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Quand les morts voisinaient avec les vivants
Michel Lauwers   Naissance du cimetière - Lieux sacrés et terre des morts dans l'Occident médiéval
Aubier - Historique 2005 /  24 € - 157.2 ffr. / 394 pages
ISBN : 2-7007-2251-5
FORMAT : 13,5x22 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Dans la très belle collection "Historique", chez Aubier, dirigée par Alain Corbin et Jean-Claude Schmitt, Michel Lauwers, professeur à l’université de Nice, s’interroge sur la Naissance du cimetière. Il s’agit d’un ouvrage universitaire, donc accompagné d’un abondant appareil critique : notes, bibliographie et index.

L’auteur, dans ses remerciements, précise bien sa filiation intellectuelle : Jacques le Goff et Alain Guerreau en particulier. C’est d’ailleurs à la suite d’une observation de ce dernier sur «le silence des textes médiévaux sur les espaces-objets qui avaient précisément pour fonction de structurer l’espace social : les églises, les reliques, les cimetières. Ces objets «allaient de soi», poursuit-il, pour ainsi dire, et n’ont donné lieu, sauf exceptions rarissimes, à aucun développement abstrait. On trouve ici une sorte de «trou noir» de la pensée médiévale, qui devrait faire l’objet de recherches et de réfléxions approfondies» (cit.p17). Pour y répondre, M. Lauwers a sollicité les sources archéologiques, les théologiens mais aussi les juristes, et a constitué un vaste corpus de textes souvent cités, à l’appui de sa démonstration.

Une demande de Dominique Iogna-Prat d’organiser dans le cadre d’un colloque sur la spatialisation du sacré, une table ronde sur l’espace des morts, l’a conduit à ces recherches sur la naissance du cimetière. Que l’ouvrage ait été édité dans la collection dirigée par Jean Claude Schmitt n’a rien que de très logique, puisque, nous avertit M Lauwers, «c’est donc à une sorte d’anthropologie du sacré appliquée à l’Occident médiéval que j’invite le lecteur» (p.17).

La question qui se pose est de définir le cimetière comme un objet d’histoire et de suivre l’évolution de son statut des VIIe-XIIIes. Au cours de cette période, l’espace des morts devient progressivement un lieu consacré, au centre de la communauté des vivants, contigu à l’église. Il s’agit alors de comprendre comment les clercs s’affranchissent de l’autorité des seigneurs, font de l’église et du cimetière un espace sacré. Les VIIIe-IXe siècles constituent une étape décisive dans cette évolution qui conduit les évêques carolingiens à organiser l’ensemble des lieux de culte. Des récits fondateurs témoignent de cette évolution, avant qu’aux XIIe et XIIIe siècles les juristes de droit canonique la théorisent en même temps que se définit la «paroisse».

Éloigné des vivants durant l’Antiquité, le cimetière médiéval est inséré au cœur de l’espace habité, du moins pour les morts chrétiens, alors qu’entre les XIe et XIIIe siècles se définissent des espaces funéraires réservés aux communautés juives. Enfin l’Occident se préoccupe de la sépulture des exclus, excommuniés et interdits, qui ne peuvent être ensevelis en terre consacrée. À partir du XIIe siècle, les autorités ecclésiastiques en dressent la liste : adultères, excommuniés, suicidés etc. Des champs sont réservés pour les enfants morts sans baptême.

Désormais le séjour des morts devient un «espace social fortement investi», partie d’une communauté : l’église, celle des vivants et des morts ancrés dans la même terre, et l'on peut noter alors la polysémie du terme ecclésia qui désigne à la fois le groupe des fidèles, le bâtiment matériel, et éventuellement l’institution et le personnel ecclésiastique. L’existence de lieux consacrés (églises, cimetières) est d’ailleurs une des originalités de l’occident chrétien.

