| Jean-Luc Chartier Justice, une réforme manquée. 1771-1774 - Le chancelier de Maupeou Fayard 2009 / 24.90 € - 163.1 ffr. / 347 pages ISBN : 978-2-213-64264-2 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
Préface de Jean Foyer
Lauteur du compte rendu : Franck Hurinville, diplômé de Sciences-Po Paris, est Conservateur des Bibliothèques. Il dirige le département des Monographies de la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas. Imprimer
Cest un épisode méconnu de la France du XVIIIe siècle et cest un grand homme dEtat que Jean-Luc A. Chartier tire dun oubli injustifié.
La monarchie des années 1770 est en crise. Le Roi peine de plus en plus à imposer sa volonté à sa noblesse, notamment celle de son Parlement de Paris, ces parlementaires récalcitrants, imbus de leur prérogatives, irrespectueux dun souverain vieillissant et moqué pour son goût des femmes. Excédé, le vieux roi va alors tenter magistralement un essai de despotisme éclairé et modernisateur. Il convie à ses côtés un magistrat chevronné, déterminé, énergique dont il fera son Chancelier, le dernier de lhistoire de France : Maupeou.
Maupeou connaît bien le Parlement de Paris : conseiller en 1733, Président à mortier en 1737, Premier président en 1763, il a eu le temps dobserver et méditer les archaïsmes dune aristocratie de robe à laquelle six générations dofficiers de justice le rattachent. Les Parlementaires, en vertu de ce quon appelait «lunité des classes» soutenaient que tous les Parlements de France, celui de Paris et ceux créés en province depuis le XVe siècle, représentaient les éléments dun seul et même Parlement. Ils se proclamaient les gardiens de la Constitution du royaume, supérieure à la personne du souverain. Ils se voyaient comme les organes constitutionnels dune souveraineté nationale qui dépassaient la personne du roi, notamment en labsence détats généraux, convoqués pour la dernière fois en 1664. Si la fidélité à la Couronne de «Nosseigneurs du Parlement» ne se démentit jamais, si leur existence constituait sans doute lun des seuls contre-pouvoirs à lautorité royale, la vision de lEtat quils partageaient ne cessa de séloigner de la doctrine de la monarchie absolue. Leurs prétentions trouvaient des occasions de plus en plus nombreuses de saffirmer avec superbe à la faveur de relations institutionnelles avec le Roi, quune longue tradition avait précisément codifiées
Car si le Souverain détenait seul le pouvoir législatif, ses lois devaient être officiellement enregistrées par les Parlements et certaines cours inférieures pour être applicable. Le Parlement, dans certaines conditions, pouvait refuser de procéder à lenregistrement de la loi nouvelle quil napprouvait pas : il adressait au Roi des «remontrances». Senchaînait alors une série de répliques. Le Roi devait se justifier ; la cour déposait «ditératives remontrances». Le Roi répliquait par des «lettres de jussion», le Parlement refusait denregistrer la loi. Le Roi tenait alors un lit de justice : le Roi en personne, parfois son représentant, présidait la session du Parlement et imposait lenregistrement. Lannée 1770 fut celle de pas moins de trois lits de justice.
Le Parlement, après le lit de justice, pouvait encore voter un «arrêt de défense», à quoi le Roi pouvait riposter par un arrêt annulant larrêt de défense. Le dernier recours du Parlement consistait alors, littéralement, à entrer en grève et interrompre le cours de la justice. Le Roi bannissait alors la cour ou décidait dordonner larrestation ou lexil des membres et le remplacement du Parlement par une cour spécialement désignée. Par le passé, le roi navait pas hésité à le faire : en 1720, les magistrats étaient exilés dans la ville de Pontoise. De telles extrémités étaient rarement atteintes, lun ou lautre des pouvoirs finissant par céder et promettre loubli des offenses. En 1771, toutefois, aucune des étapes de cette tortueuse procédure ne suffit à stopper la querelle qui senvenima. La lutte fut menée jusquà lultime confrontation.
