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La fiscalité au cœur de l’histoire
Ludovic Balavoine   Enquête sur la recette des dîmes dans la généralité de Caen en 1693 - Le bon grain et l’ivraie
Honoré Champion - Bibliothèque Histoire Moderne 2019 /  30 € - 196.5 ffr. / 260 pages
ISBN : 978-2-7453-5093-0
FORMAT : 15,5 cm × 23,5 cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général honoraire du Patrimoine et a enseigné l’histoire moderne à l’Université Paris I. Elle a récemment publié Rendez à César. L'Eglise et le pouvoir (Flammarion, 2017), Une brève histoire de l’Église. Le cas français (Flammarion 2019), ainsi que Le Parlement de Paris. Histoire d’un grand corps de l’État (avec Monique Morgat-Bonnet, Champion, 2018).
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La présence de la fiscalité au cœur de l’actualité ne date pas d’aujourd’hui. La multiplication des taxes et impositions figurait aussi au programme de l’Ancien Régime, avec cette particularité que celui-ci unissait l’Église et l’État avec pour conséquence une double fiscalité. C’est une histoire à trois qui se jouait : le pape, le roi de France, le clergé de France unis dans un échange de services mutuels dont la fiscalité était la traduction. Au cœur du système il y avait les principales impositions ecclésiastiques, dimes et décimes, bien différentes, mais souvent confondues dans les textes qui les désignaient par le même mot latin decima.

Deux sources principales formaient les recettes du clergé : le revenu des terres qui lui appartenaient en propre et la dîme paroissiale. Car très tôt l’Église était devenue un grand propriétaire : elle administrait un patrimoine reconnu comme inaliénable car appartenant à Dieu, mais qui entraînait des charges considérables. Pour les soutenir l’Église s’est rapidement affirmée comme «institution fiscale» en levant la dîme, un impôt en nature hérité du judaïsme qui entendait faire contribuer le plus grand nombre et procurer au clergé des moyens d’existence. Dans l’Antiquité en effet le Temple de Jérusalem était au centre d’un immense réseau financier qui, via la Diaspora, couvrait tout le territoire de l’Empire romain pour y collecter dîmes et dons qui faisaient la fortune du sanctuaire et de la ville de Jérusalem. Les chrétiens ont repris le système en le transportant de Jérusalem à Rome. Il s’agissait du prélèvement théoriquement d’un dixième (decima pars), portant en principe sur toute forme de production et en particulier sur les produits de la terre. Levé sur les produits du sol, l’impôt pesait sur le propriétaire et non sur le fermier, sur la richesse et non sur le travail. Il représentait le prix du service rendu par le curé, dont il soutenait la fonction pastorale.

Le système s’était complexifié au fil du temps et on en est venu à la fin de l’Ancien Régime à distinguer les grosses dîmes qui se percevaient sur les principaux revenus de la paroisse (tels que le seigle ou l’avoine), les menues dîmes qui portaient sur les moins considérables (tels que le chanvre ou les légumes) et les dîmes novales qui concernaient le produit de terres récemment mises en culture. Selon les auteurs on en estime alors les revenus autour de 85 à 130 millions. Sa perception par les curés se faisait avec le soutien de l’État et son contentieux n’était pas négligeable. Ainsi 87 procès ont opposé seigneurs et tenanciers dans la période 1730-1759, et 246 dans les trente dernières années de l’Ancien Régime. De plus, dans de nombreuses paroisses, la dîme n’était pas perçue directement par le curé desservant, mais par des «curés primitifs» plus haut placés dans la hiérarchie ; ceux-ci reversaient alors au curé une partie de cette dîme, appelée la portion congrue.

