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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Violence et religion dans l’ Europe des XVI-XVIIe siècles | | | Lucien Bély Collectif Les Affrontements religieux en Europe (1500-1650) PUPS 2009 / 12 € - 78.6 ffr. / 246 pages ISBN : 978-2-84050-626-3 FORMAT : 14,5cm x 21cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
LAssociation des historiens modernistes des universités françaises, à loccasion de sa réunion annuelle, a organisé un colloque sur le thème des affrontements religieux en Europe du début du XVIe au milieu du XVIIe siècle, pour sinscrire dans le cadre de la question mise en 2009/2010 au programme des concours, agrégation et CAPES. La question centrale est de comprendre comment le fait religieux peut conduire à la violence et sous quelle forme. Neuf historiens proposent des éléments de compréhension à partir de différents pays européens.
Le recueil est organisé en trois parties : «Approches historiographiques», «Faire la guerre, faire la paix» et «Les affrontements dans le Saint Empire». Le plan adopté répond aux contributions proposées et permet de rendre compte des espaces essentiels dans lesquels se sont déroulées les guerres de religion. On peut considérer que lespace britannique est un peu sous représenté, en dépit du bel article de François-Joseph Ruggiu («Les affrontements religieux en Angleterre et dans les îles britanniques dans la première moitié du XVIIe siècle») qui fait le point sur lhistoriographie anglaise, et de la place importante qui lui est donnée dans larticle de Benoist Pierre, «Clercs de cour et clercs dEtat dans les affrontements religieux européens (1500-1650)». En revanche, le Saint Empire, à lui seul, constitue une partie entière, choix qui se justifie et en raison de limportance des affrontements religieux dans cet espace et du rôle quils jouent par contrecoup en Europe, et aussi parce que labondante bibliographie sur le sujet est en allemand et donc plus difficile daccès pour le public français.
On mesure, à lire les différentes contributions, la variété des situations européennes. Cette variété apparaît dans les chronologies : en France, lédit de Nantes en 1598 marque larrêt des troubles, le dernier synode des églises réformées se tient en 1659 ; dans lEmpire, les dates de 1555 (paix dAugsbourg) et 1618-1648 (la guerre de Trente Ans) construisent une autre problématique ; dans les Pays Bas espagnols, les temps forts des affrontements sinscrivent entre 1521 et 1579, alors que dans les îles britanniques trois phases se succèdent, les années 1530, le règne de Marie Tudor (1553/58) et la période des révolutions (1630/60).
Dans une première partie, Hugues Daussy et François-Joseph Ruggiu font le point sur les approches historiographiques de la question et leurs renouvellements à partir des exemples français et anglais. Dès le XVIe siècle, les affrontements religieux ont en effet fait lobjet dune abondante production décrits, dimages, etc., qui racontent les événements en fonction denjeux idéologiques forts. En France, la saint Barthélemy est de ce point de vue exemplaire (on peut reprendre sur cet événement controversé le livre récent dArlette Jouanna). La seconde partie, «Faire la guerre, faire la paix», si elle comporte deux articles assez largement centrés, mais non exclusivement, sur la situation française (Jérémie Foa, ««Réconcilier les cueurs des subjects cy-devant divisez» : les commissaires des édits de pacification au temps des premières guerres de religion», et Pierre-Jean Souriac, «Affrontements religieux, révoltes et guerres civiles (XVe-XVIIe siècles). Formes et moyens dune société divisée»), ouvre aussi plus largement aux Pays Bas espagnols et à lEurope. Larticle de Benoist Pierre («Clercs de cour et clercs dEtat dans les affrontements religieux européens (1500-1650)») pose de façon tout à fait intéressante une réflexion dhistoire comparée sur le poids de ce clergé dans les affrontements religieux et la vie politique du XVIe siècle. Il marque la volonté de nuancer - en dépit de la tradition - le rôle que jouent ces clercs, premières cibles et victimes de la propagande de lun et lautre camp. Benoist Pierre dresse un portrait collectif tout à fait passionnant de ces clercs souvent réformateurs, qui nexercent pas une influence sans partage auprès des princes et des souverains, ne serait-ce dailleurs que parce quils sont divisés entre eux. Lauteur donne lexemple des confesseurs jésuites de lempereur et de la Bavière qui, tout en analysant le conflit comme une guerre de religion, sont, les uns en faveur de la paix, et les autres en faveur dune intervention guerrière. En France, après 1624, les jésuites, confesseurs royaux, favorables à une alliance avec les Habsbourg, furent écartés. Benoist Pierre conclut au rôle décisif des clercs de cour et dEtat dans les affrontements religieux de la première modernité : «on peut se demander si cette «royalisation» réelle ou vécue du personnel clérical, dont laction religieuse était ainsi guidée par des impératifs politiques, ne constituait pas lune des principales caractéristiques des États à lépoque moderne. Et si à linverse, les États, par linsertion en leur sein de ce type de clergé de plus en plus centralisé, ne cherchaient pas finalement à se «cléricaliser» (p.162).