En 1771, le nouveau Chancelier fait adopter par le Roi un train de mesures quil met en uvre avec une rapidité dexécution quon nattendait pas et dont le livre de Chartier restitue le rythme quasi haletant : création dun nouveau Parlement formé de juristes appointés et révocables ; subdivision du vaste Parlement de Paris en cinq Conseils supérieurs à Blois, Châlons, Clermont-Ferrand, Lyon, Poitiers ; extension de la réforme aux cours provinciales ; transformation des Conseils dArtois, des Parlements de Douai et de Rouen en conseils supérieurs ; création des conseils de Bayeux aux dépens de Rouen, Nîmes aux dépens de Toulouse ; suppression dun trait de plume du Grand Conseil, de la Cour des Aides, de la Cour des Comptes, de la Cour des Monnaies, des Amirautés, de la Table de marbre, etc. Derechef, Maupeou va plus loin, et ajoute au «coup de majesté» des mesures radicales qui auraient pu changer le destin de la justice royale : abolition de la vénalité des charges, fin de la Robe héréditaire, gratuité de la justice, suppression des «épices».
La révolution Maupeou, comme on lappela, ne dura pas. Pour une raison inscrite dans le cur même du fonctionnement des institutions, elle ne pouvait perdurer. Faute de la légitimité du temps. Faute de la faveur royale. En effet, Louis XV mourut trop tôt, son petit-fils monta sur le trône trop jeune. Inexpérimenté, soucieux de se faire aimer, il renvoya le Chancelier le 24 août 1774 et rétablit aussitôt les Parlements. Maupeou partit avec la plus grande dignité. Il lâcha : «le roi veut perdre sa couronne, il en est bien le maître».
Chartier ne sattarde guère sur les difficultés que rencontra Maupeou. Le recrutement des nouveaux magistrats fut délicat, lhostilité des anciens, durable. Lopinion était agitée et lauteur aurait pu sattarder sur la guerre des pamphlets, restituant ainsi le climat dune monarchie qui allait disparaître moins de trente ans plus tard. On sait que la réforme fut bien accueillie par lopinion : elle y voyait le moyen den finir avec une justice sclérosée, inefficace, coûteuse. On sétonne de ne pas trouver, dans cette étude si détaillée, lécho des acclamations dun Voltaire fidèle à la mémoire de Calas et de La Barre. Lanalyse du poids du facteur religieux, avec la querelle janséniste, aurait de la même façon gagnée à être approfondie.
Mais cet ouvrage est celui dun excellent juriste, à la plume élégante, dont la biographie de Portalis quil a signé chez Fayard en 2004 fait autorité. Préfacée par Jean Foyer, le Garde des Sceaux du Général de Gaulle, celui qui fit venir le portrait de Maupeou du château de Versailles pour linstaller solennellement à la Chancellerie, cette monographie érudite, où un index naurait pas été superflu, savère précieuse. Certes, Chartier prend parfois le risque, comme dans son introduction, de ségarer dans des parallèles entre la France daujourdhui et celle de lAncien Régime. Mais, attentif aux courants souterrains de lHistoire, il rappelle aussi que Maupeou travaillait à bien des projets avec son jeune secrétaire, dont un code unique du royaume. Le jeune secrétaire devint le Troisième Consul et sappelait Lebrun, le projet de code vit le jour et on lappela Code civil des Français.
Jean-Luc A. Chartier signe là un livre détaillé, rigoureux, enthousiaste. Visiblement plein dadmiration pour lun des derniers grands serviteurs de lAncien Régime, dont il expose en annexe à son ouvrage et pour la première fois depuis le XIXe siècle, le «Compte-rendu au Roi», remarquable «Testament politique» quil envoya à Louis XVI en
1789, Chartier rend un hommage fidèle et justifié au dernier Chancelier de France. Justice est faite.
Franck Hurinville ( Mis en ligne le 12/01/2010 ) Imprimer | | |