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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Marquis de Sade Ecrits politiques Bartillat - Omnia 2009 / 13 € - 85.15 ffr. / 290 pages ISBN : 978-2841004577 FORMAT : 11,5cm x 18cm
Textes choisis, présentés et annotés par Maurice Lever. Imprimer
Le concept de «libertinage» occulte en grande part les multiples facettes du Divin Marquis. Depuis quelques années, on explore néanmoins in se le Sade juriste, le Sade théologien, le Sade philosophe, etc. En sappuyant sur une judicieuse sélection dextraits, les Éditions Bartillat apportent à présent un éclairage sur le Sade politique.
Lintroduction de Maurice Lever, spécialiste patenté du «bloc dabîme» sadien, cerne le paradoxe qui anime lattitude de ce spécimen unique face au pouvoir : «Nul écrivain ne possède moins [
] le goût de la théorie. Nul nest plus éloigné que lui de lesprit de système», affirme-t-il demblée. Mais force est de constater que, lorsque le pervers Donatien se plaît à décrire les parties fines, il agence avec minutie ses personnages et leurs postures, jusquau moindre détail. La ritualisation et la «cérémonialisation» de la débauche atteignent alors leur comble, révélant un souci de la Loi inattendu chez cet athée intégral.
Lexpérience politique de Sade se base en outre sur une anti-valeur, peu conforme à servir de base à une quelconque éthique collective : la solitude. «Le prochain ne mest rien : il ny a pas le plus petit rapport entre lui et moi», sexclame-t-il du fond de la geôle où il sest mis. Sil se contrefiche de la Société, de ses interdits et de ses dirigeants, le libertin nen demeure pas moins le générateur dun «ordre», quil organise selon ses propres protocoles, comme en autarcie. Cette coercition, parallèle et marginale, lui garantit lespace indispensable à lexercice de sa souveraine liberté. Elle sinscrit dans une dialectique très originale entre «la Loi et le pouvoir individuel fondé sur la sexualité».
Tenant dun aristocratisme du sang et dun retour au féodalisme, Sade ralliera pourtant les révolutionnaires par rejet de la «bourbonnaille», qui a selon lui corrompu le régime traditionnel en suscitant la noblesse de robe. Le Seigneur de La Coste méprise les accointances de sa caste avec la bourgeoisie mercantile. Est-ce la révolte que lui inspire cette classe en pleine ascension qui va le pousser à sacoquiner avec les éléments ultras de la Révolution ? En tout cas, en 1793, Sade sera le porte-plume quinquagénaire de la terrible Section des Piques et deviendra lami de la Terreur. Michelet le croquera en ces termes : «Professeur émérite du crime, il enseignait avec lautorité de lâge et dans les formes élégantes dun homme de sa condition, que la nature, indifférente au bien, au mal, nest quune succession de meurtres, quelle aime tuer une existence pour en susciter des milliers, que le monde est un vaste crime».
Le trait est de toute évidence forcé. Lever parle de façon plus pondérée dun «monarchisme critique» et entrevoit, sous les outrances du Marquis, une authentique revendication libérale. Il lapparente aux «monarchiens», frange partisane dun parlementarisme bicaméral qui, nexcluant en rien la royauté, tente de concilier «droits des princes et droits des hommes». Dailleurs, à cette époque de bouillonnement intellectuel, Sade fréquente à la fois les «citoyens actifs» de la Place Vendôme et le club des Impartiaux de Stanislas de Clermont-Tonnerre ! Lhomme nest pas à une contradiction près ; au moment cependant de choisir entre les constitutionnalistes contre-révolutionnaires et les sectionnaires, il rejoindra prudemment ces derniers.
Il faut dire que son ardent désir dassister au triomphe de ses pièces sur les scènes parisiennes lemporte sur toute autre décision. On se demande quelle aurait été la destinée de Sade sil avait opté pour lÉmigration ; il aurait peut-être échappé au piège de la fièvre moraliste qui sempare de la vertueuse et salubre République et se referme comme une nasse sur les esprits seulement préoccupés par lart de jouir, en parfaits cyniques
Sade le comédien aura beau prétendre suivre les règles du jeu de lidéologie dominante, il ne se reconnaîtra plus dans les mesures de salut public et les déclarations patriotiques de la nouvelle France. Il ne peut décidément sorienter que vers lAnarchie absolue, en professant labolition des codes, des principes et de la religion, et en prônant le vide institutionnel.
Inséré dans le roman épistolaire Aline et Valcour, le récit Tamoé ou lutopie est la meilleure illustration de lidéal sadien en matière dorganisation sociale : «[un]univers clos sur lui-même, où règnent lordre et lharmonie, et le sage législateur (Zamé) chargé dexprimer la pensée politique de lauteur». Cest en somme le mythe de lâge dor qui est dépeint ici, et que Sade fera sien un temps. La prose de cette narration, dans le sillage de Thomas More ou Campanella, na pas grand-chose de commun avec le langage vrai que Sade mettra en uvre par la suite dans ses opuscules, pétitions, lettres et «choses vues».
Le recueil permet ainsi de redécouvrir laudacieuse Idée sur le mode de la sanction des lois de novembre 1792, véritable appel à une démocratie directe, ou encore limpressionnant Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier, homélie durant laquelle Sade a ces mots étonnants à propos de Charlotte Corday : «Le barbare assassin de Marat, semblable à ces êtres mixtes auxquels on ne peut assigner aucun sexe, vomi par les enfers pour le désespoir de tous les deux, nappartient directement à aucun. Il faut quun voile funèbre enveloppe à jamais sa mémoire, quon cesse de nous présenter, comme on ose le faire, son effigie sous lemblème enchanteur de la beauté. Artistes trop crédules, brisez, renversez, défigurez les traits de ce monstre, ou ne loffrez à nos yeux indignés quau milieu des furies du Tartare».
Malgré cette fervente activité, Sade sera rattrapé par lHistoire et suspecté dêtre un ennemi opportuniste et modérantiste de la République. Sa revanche ne tarde guère : intégré dans La Philosophie dans le boudoir, Français, encore un effort si vous voulez être républicains constitue une attaque globale du christianisme, auquel est amalgamé le théisme de Robespierre. Cest aussi lun des plus virulents plaidoyers contre la peine de mort jamais écrits, dont lhumanisme de façade est contrebalancé par une constante apologie du crime. La bienheureuse Tamoé est mise sens dessus dessous et Lever peut commenter au sujet de ce pamphlet : «Qui ne perçoit, derrière ces pages, létrange ricanement, noir et glacé, si fréquent chez Sade, et qui est sa façon de railler ? Ce diable dhomme na jamais su manier lironie, sans que sy mêle un frisson dhorreur».
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 10/11/2009 ) Imprimer
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