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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
| Laurent Feller Eglise et société en Occident - Du début du VIIe au milieu du XIe siècle Armand Colin - "U" 2004 / 25 € - 163.75 ffr. / 284 pages ISBN : 2-200-26597-2 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Ancien élève de lENS Ulm, passé par lEcole Française de Rome, L. Feller est un spécialiste de lItalie médiévale et enseigne à lUniversité de Marne-la-Vallée. Le livre quil publie est une version remaniée de ses cours dagrégation, déjà publiés chez SEDES en 2001. Il sagit dun manuel riche, complet et équilibré qui fait le point sur la recherche et les débats historiographiques dans le cadre dune synthèse solide et précise (bonne bibliographie). Le plan permet de traiter toutes les questions de lhistoire de lEglise et de ses relations avec la société occidentale romanisée transformée en royaumes germaniques. Croisant chronologie et thèmes, il série les problèmes de chaque époque et montre lévolution des positions et des enjeux.
Le succès des invasions germaniques, en bouleversant la donne géopolitique, oblige lEglise chrétienne doccident, autour de son patriarcat romain, à sadapter pour maintenir la foi (que les empereurs avaient reconnue comme religion dEtat depuis Théodose en 397) et lui rallier les élites barbares avec laide des populations chrétiennes de lancien empire. Autre défi pour lEglise : diffuser la foi dans les campagnes qui restent encore par excellence un monde païen (le terme bas-latin «paganus» vient de «pagus» : le pays vécu des paysans). Déjà saint Martin de Tours avait commencé cette évangélisation, mais elle reste imparfaite quand les royaumes se mettent en place.
Le chapitre 1 montre «lEglise dItalie entre Byzance et les peuples germaniques». Au VIIe siècle, la papauté de Rome traîne une histoire décevante avec elle : la chute de lUrbs impériale sous les coups des barbares goths, la fin du statut de capitale impériale unique, puis la transformation en province byzantine. Mais après Justinien, lItalie devient majoritairement lombarde et Rome doit défendre sa position. Dès cette époque se pose la question des relations avec Byzance, héritière de lidée impériale: lindiscutable supériorité politique de Constantinople depuis le transfert officiel du siège du pouvoir monarchique implique-t-elle un effacement équivalent de Rome sur le plan religieux ? En installant à Byzance un patriarcat auprès du trône, lempire pose la question du statut de cette nouvelle métropole. Pour lUrbs, qui se considère comme de droit dépositaire de la primauté de Pierre, le patriarcat de Rome conserve, indépendamment des lieux du gouvernement civil, une dignité spéciale. Tandis que la coupure politique accentue les distances culturelles, Rome, méprisée, comme le latin et ses pères, par la haute culture byzantine, se sent de moins en mons encline à accepter la tutelle de Constantinople. Elle élabore depuis Grégoire le Grand une doctrine de son rang conjointement à une vision de léducation chrétienne qui fait moins de part aux humanités païennes et insiste sur lorthodoxie et loriginalité de la foi. La dégradation des rapports entre Rome et lempire vont favoriser la recherche dappuis politiques occidentaux non-ariens : la rencontre avec les Pépinnides et lalliance avec les Carolingiens sexpliquent par une identification croissante avec loccident stigmatisé et le besoin daffirmation auprès dune dynastie puissante capable dincarner lempire. Les bases du schisme avec Constantinople sont posées et sactualisent au cur de la période pour sofficialiser au milieu du XIe siècle.
Le chapitre 2 traite des périphéries espagnole et anglaise de la chrétienté, régions-limites géographiquement et idéologiquement, soit que la romanité y ait été moins forte, soit que larianisme wisigothique domine face à la volonté dorthodoxie romaine. Lieux aussi de redéfinition de la foi et des pratiques dévangélisation, car propices au dynamisme inventif soucieux defficacité auprès des païens. Le chapitre 3 sur lEglise franque au VIIe siècle fait le tableau dune christianisation inachevée et hétérogène de la Gaule romano-franque, un siècle ou deux après le baptême de Clovis. LEglise est dabord dominée par lépiscopat, qui tombe aux mains des familles aristocratiques à mesure que la foi pénètre la société, et savère instrument de contrôle, surtout en ville. Cette aristocratie est superficiellement chrétienne, effet des tactiques de conversion et dune compréhension biaisée de la foi : la morale en particulier laisse à désirer. La sainteté joue aussi un rôle ambigu de caution de laura païenne des dynasties germaniques. Face aux évêques, loyaux mais pas toujours zélés, certains rois appuient un renouveau monastique, relativement indépendant, se référant à saint Colomban et au monachisme irlandais. Ceux-ci répondent aussi mieux au besoin dune partie des élites : confession auriculaire, etc. Les fondations de monastères posent les bases dune histoire millénaire avec la royauté française.
Le chapitre 4 aborde les problèmes du VIIIe siècle et montre comment la profonde convergence dintérêt entre Rome (qui affirme son rayonnement par les missions aux païens vaguement christianisés) et les Francs (qui en profitent et aident la papauté contre les Lombards) mène au sacre de Pépin puis de Charlemagne et éloigne davantage la latinité romaine de Byzance sur le plan religieux et ecclésial. Rome trouve un appui politique pour imposer sa réforme épiscopale, monastique (généralisation de la règle bénédictine) et liturgique non sans introduire la royauté sacrée (épiscopalisée) dans les synodes et le contrôle de lEglise franque. Pour la culture, le culte et les relations avec le trône, la réforme carolingienne est un moment fondateur du Moyen âge. Le règne de Charlemagne (chapitre 5) est lépoque de réalisation de ce programme amorcé sous Pépin et dexpansion de la juridiction romaine. Au-delà même du règne, la dynastie réussit à imposer vers 867 à la papauté le «filioque» qui creuse dogmatiquement lécart avec Byzance. La question centrale de lépoque est bien celle des rapports pape-empereur. La description et lanalyse du couronnement de 800 permettent de penser le sens anti-byzantin et lambiguïté de lévénement quant aux relations de Rome et de «son» empereur. Ambiguïté qui éclatera à la fin de la période (et du manuel!) avec linterprétation grégorienne.
Lépoque de Louis le Pieux et de Charles le Chauve (chapitre 6) est déjà marquée par la recherche de léquilibre dans la coopération des deux pouvoirs pour le bien de lempire : entre piété zélée des souverains et crises avec la papauté. Rome profite des querelles dynastiques pour asseoir son autorité sur les évêques dans lempire et sactive dans la mission auprès des Slaves en concurrence avec Byzance : cest lépoque du premier schisme officiel. L. Feller rappelle justement quen 867 pourtant Rome nest pas séparée dogmatiquement de Byzance, mais tolère le Filioque ; cest sur la discipline et les entreprises slaves que le concile de Photius excommunie alors Nicolas Ier.
Les trois derniers chapitres portent sur la décadence morale de la papauté (la «pornocratie»), la réforme ottonienne germanique et sa curieuse conséquence : la rénovation agressive de la papauté tant envers les cadres désobéissants et indisciplinés de lEglise latine que contre la féodalité italienne naissante et bientôt contre lempire. la Réforme grégorienne appuyée sur les ordres monastiques reprend le contrôle des évêques et impose finalement ses cadres intellectuels, moraux et juridiques.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 22/06/2004 ) Imprimer
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