La troisième partie est tout entière consacrée à lEmpire qui occupe dans cette histoire des affrontements religieux au XVIe siècle une place particulière : en raison de limportance de Luther, des choix opérés par les pouvoirs, de la place des controverses religieuses dans la vie des sociétés. Après la pause que représente la paix dAugsbourg en 1555, les conflits reprennent de façon extrêmement forte entre 1618 et 1648 (guerre de Trente ans) et ce nest quavec la paix de Westphalie quune solution viable est trouvée dans un espace désormais partagé entre protestants et catholiques. Cette troisième partie de louvrage est particulièrement intéressante dans la mesure où les auteurs font le point sur des questions peu connues du public français, et abondamment renouvelées par une bibliographie récente, essentiellement en allemand.
Naïma Ghermani, analyse «Les conflits confessionnels autour des espaces urbains dans lEmpire au XVIe siècle» et se propose de se pencher non plus sur ce que lon pourrait appeler les conflits idéologiques, mais sur les aspects concrets des affrontements dans lespace urbain : la lutte pour sapproprier les espaces, et en particulier les cimetières. Une des questions qui se posent depuis la fin du XVe siècle, dans un souci dhygiène, est en effet le déplacement des cimetières hors des murs, question antérieure à la Réformation, mais qui désormais, dans le contexte du XVIe siècle, se lit aussi dans un esprit confessionnel. En suivant Luther qui refusait limportant appareil de prières, messes, intercessions pour les morts, et avait marqué son indifférence à légard des lieux dinhumation, les partisans de la Réforme plaident en faveur des cimetières extérieurs aux villes, alors que les catholiques voient dans cette mesure un danger pour la mémoire des morts et la vie chrétienne. Le déplacement du cimetière hors les murs, qui résulte dune décision des autorités de la ville, est souvent alors le signe du basculement confessionnel de celle-ci.
Jean-Luc le Cam, en choisissant daborder «École, Université et affrontements religieux dans le Saint Empire», sujet auquel peu détudes ont été consacrées (en dehors de la question des jésuites), se propose denvisager les différents lieux denseignement à la fois comme cadre et comme modèles de laffrontement religieux. Les universités sont le lieu privilégié des disputes et colloques religieux. On voit saffirmer les choix : ainsi Heidelberg, haut lieu de la Réforme, tandis quIngosltadt joue le même rôle pour les catholiques ; apparaît la figure, qui se généralise, de létudiant boursier. Cependant, outre les affrontements entre partisans et adversaires de la Réforme, il faut aussi songer aux divisions et querelles internes dans le camp du protestantisme ; conflits qui sont tout autant des conflits religieux que des conflits opposant les universitaires entre eux, dans leurs rivalités. Autre sujet de débat : la place de la théologie par rapport à la philosophie et aux autres sciences à lintérieur de luniversité. Universités et École connaissent de profonds remaniements à lépoque (pour lécole, le grand réformateur est Melanchton), mais il faut cependant nuancer la thèse de la confessionnalisation dans la mesure où, justement, le succès des réformes scolaires et universitaires suscite dans ces établissements de fortes tendances à lautonomie. Christophe Duhamelle («Linvention de la coexistence confessionnelle dans le Saint Empire (1555-1648)») met en évidence la longue histoire du droit de lEmpire qui, sur des bases fondées au XVe siècle, permet la paix dAugsbourg. Celle-ci, texte fondamental, comporte cependant des insuffisances que combleront les textes de la paix de Westphalie qui introduiront à lintérieur de la Diète le principe des deux Corps (Corpus Evangelicorum et Corpus Catholicorum). Il démontre que les solutions et compromis élaborés au cours des affrontements sinscrivent dans une tradition juridique en construction depuis le XVe siècle. Une approche juridique rarement abordée et qui ouvre des perspectives stimulantes.
En conclusion : un ouvrage tout à fait intéressant, qui permet de faire le point sur des questions qui ont été - ou sont - profondément renouvelées et qui offre une présentation claire des travaux des historiens étrangers sur la question. Un ouvrage de spécialistes, à lérudition sûre, écrit pour un public universitaire.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 19/05/2009 ) Imprimer
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