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Un siècle eschatologique
Denis Crouzet   Dieu en ses royaumes - Une histoire des guerres de religion
Champ Vallon - Epoques 2008 /  30 € - 196.5 ffr. / 537 pages
ISBN : 978-2-87673-494-4
FORMAT : 15,5cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye poursuit une thèse consacrée au fils de Louis XIV sous la direction du professeur Joël Cornette à l’Université Paris VIII.
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«O maling Esprit Beelzebuth, mortel ennemy de Dieu, regarde, voyla le précieux corps de notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ ton maistre».

A livre baroque, titre baroque, car les étudiants qui préparent cette année les concours d’enseignement - dont l’une des questions porte sur les affrontements religieux au XVIe siècle -, ne trouveront pas dans cette histoire des guerres de religion une chronologie claire accompagnant leurs premiers pas. D’ailleurs, dès l’introduction de son ouvrage, Denis Crouzet, éminent spécialiste de la question, se défend d’écrire un manuel. Ce genre n’appartient pas au livre d’histoire, écrit-il, il n’est qu’une accumulation de faits, de noms, de titres, de dates… En effet, l’ambition de l’auteur se porte bien au-delà, dans la mesure où il tient à sonder l’imaginaire qui a conduit au déchaînement des violences religieuses.

De l’Espagne au Saint-Empire en passant par la France, il semble que dès la fin du XVe siècle, l’Europe ait basculé dans une angoisse eschatologique morbide où la pénitence et l’amendement paraissaient pouvoir épargner la damnation éternelle au croyant. Aussi Christophe Colomb, le chevalier de l’Apocalypse – selon les mots de l’auteur -, rêve-t-il de conquérir une Terre sainte plus que les Indes, cherche-t-il un paradis terrestre salutaire plus que l’or, tandis qu’Ignace de Loyola, «le mendiant d’amour» pour reprendre son paraphe, lutte sans merci contre la macule du péché originel qu’il sent frayer en lui.

Pour tenter de se désangoisser, les hommes cherchent les signes envoyés par Dieu. Les astrologues scrutent les étoiles, tandis que les exorcistes essayent de tirer de demi-fous la confirmation de la présence diabolique dans chaque hérétique. De leurs côtés, Martin Luther ainsi que Jean Calvin veulent réduire cet imaginaire malade, en croyant comprendre que l’amour de Dieu est gratuit, antécédent au péché et donc sourd aux macérations des croyants. Le conflit de ces deux imaginaires débouche sur des crises de violences paroxystiques comme celle commencée lors de la nuit de la Saint-Barthélemy (23-24 août 1572) en France où les catholiques cherchent, sous la peau retournée des visages de leurs victimes, la présence de Satan.

Dans ses deux lumineuses et dernières parties, Denis Crouzet montre comment l’État royal, d’abord impuissant à endiguer ce chaos, parvient, à la fin du XVIe siècle, à restaurer l’ordre. En effet, jusqu’à la paix de Cateau-Cambrésis (1559) qui met fin aux guerres d’Italie, le souverain participait d’«une tension mystique où son corps sacrificiel théâtralisé par la guerre endossait à lui tout seul la justice eschatologique de Dieu». Après la mort accidentelle d’Henri II (1559), les pulsions violentes trouvent comme exutoire l’appel à l’extermination des mauvais croyants. Dans un contexte panique d’imminence de la fin des Temps, le roi ne peut plus être alors l’articulation entre le terrestre et le céleste. Considéré comme tyran par le double assassinat du duc et du cardinal de Guise (décembre 1588), Henri III, le roi-antéchrist, pouvait mourir sous les coups du moine Clément, le 2 août 1589.

L’avènement de son cousin Henri IV s’accompagne d’une reconquête militaire du royaume, mais aussi, on le sait moins, d’une reconquête idéologique importante. L’érigeant en roi stoïcien, en roi de raison, l’entourage du Béarnais réussit progressivement à développer l’idée que le pouvoir politique doit empêcher l’instabilité des passions collectives. Et c’est bien dans l’ordre du discours qu’il faut chercher la grande réussite de l’absolutisme bourbonien, celle d’être arrivé à promouvoir une vision déterministe de l’Histoire, où le règne d’Henri IV était appelé à restaurer un temps de bonheur et d’ordre retrouvé.

Dans cet ouvrage, Denis Crouzet résume la plupart de ses idées développées depuis une trentaine d’années, et réussit à restituer un XVIe siècle moins proche de la perfection harmonique de la peinture italienne que des visions hallucinées d’un Jérôme Bosch. Cet historien-poète exhume un passé où le fonctionnement psychique des hommes tient la première place. Avec une grande sensibilité, il réussit à exhiber, par-delà les siècles, les mécanismes de la violence, tout en préservant la Renaissance de son exotisme comme lorsqu’il nous raconte la manière dont l’évêque de Laon, en 1566, expulse de l’une des héroïnes de ce livre, Nicole Obry, l’esprit malin qui la fait se jeter contre les murs, à l’aide de cette si belle formule: «O maling Esprit Beelzebuth, mortel ennemy de Dieu, regarde…»


Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 06/01/2009 )
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