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Capitalisme et répression
Peter Linebaugh   Les Pendus de Londres - Crime et société civile au XVIIIe siècle
Coédition Lux/CMDE 2019 /  29 € - 189.95 ffr. / 616 pages
ISBN : 978-2-89596-275-5
FORMAT : 12,1 cm × 20,9 cm

Frédéric Cotton, Elsa Quéré (Traducteurs)

Philippe Minard (Préfacier)

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Paru en 1991 mais enfin traduit en français, l'ouvrage de Peter Linebaugh Les Pendus de Londres. Crime et société civile au XVIIIe siècle s'inscrit dans la lignée des travaux de l'historien marxiste hétérodoxe Edward P. Thompson, par ses objectifs comme par sa démarche : comprendre l'articulation du capitalisme et de l'industrialisme en étudiant comment ce système s'est imposé, c'est-à-dire comment les petits l'ont vécu et y ont résisté ; remettre en avant la vie quotidienne et finalement le courage et la dignité des hommes du commun.

Linebaugh reprend aussi à Thompson le cadrage par les usages coutumiers dans le monde du travail : là où la destruction des communaux a permis la fin de la paysannerie, l'éradication d'usages de survie qui bien souvent impliquaient des marges d'autonomie des travailleurs a permis l'avènement du salariat généralisé et le contrôle impitoyable du travail par le capital. Cette éradication se fit par voie pénale (les pendaisons, les déportations, les mutilations en fonction de critères tenant à la seule valeur des biens «volés» et non pas à la situation des personnes), mais aussi par la réorganisation du travail (le meilleur exemple est celui de la construction des navires dont le frère de l'utilitariste Jeremy Bentham fut le maître d'oeuvre). Il montre aussi à quel point la frontière est ténue entre un acte de résistance proprement politique et un acte illégal de survie individuelle : la délinquance et un certain ethos peuvent avoir une signification politique, sociale, parfaitement perçue par les acteurs en contexte alors qu'elle passerait inaperçue aujourd'hui ; le microsocial rejoint plus souvent qu'on ne le pense le social au sens «noble».

Les matériaux d'étude de base de Linebaugh sont les pendus de l'un des gibets de Londres, celui de Tyburn : l'aspect a priori anecdotique du destin de ces pauvres hères révèle en fait l'un des murs porteurs d'une construction sociale en train de se faire : l'industrialisation et la capitalisme salarial donc. Linebaugh suit le destin de certains de ces pendus ou des malheureux envoyés dans les colonies dans des conditions effroyables, en évoque beaucoup, montrant la logique économique impitoyable qui les écrase, le courage de tous et l'immense dignité de nombre d'entre eux – et surtout d'entre elles – qui survivaient et faisaient survivre des familles entières aux marges d'une économie que l'Etat au service de la logique du capital quadrillait chaque jour davantage, éliminant les micro-résistances et ce qui, en milieu urbain et au sein du monde artisanal, correspondait aux communaux en zones rurales : les coutumes.

Par exemple, le ramassage puis la revente ou la réutilisation des copeaux sur un chantier naval, les rognures de métaux précieux ou les bouts de tissus, des portions de tabac, ou de vin dans les tonneaux, etc., permettaient au petit peuple de ne pas sombrer dans la misère en ajoutant au revenu salarial souvent insuffisant un petit plus qui, de surcroît, permettait une forme d'auto-organisation parallèle au marché officiel, avec des capacités d'autonomie pour tous les intervenants. En somme, une économie où les pauvres avaient une maîtrise relative, mais réelle, de leur destin et où, au fond, leur travail était vraiment reconnu.

Linebaugh fait entrer le lecteur dans le rude quotidien de ces artisans, de ces ouvriers, de ces marins, de ces prostituées occasionnelles ou non, mais aussi de ces bandits de grand chemin, souvent bouchers à l'origine, sortes de robins des bois dans le Sherwood de moins en moins sauvage des alentours de Londres ou encore, dans celui de ces marins, pas toujours volontaires, pas toujours payés, pas tout-à-fait libres, mais qui firent, comme les déportés, des voyages qui leurs permirent de voir la situation des esclaves noirs dans les colonies, parfois de devenir pirates, en tout cas de relier leur réalité d'exploitation et de brutalité avec celle des périphéries. Linebaugh défend d'ailleurs l'idée que se constitua à l'époque, grâce à ce prolétariat voyageur, une sorte d'internationale riche d'expériences et de révoltes, de cultures et de langues (avec de nombreuses personnalités d'origine africaine), un humus d'héritages divers (ceux des niveleurs, des religieux minoritaires, etc.), qui aurait un destin ultérieur...

L'ouvrage est d'autant plus intéressant qu'il interroge les répressions opérées contre les gilets jaunes ou les activistes de Notre Dame des Landes. Ces répression ne sont-elles pas une énième manifestation de la brutalité inouïe par laquelle un Etat opère ses grandes réformes libérales ? Et quels effets auront-elles dans une société où ce sont carrément les aménagements qui avaient rendu le salariat supportable qui sont remis en cause avec le salariat lui-même ? Cela alors même qu'il n'existe plus ni communaux, ni coutumes, ni savoirs vernaculaires qui permettent la survie individuelle et collectives en marges – déjà très relatives - du système économico-étatique... Comment faut-il appréhender une législation et des pratiques judiciaires qui transforment les actes politiques en actes de droit commun, crapuleux, et tendent à étendre les punitions de ce qu'il faut bien appeler des délits d'opinion sans pour autant reconnaître leur légitimité politique ?


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 21/06/2019 )
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