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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Gérard Labrot Peinture et société à Naples - XVIe-XVIIIe siècles. Commandes collections marchés Champ Vallon - Epoques 2010 / 35 € - 229.25 ffr. / 571 pages ISBN : 978-2-87673-524-8 FORMAT : 15,5cm x 24cm
Préface de Maurice Aymard
L'auteur du compte rendu : Agrégé et docteur en histoire, Alexandre Dupilet est professeur dans le secondaire. Imprimer
Pour s'imposer dans le monde de lart, le talent seul ne suffit pas. Savoir promouvoir ses oeuvres ou capter l'air du temps afin de répondre aux désirs du public s'avèrent être des qualités tout aussi déterminantes pour accéder à la renommée. Certains peintres napolitains du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle l'avaient bien compris. Pour améliorer ses ventes, Francesco Solimena n'hésita pas à modifier son style afin de l'adapter au goût du public et de ses éventuels commanditaires. Paolo De Matteis peignait régulièrement en public dans le but dimpressionner le spectateur par sa maîtrise et sa vitesse d'exécution. De l'atelier de Luca Giordano sortaient des peintures d'inspiration diverse et de prix inégal, susceptibles de toucher une clientèle étendue et de satisfaire les différents secteurs du marché, dont il savait épouser les attentes.
Spécialiste de lhistoire moderne du royaume de Naples, Gérard Labrot livre ici un ouvrage magistral sur le marché de la peinture napolitaine, ses pratiques et ses acteurs, peintres évidemment, mais aussi collectionneurs et marchands. On laura compris, le lecteur avide de considérations esthétiques sur le baroque napolitain passera son chemin. Cest une histoire de la peinture dans ses dimensions économique et sociale qui nous est ici proposée et qui sintéresse aussi bien aux chefs duvre quaux toiles de qualité plus modeste, aux copies ou aux croûtes. Car tous ces tableaux participèrent au bouillonnement pictural qui fit de Naples aux XVIIe et XVIIIe siècles la «grande fournaise des arts».
LÉglise post-tridentine fut à lorigine de lessor du marché napolitain. La peinture étant considérée désormais comme un instrument de mobilisation des âmes, dapprofondissement de la piété, les institutions ecclésiastiques napolitaines et notamment les confréries, multiplièrent les commandes de prestige tout en encourageant la production de peintures ou de gravures de faible qualité destinées à pénétrer toutes les couches de la société. Ce vaste programme dédification par limage, qui se mua progressivement en politique de prestige et dembellissement des édifices religieux, eut pour effet de sensibiliser les napolitains à lart pictural, ce qui explique en partie la multiplication des collections dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La clientèle des peintres sélargit et avec elle la gamme des genres picturaux. La peinture religieuse, jusqualors omniprésente, seffaça devant les sujets profanes, scènes de bataille et surtout paysages et natures mortes, plus conformes au goût des nouveaux amateurs. Les copies étaient également très prisées des collectionneurs, qui se devaient de posséder les répliques des grands peintres. Comme le souligne Gérard Labrot, il existait donc plusieurs marchés de la peinture à Naples. Le marché de la commande, le plus prestigieux, voisinait avec celui de la copie ou de la série, ces différents segments nétant nullement en concurrence. En plus duvres de prestige, laristocratie acquérait volontiers des toiles de valeur moindre, laccumulation de tableaux étant également un signe de distinction.
Louvrage de Gérard Labrot est dune telle richesse quil se prête difficilement à lexercice du résumé. Lauteur cherche véritablement à épuiser son sujet, sur lequel il travaille depuis plus de vingt ans, et en envisage tous les aspects, sappuyant sur le dépouillement dune masse considérable darchives composée notamment de plus de 1000 inventaires après-décès. Il en résulte une étude imposante et exigeante qui s'adresse d'abord à un public universitaire. Mais ce travail peut également toucher le lecteur cultivé, curieux de découvrir une approche de lhistoire de la peinture différente de celle habituellement proposée par les éditeurs de «beaux livres». Dans cette perspective, on regrettera que les citations en italien n'aient pas été traduites et que louvrage ne comporte aucune illustration. Quelques reproductions judicieusement choisies auraient permis dagrémenter la lecture et donné plus de chair au propos. Réserves bien dérisoires compte tenu de la qualité de cette étude. Dernière remarque : alors que le monde de lédition en sciences humaines est aujourdhui bien morose, on ne peut que se réjouir que de tels travaux continuent dêtre publiés ; ils témoignent de la vitalité de la recherche historique et démontrent avec éclat que pour livrer une uvre pleinement aboutie, lhistorien a besoin de temps et, nen déplaise aux boutiquiers bien à labri derrière leurs livres de compte, que 500 pages denses, fouillées et maîtrisés valent parfois mieux quune dizaine darticles.
Alexandre Dupilet ( Mis en ligne le 13/04/2010 ) Imprimer | | |
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