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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Autour du point géométrique de la souveraineté
Myriam-Isabelle Ducrocq, Laïla Ghermani & alii   Le Prince, le despote, le tyran - Figures du souverain en Europe, de la renaissance aux Lumières
Honoré Champion - Les dix-huitièmes siècles 2019 /  58 € - 379.9 ffr. / 334 pages
ISBN : 978-2-7453-5018-3
FORMAT : 15,5 cm × 23,5 cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général aux Archives nationales et professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié : Richelieu (Flammarion, 2004), La Double mort du roi Louis XIII (Flammarion, 2007), Monsieur Descartes (Flammarion, 2010), ainsi que Rendez à César. L'Eglise et le pouvoir. IVe-XVIIIe siècle (Flammarion, 2017).
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Aux historiens il appartient d’écrire le récit dans sa longue continuité qui aime remonter aux origines – en l’espèce à Marsile de Padoue qui, au XIVe siècle, utilisait les mots regnum ou civitas pour définir une réunion volontaire d’individus ordonnée pour le bien de la communauté – et décrire jusqu’au XVIIIe siècle l’édification de l’État monarchique dit «moderne» qui a constitué, dans l’Occident chrétien, la grande entreprise politique d’autonomisation et de sécularisation d’un pouvoir  public» représenté par les couronnes par rapport à d’autres formes de pouvoirs impérial et pontifical. Encerclés par les possessions de Charles Quint et par l’empire ottoman, confrontés aux prétentions pontificales, les rois d’Angleterre et de France ont alors réussi à affirmer leur autorité dans le cadre d’États territoriaux.

De leur côté, les juristes ont le mérite de permettre à l’historien de clarifier sa problématique et son vocabulaire à partir de définitions précises. Ils ont montré que le changement de la modernité n’était pas tant de degré que de nature. Dans la situation politique dramatique qui était celle de la France au lendemain de la Saint Barthélemy, un jurisconsulte, Jean Bodin – auteur central de ce volume notamment avec les contributions majeures de Mario Turchetti et de Blandine Kriegel – a posé la théorie de la souveraineté et, par là, donné à la monarchie les moyens de s’affirmer dans la pratique et d’assurer la paix civile sous l’égide de sa seule autorité : «République est un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine. [...] La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une république. […] La première marque du Prince souverain, c’est la puissance de donner la loi à tous en général, et à chacun en particulier, mais ce n’est pas assez car il faut ajouter, sans le consentement de plus grand, ni de pareil, ni de moindre que soi. [...] Sous cette même puissance de donner et casser la loi sont compris tous les autres droits et marques de souveraineté». Cette dernière est indivisible et exclut donc toute forme de partage avec quelque puissance que ce soit ; elle impose la prééminence normative de la loi et l’obéissance préalable des sujets.

Cette souveraineté qui est donc celle de l’État (entendu sous le mot de «république») doit résider en un lieu politique et c’est, selon Bodin, dans la monarchie, en la personne du Prince qu’elle trouve son support le plus adéquat. En revanche, le juriste établit une distinction alors nouvelle entre l’État et le gouvernement : «Car il y a bien différence de l’État et du gouvernement, qui est une règle de police qui n’a point été touchée de personne : car l’État peut être en monarchie, et néanmoins il sera gouverné populairement si le Prince fait part des états, magistrats, offices et loyers également à tous sans avoir égard à la noblesse, ni aux richesses, ni à la vertu. Il se peut faire aussi que la monarchie sera gouvernée aristocratiquement quand le Prince ne donne les états et bénéfice qu’aux nobles, ou bien aux plus vertueux seulement, ou aux plus riches...».

On peut ainsi porter au crédit du XVIe siècle d’avoir opéré une véritable révolution conceptuelle en formulant le principe de l’unité de la puissance publique, d’où découlera une perception abstraite du pouvoir rapporté au principe supérieur du souverain, puis de l’État. Dans un tel cadre, les progrès de l’idée d’État ne se sont pas immédiatement accompagnés pour les sujets qui vivent au quotidien sous son autorité de la totale dépersonnalisation induite par son abstraction ; la personne du souverain est restée en première ligne. À partir des exemples archétypaux de César ou d’Alexandre, la littérature s’est emparée de ces grands personnages et les représentations qu’elle en donne sont à convoquer à la barre comme témoins privilégiés des conceptions du pouvoir qu’elles mettent en scène manifestant le rapport étroit entre la personne physique du souverain – et des souveraines – et le pouvoir du langage.

