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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Philippe Bourdin Collectif Les Noblesses françaises dans l'Europe de la Révolution Presses universitaires de Rennes - Histoire 2010 / 24 € - 157.2 ffr. / 600 pages ISBN : 978-2-7535-1125-5 FORMAT : 15,5cm x 24cm
Actes du colloque international de Vizille (10-12 septembre 2008)
L'auteur du compte rendu : Antoine Broussy est doctorant en histoire et poursuit des recherches sur la période révolutionnaire en Suisse. Imprimer
Fort de ses trente-six contributions, ce gros volume sadresse dabord à un public de spécialistes de la noblesse et/ou de la Révolution. Il pourra également satisfaire un lectorat damateurs certes motivé curieux de découvrir, suivant les approches récentes de la recherche, quelques figures parfois peu conventionnelles de la noblesse à une époque où les catégories sociales furent pour le moins troublées.
Chez les historiens de la Révolution, le second ordre a longtemps été perçu comme une entité, produit de limage reflétée par le miroir déformant dune historiographie qui sest appuyée sur le discours des révolutionnaires. De fait, les nobles de lépoque furent sommairement classés dans la catégorie des émigrés ou dans celle des «aristocrates» censés représenter tous les ennemis de la Révolution. Cette approche assez monolithique na été quassez récemment remise en question, suite aux travaux menés par les historiens de lépoque moderne qui ont mis en évidence la pluralité des situations au sein de la noblesse française.
Ce colloque sinscrit donc dans le prolongement de ces réflexions et offre une multiplicité dapproches qui croisent lhistoire politique avec lhistoire sociale ou encore lhistoire culturelle. Comme lannonce en effet Philippe Bourdin dans son introduction, «la diversité des noblesses rompt avec tout discours univoque et plaide pour un objet historique complexe, dégagé de toute gangue militante, alors que les progrès sensibles de lhistoire de la politique et de la culture révolutionnaire nous imposent le retour vers le social pour mieux nuancer et enrichir notre propos» (p.15). Par sa forme, un colloque se prête assez bien à cette tentative de retour sur une définition plurielle, en loccurrence celle du second ordre, saisie à travers une variété de lieux et déchelles. Cela se traduit en six parties à lintérieur desquelles quelques portraits servent le plus souvent de point dappui à la démonstration.
Tout dabord les auteurs sinterrogent sur «la fin dun ordre ?», bon moyen de poser les enjeux de la période révolutionnaire qui sannonce. Certes, la nuit du 4 août abolit les privilèges. Sagit-il pour autant dune table rase ? Rien nest moins sûr. Les articles de Jean-Luc Chappey et de Bernard Gainot, par exemple, montrent quune partie de la noblesse entend faire la démonstration de son utilité sociale. Cette dernière transparaît à travers les vertus de lhonneur capable de se fondre dans lidéal républicain de régénération ou dans la notion de service, tant sur le plan de la gestion locale que sur le plan militaire. Plus largement, la Révolution soumet aux nobles la question de la redéfinition identitaire dès lors que certains sengagent en révolution, persuadés dune régénération possible de la société tout autant que de leur ordre propre. Dautres optent pour des stratégies de préservation patrimoniale en participant aux rachats de biens nationaux (cf. larticle de Bernard Bodinier). Derrière la quête identitaire apparaissent les notions de déclassement et de reclassement (voir principalement la 2e partie) qui rappellent que la Révolution a été une formidable période de recomposition sociale. Plusieurs parcours individuels sont ici proposés dont la plupart sont véritablement passionnants. Ainsi en est-il de ceux de Stanislas de Clermont-Tonnerre, Trophime-Gérard de Lally-Tollendal et de Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, tous trois issus de la haute noblesse. Les cas de Charlotte Corday, issue quant à elle dune noblesse déclassée, du comte de Mirabeau ou encore ceux des frères Lameth ou celui du comte de Montlosier montrent parfaitement limpossibilité de comprendre la noblesse de manière univoque. Plus encore, ces parcours confirment également que certains membres du second ordre semparent de la Révolution plus quils ne la subissent, même si leurs tentatives naboutissent pas ou alors parfois sur des désillusions. Ces stratégies sont également étudiées à travers des portraits de noblesses provinciales (3e partie) qui, tout en présentant au lecteur des figures moins flamboyantes parfois, nen permettent pas moins de renforcer limpression de morcellement dun ordre toutefois uni par ses principes et ses valeurs.
Cest pourquoi les parcours sont si complexes. Plusieurs communications insistent dailleurs sur le fait que la fidélité au roi reste primordiale si bien quaprès léchec de la monarchie constitutionnelle, daucuns se rapprochent de la contre-révolution. Mais ce glissement ne sopère pas non plus sans mal tant lécart idéologique peut savérer grand entre les nobles ultras et ceux qui ont dabord pensé pouvoir participer à la Révolution (cf. lexemple des monarchiens étudié par Vladislava Sergienko ou encore létude dArnaud Decroix sur une certaine noblesse immigrée, dabord ouverte aux Lumières mais convaincue que seul le rétablissement de la religion pourra restaurer la monarchie et non linverse). Karine Rance, en faisant le point de lhistoriographie de lémigration, met par ailleurs en évidence limportance du hiatus entre la figure dominante de lémigré, qui émerge à lépoque du rassemblement de Coblence, et la variété des situations particulières. Elle rappelle également que cette noblesse contre-révolutionnaire, qui revendique sa légitimité face aux révolutionnaires et donc une forme de continuité est en réalité en rébellion contre lautorité monarchique tant la figure de Louis XVI apparaît, en son sein, dégradée. Lidéaltype de lémigré est dailleurs étudié dans la dernière partie à travers quelques exemples de réaction et de mobilisation quil suscite, comme dans les caricatures étrangères (Pascal Dupuy) ou dans Le Père Duchesne (Michel Biard) ou encore dans les uvres littéraires allemandes et helvétiques (Marita Gilli).
La cinquième partie, intitulée «une identité culturelle», nous a paru peut-être un peu plus hétérogène tout en nexpliquant pas suffisamment le retour au singulier. En effet, les parcours présentés restent tout autant divers que dans les autres parties du livre, comme semblent le montrer ceux de Julie de Gantès ou la geste des de Dietrich, sauf à comprendre cette identité uniquement selon le mode «de ce qui nest plus», à savoir lappartenance à une noblesse mythifiée devenue, pour le coup, univoque, comme linvite à penser la contribution de Catriona Seth sur les mémorialistes (p.453).
Si nous avons pu regretter par moments que certaines contributions fraient trop largement avec le simple tableau dun cas particulier et laissent de côté une problématisation plus nourrie, ce livre a toutefois le grand mérite de déconstruire certains stéréotypes, ce qui est bien lune des premières fonctions du livre dhistoire.
Antoine Broussy ( Mis en ligne le 07/12/2010 ) Imprimer
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