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Histoire & Sciences sociales -> Moyen-Age |
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Comment s’est construite la dénonciation de l’ésotérisme | | | Jérôme Rousse-Lacordaire Esotérisme et christianisme - Histoire et enjeux théologiques d'une expatriation Cerf - Cogitatio Fidei 2007 / 44 € - 288.2 ffr. / 366 pages ISBN : 978-2-204-08330-0 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
Voir aussi : Jean-Pierre Brach et Jérôme Rousse-Lacordaire, Études dhistoire de lésotérisme. Mélanges offerts à Jean-Pierre Laurant pour son 60e anniversaire, Les éditions du Cerf (Patrimoines Christianisme), 2007, 457p., 49 , ISBN : 978-2-204-08210-5.
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire ; il est actuellement allocataire-moniteur à lUniversité de Nice Sophia-Antipolis, où il prépare une thèse en histoire médiévale sur «les fondements bibliques du discours ecclésiastique sur riches et pauvres aux XII-XIIIe siècles». Imprimer
Réintroduire lésotérisme dans la théologie catholique ? Constituer un ésotérisme chrétien ? Ces propositions, venant de lintérieur de lÉglise catholique, sont assez stupéfiantes. Depuis au moins deux siècles, les autorités ecclésiastiques nont eu de cesse, contre les accusations dobscurantisme, daffirmer la rationalité de leur discours. En outre, le développement de groupes plus ou moins sectaires dinspiration ésotérique, et qui contribuent à concurrencer lÉglise établie, a plutôt conduit à la formation de critiques vigoureuses contre ces tendances.
Cest à ces critiques quentend répondre Jérôme Rousse-Lacordaire. Dominicain, théologien, directeur de la célèbre bibliothèque (le Saulchoir) du couvent parisien où se sont croisés tant dintellectuels dominicains de haut vol non sans quelques conflits son travail sinscrit dabord dans une perspective interne à lÉglise. Cest une prise de position théologique et une réaction à un document pontifical publié en 2003 (Jésus-Christ, le porteur deau vive : une réflexion chrétienne sur le «Nouvel Âge»), qui intégrait sa dénonciation des doctrines New Age dans une condamnation générale de lensemble des formes ésotériques déployées depuis lépoque moderne. La thèse de ce théologien est que la condamnation actuelle de lésotérisme est le résultat dune «expatriation», dune coupure progressive entre la théologie et une forme de pensée qualifiée désotérique ; mais cette rupture ne serait imposée ni par la nature de la théologie chrétienne, ni par celle de lésotérisme. Il serait donc possible et souhaitable dopérer un rapatriement, en ouvrant la réflexion théologique sur lexpérience ésotérique, ce qui créerait les conditions dun dialogue avec les groupes se revendiquant dun ésotérisme chrétien.
Il appuie naturellement cette thèse sur des réflexions théologiques. Celles-ci se trouvent dans la troisième partie, et entendent poser les fondements méthodologiques pour une intégration de lexpérience ésotérique dans la théologie chrétienne orthodoxe. Mais lessentiel de louvrage est constitué par une approche historique, dont lintérêt dépasse très largement le cercle des théologiens catholiques. Il se livre en effet à toute une histoire de lésotérisme depuis le XVIe siècle, qui montre les étapes de l«expatriation». À la Renaissance, les courants ésotériques sont apparus en réaction contre la théologie scolastique, en visant une rénovation du catholicisme, et dans une intention apologétique. Puis ces courants ont été de plus en plus marginalisés, ou ils se sont eux-mêmes éloignés de la théologie catholique pour aboutir à la rupture totale entre ésotérisme et christianisme, qui se produit à la fin du XIXe siècle, en réaction au spiritisme et au théosophisme.
Toutefois, il est encore un point où cet ouvrage se montre passionnant, et du plus grand intérêt pour quiconque entend réfléchir sur les processus de formation des représentations et des condamnations. En effet ce livre constitue une brillante analyse de la genèse du processus de condamnation de lésotérisme comme hérésie. Il en met en valeur à la fois les procédés et les causes. Les causes : le progressif éloignement entre lésotérisme et les autorités scientifiques ou religieuses ; lapparition et le développement de formes ésotériques anticléricales. Les procédés : J. Rousse-Lacordaire montre fort bien comment, encore dans ce document pontifical de 2003, la condamnation de lésotérisme repose sur lamalgame et laccumulation des condamnations précédentes. Amalgame entre toutes les traditions ésotériques ramenées à une unité : Les pratiques nées dans un souci de défense de la religion catholique se trouvent confondues avec celles qui lui étaient totalement hostiles. Des mouvements diversifiés, et sans rapport entre eux, ont été construits en un modèle unifié, hiérarchisé, en une Contre-Église. Amalgame avec dautres réalités : La condamnation du secret dans les loges maçonniques a été peu à peu érigée en caractéristique distinctive de tout ésotérisme. Amalgame dans le temps : Cet ésotérisme unifié nest que la perpétuation de lhérésie gnostique condamnée par les premiers Pères de lÉglise.
Cette reconstitution des logiques du discours antihérétique rejoint ainsi les apports de lhistoriographie récente sur lhérésie médiévale. Les caractéristiques attribuées aujourdhui à lésotérisme sont celles données au XIIIe aux «cathares». Mais ces logiques ne sont probablement pas spécifiques au discours antihérétique et ouvrent à une réflexion générale sur les procédés de disqualification des opposants. Cest ce qui constitue, pour des lecteurs qui ne seraient pas engagés dans lÉglise, ou étrangers à la théologie, laspect le plus captivant de ce travail.
Notons que J. Rousse-Lacordaire, associé à Jean-Pierre Brach, a aussi dirigé un ouvrage collectif très riche offert en mélanges à Jean-Pierre Laurant, professeur à lÉcole Pratique des Hautes Études, qui a largement contribué à faire connaître lésotérisme chrétien du XIXe siècle. Cest un recueil de vingt-six articles sur des sujets précis très variés, regroupés autour de cinq thèmes : ésotérisme et sociologie ; ésotérisme et christianisme ; ésotérisme et franc-maçonnerie ; «politica hermetica» ; ésotérisme, art et littérature.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 10/04/2008 ) Imprimer | | |
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