| Martin Aurell La Légende du roi Arthur - 550-1250 Perrin 2007 / 25.80 € - 168.99 ffr. / 692 pages ISBN : 978-2-262-02635-6 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Avis aux lecteurs de Dan Brown et autres amateurs de fumisteries comploteuses et graalesques : le roi Arthur est une légende, une fiction nationale que sa rencontre avec quelques auteurs médiévaux a transformée en un mythe littéraire et politique, promis a un avenir riche, ô combien ! Pas de fumée sans feu, dit-on
? Certes, il y eut des prétendants, et des sérieux comme ce Lucius C. Artorius, héros dalmate venu faire souche en pays breton
mais plus sûrement, on se trouve là face à un processus dhistoricisation dun mythe national (de même que Fionn, héros irlandais contemporain), processus original qui fait la joie des érudits. De fait, ces derniers, réunis dans une société détude internationale, dénombrent à quelques milliers le nombre douvrages publiés sur Arthur et sa saga
Un mythe qui a la vie dure, donc !
Une saga qui naît au VIIIe siècle aux confins de lex empire romain, envahi par les barbares. Dans lAngleterre, les populations bretonnes celtiques ont vu débarquer les Angles et les Saxons, envahisseurs dorigine germanique. Face à linévitable conquête, un vengeur, incarnation de lhonneur celte, est apparu dans les légendes, un roi mythique, dont la tombe nexiste pas (il serait veillé en Avallon par Morgane la fée) et qui attend son heure pour libérer les Celtes, depuis en pleine diaspora
Propagande bretonne ? Instrument idéologique ou prosélyte ? Et cest ce vengeur, sillonnant les contes celtiques, les vies de saints, puis les travaux des chroniqueurs médiévaux avant daboutir dans la littérature de cour, qui va peu à peu se muer en un héros de légende, à qui lon cherche encore quelque réalité.
Louvrage du professeur Martin Aurell, de luniversité de Poitiers / IUF, est une gageure : comment faire lhistoire dun personnage littéraire, comment traiter un héros de saga en personnalité historique ? Comment remonter le cours du processus dhistoricisation ? Pour cela, lauteur, spécialiste du monde des cours et des troubadours, a entrepris de retracer lhistoire, non dArthur mais du mythe Arthurien, partant des mentions les plus anciennes, jusquà la réinterprétation révolutionnaire de Chrétien de Troyes, en examinant non seulement le mythe en soi, mais également le contexte qui lui donne naissance ainsi que les instruments de sa diffusion. Dans une introduction déjà très conséquente, il dresse un tableau synthétique de lhistoriographie arthurienne et des interprétations scientifiques (non sans condamner de manière un peu expéditive les analyses psychanalytiques) : une introduction riche qui révèle lampleur du sujet et de louvrage.
Car le mythe du roi Arthur, loin dêtre complet dès sa naissance, saffirme peu à peu, chaque auteur y ajoutant sa touche ; et à ce jeu, ce sont Geoffroi de Monmouth, historien imaginatif des anciens rois de Bretagne, et Chrétien de Troyes qui se partagent la palme du meilleur conteur, élaborant en grande partie le mythe tel quil nous est parvenu. Arthur apparaît dabord dans des sagas celtiques, la «matière de Bretagne», puis de manière anecdotique dans les vies des saints locaux avant de simposer comme personnage historique à part entière, roi antique de Bretagne, et enfin en thème littéraire en soi (le «roi caché») et de devenir, sous la plume de Chrétien de Troyes, tout à la fois lincarnation du roman damour courtois selon lexpression de Gaston Pâris et le héros chrétien en quête du Graal, roi modèle. Il puise à toutes les sources : romaine (avec lidée dune origine troyenne pour les Bretons, via lempereur Constantin), grecque (avec le modèle dAlexandre le grand)
Chaque auteur apporte sa pierre, parfois curieuse (Arthur séjournant au cur de lEtna, et prenant la tête de la mesnie Hellequin, célébrissime compagnie des revenants), qui transforme le mythe breton en une légende européenne, adaptée et popularisée de lEspagne au Saint Empire.
Et le mythe Arthurien nous en apprend aussi beaucoup sur les diverses époques de sa formation, des origines à la maturité (XIIIe siècle), sur les valeurs de la société chevaleresque, sur lavènement progressif dune culture courtoise, dun pouvoir royal construit autour de rituels (le sacre) et de lois, sur les arts de la guerre, sur les imaginaires des populations (Avalon, transposition romanesque de lautre monde celtique, avec son pommier miraculeux
la pomme, toujours la pomme). On y croise bien sûr quelques autres personnalités, tel Merlin (dédoublé à lorigine, entre un Merlin Sylvestre et un Merlin Ambroise), Keu, Gauvain
et surtout des mécènes, comme le roi Henri II Plantagenêt, introducteur de la matière de Bretagne sur le continent, ou encore Richard Cur de Lion, qui joue de la comparaison avec Arthur, promu «roi dAngleterre»
Le roi Arthur, outil de propagande politique ? Un mythe qui fait école et qui, né dans le paganisme celtique, finit instrumentalisé comme outil de conversion par le christianisme (avec linvention du Graal comme figuration de lEucharistie).
Avec cette Légende du roi Arthur, on est donc au confluent de lhistoire culturelle et littéraire médiévale (et lauteur consacre de longs développements à luvre et la carrière de Geoffroi de Monmouth et Chrétien de Troyes), de lhistoire des mentalités et des identités nationales. Une histoire manifestement complexe, que Martin Aurell manie avec habileté, sachant explorer la littérature dalors, alternant érudition et vaste synthèse : on ressort de cet ouvrage touffus, parfois austère, parfois ébouriffant de réflexion, avec limpression, rare, davoir assisté à la naissance et davoir suivi la fortune, au sens romain du terme, dun mythe politique majeur.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 15/02/2008 ) Imprimer | | |