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France d’hier
Graham Robb   Une histoire buissonnière de la France
Flammarion 2011 /  24 € - 157.2 ffr. / 574 pages
ISBN : 978-2-08-123789-6
FORMAT : 13,4cm x 22cm

Isabelle Dominique Taudière (Traducteur)

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).

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22500 kilomètres à vélo sur les routes de France, 4 années de lectures en bibliothèque, une parfaite connaissance de la langue et de l’histoire, une grande curiosité et l’envie de découvrir toujours davantage un pays qui faisait l’objet de son travail universitaire : Graham Robb, professeur à Oxford, spécialiste de Rimbaud et Baudelaire, a manifestement éprouvé un immense plaisir à composer cette épaisse Histoire buissonnière de la France, qui paraît dans la même collection que son Histoire de Paris par ceux qui l’ont fait.

Ce plaisir sans cesse renouvelé, toujours nourri d’une érudition fine et discrète, il le fait partager à ses lecteurs. Avec lui, le moindre paysage fait sens car il en connaît l’origine, l'évolution. Yeux grands ouverts, il regarde les Français comme des indigènes intéressants ; ethnologue doublé d’un historien, il raconte trois siècles de vie quotidienne en France, de la fin du XVIIe siècle au début du XXe. Son travail rappelle de loin celui d’un de ses illustres prédécesseurs, Arthur Young (1787,1788) mais qui, lui, décrivait la réalité quotidienne, et s’inscrit dans une riche tradition d’écrits sur notre pays vu par les étrangers. Deux parties et 17 chapitres, deux cahiers de photographies et illustrations, un appareil critique en fin de volume (chronologie, notes, index, références), pour donner envie de partir immédiatement sur les routes de France découvrir des paysages et des régions que l’on croyait connus et qui apparaissent sous un jour neuf.

La première partie porte sur la période la plus ancienne : une description étonnante d’une France du passé en général peu connue, en s’appuyant sur les comptines, les éléments du folklore, les rares témoignages, les documents administratifs, etc., Graham Robb fait revivre toute une société, éclatée en multiples pays et micro régions, qui vit à la dure - les femmes en particulier ! On est loin du roman rural, des tableaux des frères Le Nain : les gens sont prématurément vieillis, chargés de nombreux handicaps, ce que montrent à l’évidence les registres de conscrits qui notent qu'un quart des appelés sont réformés pour raison médicale. Les femmes sont souvent seules au village, tandis que les hommes partent pour des temps plus ou moins longs gagner leur vie ailleurs. Ce qui permet à Graham Robb de rappeler que l’analphabétisme suit des chemins oubliés aujourd’hui : les migrants des régions alpines ont besoin de savoir lire, écrire et compter pour mener à bien leurs activités, et la Touraine de Balzac est moins alphabétisée que la Savoie des petits ramoneurs. Les femmes sont de véritables bêtes de somme dans la plupart des régions et Graham Robb dénonce au passage une histoire écrite par les hommes qui voient dans cette infériorité une anecdote pittoresque davantage qu'une domination ! Elles ont cependant, elles aussi, leur «part du feu» et sont capables de se défendre et d’exercer à leur tour quelques brimades. La religion adoucit un peu la vie quotidienne, religion qui est un enchevêtrement inextricable de paganisme, de superstitions, peuplée de fées et d’êtres surnaturels, vaguement encadrée par l’Église et ses prêtres. Si la prière n’est pas exaucée, le saint est puni, même par les moines au fond des monastères… Graham Robb excelle à faire revivre cette société pré-industrielle (ce «monde que nous avons perdu», pour reprendre le titre du livre de Peter Laslett). Anglais, il consacre un chapitre aux animaux : Soixante millions d’oubliés...

