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Girardon, le ''phidias français'' | | | Alexandre Maral François Girardon (1628-1715) - Le sculpteur de Louis XIV Arthena 2016 / 140 € - 917 ffr. / 584 pages ISBN : 978-2-903239-55-8 FORMAT : 24,0 cm × 32,0 cm
Catherine Pégard (Avant-propos)
Geneviève Bresc-Bautier (Préface)
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur habilité de l'université de Paris I, Thierry Sarmant est conservateur en chef au Service historique de la Défense. Spécialiste de l'histoire de l'Etat, il a publié en dernier lieu une biographie de Louis XIV, Louis XIV homme et roi (Tallandier, 2012) et 1715 : la France et le monde (Perrin, 2014). Imprimer
La parution dune grande monographie de sculpteur est un événement éditorial extrêmement rare. La sculpture demeure en effet un art confidentiel, rarement exposé, difficile à photographier, souvent peu accessible au profane, tandis que chacun se croit à même de juger de la peinture. Depuis la Seconde Guerre mondiale, aucun des trois principaux sculpteurs du Grand Siècle Puget, Girardon, Coysevox na bénéficié dune étude densemble.
Pour Girardon, la lacune est désormais réparée, de la façon la plus impressionnante qui soit : un monument de 580 pages, illustré de plusieurs centaines de photographies le plus souvent en couleur et dune qualité remarquable. Lérudition étourdissante de lauteur suit pas à pas la vie et luvre de François Girardon, de sa naissance, dix ans avant celle de Louis XIV, à sa mort, qui précède de quelques heures celle du roi-soleil. La monographie proprement dite est suivie dune étude de la collection de Girardon, due à Françoise de La Moureyre (pp.414-461), dun catalogue raisonné de luvre, dune chronologie, de lédition des biographies anciennes de lartiste et de celle de son inventaire après décès.
Né à Troyes, Girardon «monte» à Paris, se place sous la protection du chancelier Séguier, illustre mécène qui lenvoie se former à Rome, puis se fait un nom auprès de sculpteurs déjà installés tels que Jacques Sarazin et Gilles Guérin, à qui il doit de participer au chantier des appartements royaux du Louvre. Il se trouve ensuite enrôlé dans léquipe qui, autour de Le Brun, uvre pour Fouquet à Vaux. Cette opération inaugure une longue période durant laquelle le sculpteur travaillera «sous la conduite» du premier peintre, à la galerie dApollon, à Fontainebleau, aux Tuileries, au Louvre, bientôt à Versailles. En 1657, il est admis à lAcadémie de peinture et de sculpture, y est professeur en 1659, adjoint-recteur à partir de 1672, recteur à partir de 1674, chancelier en 1695. La tutelle de Le Brun na jamais étouffé la créativité du sculpteur, et il y a toujours une certaine distance entre les projets dessinés par le premier peintre et la traduction que Girardon en donne en relief.
La plupart des chefs-duvre de Girardon ont été des commandes royales pour Paris et Versailles : le groupe dApollon servi par les nymphes, le Bain des Nymphes, la statue de lHiver, lEnlèvement de Proserpine par Pluton, la statue équestre de Louis XIV pour la place Vendôme. Une seule commande privée les égale en importance : il sagit du tombeau du cardinal de Richelieu dans la chapelle de Sorbonne, voulu par la duchesse dAiguillon, nièce du ministre défunt.
Ces uvres illustres ne sont que les parties les plus saillantes dune production surabondante, qui comprend la création de multiples sculptures originales, la restauration et la transformation de statues ou de bustes antiques et modernes, la direction de décors éphémères, linspection et la correction des uvres conçues par une collectivité de sculpteurs, comme à Versailles ou au dôme des Invalides. Au premier examen, Girardon apparaît comme le classique par excellence. Maîtrisant une technique irréprochable, il se mesure sans crainte à lAntiquité et à lItalie de la Renaissance, affectionne les sujets nobles, religieux ou mythologiques ; le calme règne dans un monde de divinités majestueuses et de dignitaires en perruque, univers serein où semble régner un idéal de plénitude et de grandeur simple.
Une étude plus fine, celle que mène Alexandre Maral, révèle une uvre plus complexe que cette assimilation à un supposé modèle artistique «louis-quatorzien». Derrière le voile deau qui le recouvre, le relief du Bain des nymphes vibre dune sensualité innocente. Le Pluton de lEnlèvement de Proserpine enlève avec autorité sa pulpeuse victime, et lon pense au groupe éponyme du Bernin. Le vieillard qui incarne lHiver semble se replier sur lui-même en un mouvement dun étonnant réalisme. Et lon voit toute limperfection des vieilles catégories du «baroque» et du «classique» pour juger des artistes du XVIIe siècle.
Nul mieux quAlexandre Maral, gardien vigilant des sculptures de Versailles, ne pouvait mener à terme une entreprise aussi considérable quune monographie complète de Girardon et nul autre éditeur quArthena, association sans but lucratif vouée au livre dart, naurait été en mesure de conjuguer développement des fastes scientifiques et qualité de la mise en uvre iconographique et matérielle. Mais le monument en appelle un autre, à mettre en regard : un Coysevox du même auteur, chez le même éditeur, serait le parfait compagnon de ce Girardon dans la bibliothèque idéale de lamateur dart.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 06/04/2016 ) Imprimer
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