Précisons encore qu’à des recettes fiscales répondaient pour le clergé des dépenses fiscales. Dans le premier cas, l’Église affirmait son rôle de service public ; dans le second, elle contribuait volontairement au financement de l’État. Dans un premier temps, parallèlement à la fiscalité royale, la fiscalité pontificale s’était développée pour financer des actions pour lesquelles les ressources ordinaires de l’État pontifical se révélaient insuffisantes. C’est la croisade qui a été le grand moteur d’expansion d’un mouvement qui a fait changer de dimension les finances de l’Église : comme chef de l’entreprise en effet, le pape devait mobiliser le financement nécessaire mais, faute d’armée d’envergure, il lui a fallu obtenir la participation des souverains d’Occident ; une partie des fonds collectés a alors été concédée au roi qui promettait de partir en croisade. Le système est ensuite devenu régulier sous l’appellation de décimes ecclésiastiques, dont la perception fut étendue à la guerre contre les hérétiques, puis à toute guerre approuvée par le Saint-Siège, lesquelles, en fin de compte, se sont généralisées pour répondre à l’ensemble des besoins de l’Église. Ils représentaient le dixième du revenu annuel des bénéfices ecclésiastiques (le bénéfice étant l’ensemble des biens affectés à la dotation d’une fonction dans l’Église pour en assurer la rémunération). Les décimes sont alors devenus un impôt interne au clergé, portant sur le revenu ecclésiastique dont le «département» était fixé par l’Assemblée du clergé.

C’est un auteur familier de ce système bénéficial qu’il avait étudié pour le diocèse de Bayeux (L. Balavoine, Des hommes et des bénéfices. Le système bénéficial dans le diocèse de Bayeux au temps de Louis XIV, Champion, 2011) qui, à travers la fiscalité des dîmes, étend maintenant ses investigations au domaine de l’économie et de la démographie de la généralité de Caen. Conjugaison de l’histoire religieuse et de l’histoire économique, son travail repose sur un article de la série G des Archives départementales du Calvados, les résultats d’une enquête sur l’état des récoltes et des bouches à nourrir demandée par le contrôleur général des finances Pontchartrain. Pour y répondre, l’intendant Foucault a utilisé la recette des dîmes pour établir l’état des récoltes. C’est le début des grandes enquêtes administratives manifestant les curiosités et l’efficacité de l’administration monarchique, ainsi, en l’espèce, que ses liens avec l’administration ecclésiastique (dans le cadre bien connu de la France «gallicane»). Cet ensemble documentaire livre au chercheur 143 questionnaires conservés, une source quantitative que l’auteur étudie et cartographie de manière exhaustive. On y voit les effets de la crise de 1693, la médiocrité des récoltes ainsi que la surmortalité et la chute des conceptions, la fragilisation des populations affectées par les épidémies et les actions d’assistance alors développées par les autorités ecclésiastiques. Pour l’alimentation, un élément d’originalité est fourni par la place tenue par le sarrasin cultivé dans ces campagnes normandes (on notera au passage qu’il était considéré comme «produit alimentaire d’importance secondaire» et donc négligeable dans l’étude de Gabriel Désert consacrée à l’alimentation en Normandie au XIXe siècle réalisée à partir des archives hospitalières. Les Archives hospitalières, source d’histoire économique et sociale, Cahiers des Annales de Normandie, n°10, 1977, p.88).

Ainsi, cette étude qui montre la vitalité de l’histoire économique apporte du nouveau sur la crise de 1693 que l’on pouvait pourtant estimer bien connue grâce aux travaux classiques de Michel Lachiver (1934-2008. Les Années de misère : la famine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1991) ou de Jacques Dupâquier (1922-2010. Statistiques démographiques du Bassin parisien (1636-1720), Paris, Gauthier-Villars, 1977). Elle met une fois de plus en lumière les vertus de l’histoire locale comme vérificatrice de l’histoire générale. Ce faisant, elle permet aussi d’appréhender les aspects techniques érudits de la fabrique de l’histoire, tout comme elle fournit l’occasion de rendre hommage à cet autre grand historien que fut Michel Morineau (1929-2007. Pour une histoire économique vraie, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1995) dont l’œuvre reste l'une des plus fécondes pour l'histoire de l'économie préindustrielle et qui, en son temps, a bousculé nombre d’idées reçues. L’histoire est bien une construction cumulative qui s’édifie au fil des générations !

Pour les dîmes, la fin sera brutale car la Révolution mettra à bas tout leur édifice. Très vite en effet, dès la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale, qui entend faire du premier ordre du royaume le clergé de la Nation, décidera leur suppression avec celle des privilèges.


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 27/11/2019 )
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