C’est dans le cadre d’un plan classique, en trois parties, que nous suivons la naissance du cimetière : "Des lieux sacrés, saints et religieux" (I), "Terra cimiteriata" (II), "Possession et usages de la terre cimitériale" (III). Dans la première partie, l’auteur présente, en s’appuyant sur les sources archéologiques, le choix des lieux et la construction progressive d’un espace contigu à l’église au coeur de la communauté des vivants. En suivant depuis le haut moyen âge les textes des autorités ecclésiastiques, il montre une évolution qui, des VIe-IXe siècles aux XIIe-XIIIe, conduit à utiliser, tout en s’en démarquant, les catégories antiques et à poser trois types de lieux : sacré («dédié à Dieu par la main de l’évêque» - p.108), saint («lieu établi pour les serviteurs de l’église» - ibid.) et religieux («tout lieu dans lequel est enterré le corps d’un homme ou une tête» - ibid.).

La seconde partie décrit l’histoire de la consécration des cimetières, contigus aux églises ; à l’époque médiévale, les morts sont ensevelis en pleine terre (les sarcophages de l’antiquité, remplacés par de simples coffres disparaissent vers le VIIIe siècle), de façon individuelle ; les fosses sont souvent creusées et les ossements déplacés dans des ossuaires. L’Eglise lutte contre la pratique de sépultures à l’intérieur du bâtiment et en contrepartie la sacralisation de l’espace cimetieral s’accentue. La pratique de la consécration du cimetière apparaît dans l’ensemble lotharingien, puis dans le monde anglo saxon (Xe–XIe siècle), et l’habitude d’inhumer les morts dans cet espace clos et protégé se généralise en Occident entre les Xe et XIIIe siècles. Généralisation qui ne s’opère pas sans conflits (entre autorités seigneuriales et autorités ecclésiastiques, entre évêques et moines, etc.) mais s’impose, alors que parallèlement s’impose aussi l’élaboration de listes d’exclus qui ne peuvent prétendre reposer dans un espace funéraire défini comme chrétien.

Enfin la troisième partie analyse les pratiques sociales. Les auteurs du Moyen Age, dans ce domaine, s’appuient sur la Genèse (chapitre 23), l’épisode du tombeau des Patriarches, qui décrit la façon dont Abraham acheta un champ et une grotte pour y aménager un caveau à son épouse défunte, près d’Hébron. Le texte fit l’objet de commentaires abondants, et les exégètes chrétiens s’attachèrent plus particulièrement à deux points : l’idée de tombe familiale (particulièrement appréciée des milieux aristocratiques) et l’achat du lieu (peut-on monnayer l’emplacement d’une sépulture ?). A partir du synode d’Arras (1025), les questions se déplacent et l’accent est porté sur la nécessaire union des chrétiens dans la mort, Abraham devient de façon un peu inattendue l’inventeur en quelque sorte des cimetières chrétiens des XIe-XIIIe siècles. «Le cimetière, qui jouit des mêmes privilèges que l’église, est consacré et béni, tout comme le Seigneur a béni, par les mains de ses serviteurs Abraham, Isaac et Jacob, la terre achetée aux fils d’Hébron pour leur sépulture.» (Guillaume de Mende, mort en 1296, p.220). Il est rassurant d’être inhumé sous le patronage symbolique du prophète, préfiguration du salut éternel symbolisé couramment par l’image du «sein d’Abraham» en qui reposent les élus au Paradis.

Séjour des morts, le cimetière ne se résume pas à cette seule fonction, les vivants l’occupent aussi : lieu sacré, mais également espace de plaid, lieux des fêtes, des danses, des jeux, des marchés… avec toutes les questions et conflits qu’entraîne cette imbrication entre sacré et profane. Habité, construit, planté durant plusieurs siècles, le cimetière est l’objet au cours du XIIIe siècle d’une réappropriation par les autorités ecclésiastiques. Évolution qui entraîne une réduction de la superficie de la terre des cimetières, ce que confirme l’archéologie, et le silence progressif des textes sur cette question, signe de l’efficacité des nouvelles dispositions.

Le cimetière prend un sens nouveau : lieu de prières, espace théâtralisé de la peur de l’enfer, apprécié des prédicateurs, soucieux d’impressionner leurs ouailles. Ainsi après avoir été durant plusieurs siècles un lieu où les ancêtres participent en quelque sorte de la communauté de vivants, le cimetière devient un espace où ces mêmes vivants contemplent leur destin futur…

Inscrit dans tout un courant de réflexion sur la mort et son histoire en Occident depuis P. Ariès, le livre de M. Lauwers répond avec rigueur et clarté à la question initiale : faire du cimetière un objet d’histoire.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 17/09/2005 )
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