Société brutale, dans une France très peuplée mais dont les habitants se croisent peu, éparpillés dans des régions vastes qui peuvent apparaître vides au voyageur. Le livre s’ouvre sur l’histoire tragique du géomètre envoyé pour les repérages qui permirent l'élaboration de la carte de Cassini, première carte générale de la France, et qui fut massacré par les gens du lieu, sans que ceux-ci en soient autrement inquiétés. On pense ici au Village des cannibales d’Alain Corbin, un siècle plus tard… Société rude mais où les jours de fête ou chômés sont légion, et les journées de travail courtes l’hiver, calquées sur les rythmes solaires. Société dans laquelle la mendicité est un dur métier qui requiert astuce et persévérance comme le montrent les mémoires du breton Jean-Marie Déguignet (1834-1905). Une société dont les acteurs sont constamment sur les routes, en mouvement : pèlerins, migrants, mendiants, travailleurs en quête de travail, colporteurs, touristes… On y croise les anglais Arthur Young et Robert Louis Stevenson ; Graham Robb décrit l’ampleur d’un réseau routier composé de courts segments intensément utilisés, un réseau capillaire efficace sur lequel circulent hommes et information. Ce réseau sera démantelé par l’amélioration des grandes routes, la construction des chemins de fer qui, par contre coup, contribuèrent à l’enclavement des villages à l’écart, désormais fermés sur eux-mêmes.

La seconde partie s'ouvre sur les lents progrès de la cartographie du territoire avec l’épisode décisif de l’entreprise de Cassini (1756-1815), et à lire Graham Robb, on se prend à rêver à ces arpenteurs oubliés qui ont donné un visage et une réalité au pays. Graham Robb fait revivre l’initiative d’un professeur à la retraite, M. Sanis, qui sur sur 4000 mètres carrés, chaussée du Maine, édifia une France miniature, avec ses reliefs, ses voies d’eau, etc., premier parc d’attraction de ce genre ! Une France des routes mais aussi celle des canaux et voies fluviales : un transport courant jusqu’au XXe siècle, il suffit de relire le célèbre début de l’Éducation sentimentale.

Cette seconde partie, qui porte sur le XIXe siècle, montre les changements liés à l’industrialisation, la modernisation du pays, l’invention du tourisme (''Les merveilles de la France'', chapitre 14). Graham Robb décrit avec humour ces premiers touristes, souvent anglais, qui s’enthousiasment pour la Mer de Glace, «inventent» la beauté des paysages montagnards, face à l’indifférence mêlée d’incompréhension des autochtones, tel H.W. Longfellow qui, expliquant à une vieille femme, dans le val de Loire, qu’il a fait plus de mille lieues pour «voyager ; - pour voir comment vous vivez dans ce pays», s’entend répondre : «Vous ne connaissez donc personne dans le vôtre ?» (p.363). Ils affrontent les rigueurs et la saleté d’auberges, séjours de fortune qui se développent face à une demande croissante. Paysans, aubergistes, chacun rivalise d’ingéniosité pour profiter de cette manne nouvelle.

Un pays plein de curiosités naturelles ou historiques, mais dont une part est désormais en péril au cours du XIXe siècle : les paysages disparaissent sous les coups d’une modernisation agricole et politique, d’une unification du territoire que Graham Robb qualifie de «colonisation». France en ruines à la suite de la Révolution, mais aussi des méfaits de la «bande noire» qui pille et revend sans scrupule les églises désertées, les châteaux vendus, etc., aidée indirectement par l’Etat qui détourne les bâtiments pour les affecter à des usages utiles : le Mont Saint Michel devient prison, le palais des Papes, caserne, les restes de l’abbaye de Cluny, un haras national… L’Église elle aussi entretient mal son immense domaine foncier… Ces ruines sont aussi pittoresques et charment les romantiques… Dans cette France «colonisée», Graham Robb décrit les indigènes, pittoresques ou repoussants, qui vont progressivement s’habituer à vivre dans un pays unifié, et voir les frontières de leur région s’étendre à celles de la grande patrie.

Un ouvrage passionnant de bout en bout, facile à lire, semé d’anecdotes contées de façon alerte. Graham Robb porte un regard curieux sur les choses et les êtres qui ont peuplé la France d’hier, et nous permet de mieux comprendre la France d’aujourd’hui.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 03/01/2012 )
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       de Graham Robb
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