi dans le mouvement qui rattache en permanence le sujet aux grandes problématiques dégagées par les spécialistes de la criminalité : une attention soutenue portée à la définition du crime, sa mesure, sa sociologie, ses procédures, son appréhension morale, judiciaire et juridique.

Le crime de poison s’inscrit en totale opposition par rapport aux valeurs de la civilisation occidentale médiévale car il sort des voies classiques de la violence spontanée pour emprunter celles de la préméditation, de la dissimulation bref, de l’ombre. Par la perception seule du résultat, le crime de poison est privé de réelle «visibilité historique» (p.9). Dans les sources narratives et surtout les chroniques, le crime de venin ne semble guère digne de mention quoiqu’il faille distinguer l’indifférence de la censure. De plus, quand l’empoisonnement est mentionné dans ce type de sources, dans 30% des cas il l’est par des formules indirectes qui soulignent davantage la rumeur, la fama de veneno, que le fait lui-même.

Un premier obstacle est constitué par les difficultés de quantification de ce phénomène criminel car nous manquons de séries chiffrées pour la quasi-totalité de la période et nous nous heurtons aux enregistrements partiels de ces meurtres. «Des origines médiévales à la mort du Roi-Soleil, la criminalité apparente ne présente qu’un rapport tangentiel avec la criminalité réelle», expliquait A. Soman (cit.p.39). De plus, si les sources signalent la justice criminelle, le meurtre par venin complexifie le travail car il n’est marqué par aucune trace : ni sang, ni plaie. Ce constat réside principalement dans la nature de l’arme qui donne sa singularité à ce crime.

D’où viennent ces substances vénéneuses ? Les régions vénénifères sont à la périphérie de l’Occident médiéval car considérées par la chrétienté comme berceaux de produits impurs : Orient lointain, Chine, Inde. Si les gisements de venins sont lointains, ces produits se trouvent facilement en Europe, dans les grandes villes, officines et apothicaireries et notamment en Espagne où la cité de Tolède est réputée pour ces potions en tous genres. La démocratisation des poisons et la baisse des coûts se renforcent à la fin du Moyen Age et la réglementation du marché apparaît dès 1326 dans les territoires de la couronne aragonaise. L’auteur fait même une incursion dans la composition chimique des différents éléments toxiques utilisés, proposant une typologie précise des poisons simples (guède, aconit, ellébore, réalgar, arsenic, litharge et autre pierre d’aimant) aux poisons composés (mélanges où les composants animaux prédominent tels que scorpion, crapaud, araignée, lézard et autres rats) en passant par les posologies et supports pratiqués en fonction des effets désirés.

Au delà de la réalisation propre du crime de poison et des mobiles qui l’ont motivé, il faut se pencher sur l’inscription d’un tel geste dans l’univers relationnel. En effet, pour la période médiévale, les liens familiaux sont les premiers affectés par la toxicatio. La cellule conjugale est un des cadres les plus fréquents de la criminalité toxique, alors qu’elle est assez préservée du crime en général, et ce symboliquement car bibliquement, la relation conjugale d’Adam et Eve, archétypale, est affectée par le poison. Plus largement, le crime de poison s’inscrit dans les relations de parenté proche ou lâche (18% des cas répertoriés). Ces relations impliquent un contact entre les personnes : parenté ou union, subordination paternelle ou maternelle. Hors du mariage et de la filiation mêmes, la parenté lie environ 8% des victimes à leurs agresseurs (c’est la confirmation que l’empoisonnement est bien un meurtre en famille qui bafoue les liens du sang tout en évitant de le verser). A côté des liens de parenté, les liens de service sont très affectés par le venin mortel (dans 1/6ème des cas étudiés la victime succombe à son serviteur). L’usage du poison et le crime vénéneux en lui même évoluent donc dans une sphère domestique, dans un espace clos, et affectent des relations hiérarchiques.

Enfin, le point culminant de cet essai réside sans doute dans l’interprétation qui est proposée des visées des empoisonneurs dans la réalisation de leurs crime. Trois axes sont successivement abordés : la destruction des cellules de base (arme de proximité dont la portée sociale est infaillible) ; la corrosion du corps politique (à l’échelle supérieure de la communauté politique, l’usage du poison bouleverse l’ordre immuable et vise à en établir un nouveau obéissant à la volonté humaine). Enfin, l’usage du poison ou la simple accusation d’empoisonnement revêtent une ultime fonction sociale : la fonction cathartique ou purificatrice. Régulateur politique, ruine d’un ennemi, instrumentalisation, outil de légitimation ou au contraire moyen d’entériner une répudiation, l’imputation d’empoisonnement peut remplir successivement toute ces fonctions de purge des tensions qui traversent la société, car l’intention est aussi coupable que l’acte (héritage de l’idée antique romaine qui met sur le même plan la voluntas occidendi et le scelus).

Cet essai brillant, ambitieux, enlevé et très complet est donc parvenu à brosser un tableau vivant et dynamique de ce que pouvait être la criminalité venimeuse dans l’Occident médiéval, sous toutes ses formes, et a réussi à faire apparaître la distorsion entre les faits eux-mêmes et leurs représentations mentales et sociales.


Perrine Cayron
( Mis en ligne le 21/01/2004 )
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       de Arlette Lebigre
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