On l’a compris, l’interdisciplinarité est la règle du jeu de ce colloque tenu en 1976 à l’Université de Paris-Nanterre, qui s’attache aux figures du souverain figuré sous les traits du Prince, du despote et du tyran restituées à travers ces diverses approches historiographiques auxquelles on suggèrera d’adjoindre un volet plus économique : la lecture inspirée des analyses de l’économiste américain Hilton Root qui voit dans la gestion des privilèges accordés aux officiers, aux financiers… un moyen efficace de la conquête du pouvoir par la royauté, ou celle développée par Jean-Yves Grenier selon laquelle la reconnaissance par le pouvoir de la continuité de la dette publique sous-tendrait l’État (par exemple : «La longue durée des dettes publiques : l'Europe et les autres», Politique étrangère, 2012/1, pp.11-22), une conception qui n’est pas exempte de prolongements contemporains…

Il reste qu’en pratique, l’historien retrouve sa place centrale pragmatique car ce fut moins la nouveauté des vues exposées par Bodin que l’action continue des praticiens de l’entourage royal qui obtint ces résultats. Ultérieurement, Hobbes – sans doute le second grand personnage de ce volume où il est relu par Raffaela Santi à travers l’évolution sémantique des termes de tyran et de tyrannie dans le Léviathan et par Mary Nyquist à travers sa définition du pouvoir despotique – radicalisera le propos politique par son affirmation de l’État tout-puissant garant de la conservation de ceux qui passent un contrat avec lui afin de dépasser l’état de nature et de parvenir à un ordre politique permettant la paix. Locke développera à son tour l’idée d’un contrat social, mais débouchant sur un pouvoir moins absolu, plus «libéral» tandis que Spinoza, Montesquieu où Rousseau, ou même, avant eux les néo-thomistes de l’école de Salamanque, introduisent chacun à sa manière, institutionnelle ou contractuelle, aux Lumières puis à la Révolution et à sa nouvelle société aspirant à des formes nouvelles de limitation du pouvoir. L’insistance sur la souveraineté et les efforts pour la rendre parfaite, qui semblent aujourd’hui, où l’absolutisme s’est, dans le langage courant, rapproché du despotisme, une anomalie, ne constituaient alors que la simple recherche de garantie des conditions de la vie quotidienne.

À cette diversité des approches et des solutions proposées répond la divergence complémentaire des interprétations : au XVIIIe siècle, les philosophes français des Lumières, admirateurs du libéralisme politique, social, intellectuel et économique, firent preuve d’une anglophilie certaine : les Anglais sont alors considérés comme les maîtres à penser de l’Europe et on estime communément que c’est chez eux que prennent naissance ces idées neuves qui renouvèlent les modes de pensée. Ultérieurement, l’historiographie juridique française a estimé, à la suite du grand juriste Michel Villey, que la pensée «républicaine» avait pu trouver son origine au sein même de l’État de droit développé par la monarchie française, tandis que les anglo-saxons (John Pockock ou Quentin Skinner) voyaient son origine dans les cités-États d’Italie. Revenant aux faits, la relecture d’épisodes bien connus – l’attentat de Damiens par Monique Cottret où la mise en scène du supplice qui constitue Damiens en régicide transforme Louis XV en tyran ; la fuite à Varenne par Susan Levin où la duplicité de Louis XVI le constitue en tyran – montre combien la multiplication des angles d’attaque est riche d’enseignements nouveaux.

Renouveler des perspectives, décloisonner et réviser les hiérarchies, diversifier et faire s’interpénétrer les corpus de sources, revisiter des personnalités (dans l’ordre, Bodin, Marie de Guise, Henri III, Alexandre le Grand, Jacques Ier, Hobbes et Spinoza, le colonel Hutchinson, Damiens et Louis XV, Thomas Paine, Louis XVI, Henri Grégoire) à l’échelle de la France et de l’Angleterre et parfois plus largement de l’Europe à travers la problématique du prince, despote ou tyran, telle est le projet réussi de ce colloque. On en signalera tout particulièrement l’introduction qui se signale par ses qualités remarquables et originales de synthèse : elle pose les problématiques et pourrait tout aussi bien en être la conclusion car elle présente en regard les diverses contributions spécialisées et dégage leur apport.

Quelques regrets sont toujours nécessaires pour conclure un compte rendu : outre la prise en compte de la problématique économique déjà évoquée, on pourrait souhaiter l’évocation du personnage du principal ministre en France comme en Angleterre, ainsi que l’exploitation de cette grande source qu’est l’Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, ou encore que soit expressément revisitée cette source traditionnelle qu’est la loi dont Blandine Kriegel elle-même aime à souligner, au-delà du caractère normatif, le rôle dans le processus effectif de la décision. On peut naturellement proposer quelques ajouts à la déjà très bonne bibliographie (ainsi : Gérard Mairet, Le Principe de souveraineté, 1977 ; plus accessoirement, Nicole Hochner, Louis XII. Les dérèglements de l’image royale, 2006 ; ou Marie-Claude Canova-Green, Faire le roi: l'autre corps de Louis XIII, 2018…), enfin et surtout regretter l’absence de résumés des communications et, hormis celles des directrices de la publication, de notices de présentation de leurs auteurs.

Si la force de l’histoire réside, à l’écart de tout anachronisme, dans son ancrage dans les problématiques contemporaines et bien que ce volume prenne fin (dans son introduction comme dans les contributions) à la Révolution avec Grégoire, on ne peut d’empêcher de remarquer qu’Emmanuel Macron pourrait subliminalement s’y glisser dans l’index entre Machiavel et Marat…


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 01/05/2019 )
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