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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Les seigneurs de la mer étroite | | | Charles-Edouard Levillain Vaincre Louis XIV - Angleterre, Hollande, France : histoire d'une relation triangulaire. 1665-1688 Champ Vallon - Epoques 2010 / 28 € - 183.4 ffr. / 451 pages ISBN : 978-2-87673-527-9 FORMAT : 15,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé et poursuit une thèse consacrée au fils de Louis XIV sous la direction de Joël Cornette. Imprimer
Il narrive pas tous les jours de lire un livre dont le style élégant est au service dune démonstration claire sappuyant sur des sources peu connues en France. Cest bien pourtant le sentiment quinspire le livre de Charles-Édouard Levillain, polyglotte passé à lhistoire. Il se propose de comprendre la manière dont la Manche, que certains appelaient joliment à lépoque la mer étroite, est devenue, au XVIIe siècle, un enjeu majeur de souveraineté pour lAngleterre, les Provinces-Unies et la France. Cest au prisme de ces trois histoires nationales que lauteur renouvelle en profondeur cette spécialité de la discipline historique que sont les relations internationales. Traditionnellement conçues comme le récit des rapports pacifiques ou belliqueux entre deux pays, lauteur veut aller plus loin en montrant les incidences du contexte international sur le cours de la vie politique intérieure.
Depuis lacte de navigation (1651), les Anglais étaient bien décidés à imposer leur souveraineté sur la Manche, espace vital pour leur sécurité tout autant que pour la principale ressource du pays : le commerce. Contrairement à la France qui disposait, depuis les années 1630, de mécanismes efficaces pour prélever limpôt sur une population nombreuse, lAngleterre était condamnée à développer son commerce extérieur faute dun système fisco-financier performant. Mais encore fallait-il faire place nette et triompher de deux ennemis redoutables : les Provinces-Unies dont la géographie ingrate invitait à trouver un surcroît de ressources dans le commerce, et la France qui, grâce à Colbert, simposait à partir des années 1660 comme une grande puissance maritime. Dans ces trois pays, la même théorie du mercantilisme triomphait alors : lenrichissement passait par une politique de substitution aux importations accompagnée dexportations massives.
Dans ce jeu à trois, lopposition religieuse entre une Europe catholique et une Europe protestante divisée entre langlicanisme de Londres et le calvinisme dAmsterdam laissa franchement le pas à une course à la puissance. Lintérêt de ce livre est de comprendre les incidences de la guerre sur le modèle de souveraineté de ces trois pays.
Les Provinces-Unies, issues de lUnion dUtrecht (1579), paraissaient peu préparées institutionnellement à supporter, dun côté, un affrontement maritime avec lAngleterre, et de lautre, une guerre terrestre avec la France. Lextrême fragmentation du processus de décision dans cette entité politique à mi-chemin entre un Etat fédéral et une confédération de provinces et de villes souveraines, rendait difficile la conduite des opérations militaires qui exigent des décisions rapides. Pour faire face aux menaces françaises et anglaises, lopinion hollandaise était de plus en plus tentée par un exécutif fort incarné traditionnellement par le Stathouder. Cétait sans compter lopposition républicaine, attachée à la souveraineté des États. Mais lavancée foudroyante des armées de Louis XIV dans les Pays-Bas espagnols fut à lorigine dune radicalisation de lopinion publique. Le Grand Pensionnaire, Jean de Witt (1625-1672), chef du parti des États, plus attaché au commerce quà la guerre, fut assassiné le 20 août 1672 par les hommes de main du Stathouder Guillaume III dOrange-Nassau (1650-1702). Ce dernier prit alors les rênes du pays en dépit de lexclusion de sa famille depuis 1654. Il avait réussi à convaincre les Hollandais quil était devenu indispensable dans la lutte contre les Français.
Cest une toute autre équation politique qui attendait Charles II (1630-1685), restauré sur le trône dAngleterre en 1660. Son admiration à peine cachée pour les méthodes de gouvernement de Louis XIV le poussait à prendre définitivement lascendant sur le Parlement. Comme pour Guillaume III, le moyen le plus assuré daugmenter son autorité politique passait par la guerre contre les Hollandais. Il ne réussit cependant jamais à convaincre ses sujets que cet affrontement relevait de lintérêt général et non de son seul intérêt particulier. Ses défaites devaient consacrer un peu plus limportance du Parlement et le réduire à limpuissance.
Lhistoire que nous raconte Charles-Édouard Levillain est passionnante : la vie politique de trois pays confrontés aux défis de la guerre et obligés dy répondre en modifiant sensiblement les pratiques de leurs gouvernements. Dun côté, la France, déjà confrontée à la guerre de Trente Ans, qui imposa un modèle de souveraineté radicale du roi, de lautre les Provinces-Unies où Guillaume III, ennemi juré de Louis XIV, revenait au devant de la scène grâce à la peur inspirée par les Français, et, enfin, Charles II, admirateur du roi-soleil, qui perdait, avec ses défaites militaires, la possibilité de mettre fin à la souveraineté partagée entre le roi et le Parlement.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 18/05/2010 ) Imprimer | | |
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