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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Culte, culture et colonisation au Brésil | | | Alfredo Bosi La culture brésilienne - une dialectique de la colonisation L'Harmattan 2000 / 35.85 € - 234.82 ffr. / 450 pages ISBN : 2-7384-8812-9 FORMAT : 14x22 cm
Traduit du portugais (Brésil) par Jean Briant.
L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan). Imprimer
Le Brésil nest pas seulement le pays du football. Entre la patrie de Ronaldinho et la nôtre, il existe des liens étroits et très anciens, et cest un explorateur français, Jean de Leris, qui a proposé dappeler Brésil une contrée où le bois de braise se trouvait en telle abondance.
La traduction de louvrage dAlfredo Bosi, qui de 1992 à 1998 avait connu trois éditons en portugais, donne quelques exemples de ces liens en même temps quil permet de les entretenir. Lauteur, qui est spécialiste dhistoire de la littérature brésilienne et directeur de lInstitut détudes supérieures de lUniversité de Sao Paolo, y propose un parcours à travers lhistoire culturelle du Brésil, depuis sa découverte au début du XVIe siècle jusquà aujourdhui ; des cultures, plutôt que de la culture, car à celles de lIndien colonisé et du colon européen, il convient dajouter celle des esclaves noirs venus dAfrique. Aux deux termes qui figurent dans le titre de l'ouvrage (culture, colonisation), il faut aussi ajouter celui de culte, entendu dans un sens large qui lassocie à la mémoire. Si lon veut bien considérer que lauteur entend faire une place à la culture populaire autant quà la culture lettrée, on aura une idée de la variété des phénomènes étudiés.
De ces divers épisodes, il suffira ici den retenir deux (correspondant respectivement aux chapitres 4 et 5, puis au chapitre 9). Le premier retrace la lutte entre missionnaires et colons, pouvoir spirituel et pouvoir temporel, au temps du Brésil colonial, et prend pour fil directeur laction de deux jésuites, Antonio Vieira, mort presque nonagénaire à la fin du XVIIe siècle, et Jean Andréoni, Italien venu en 1681 comme secrétaire du précédent et qui ne tarda pas à prendre le contre-pied de son bienfaiteur. Vieira partagea son temps entre lAncien et le Nouveau Monde (il fut à Rome le confesseur de la reine Christine de Suède), agissant toujours comme le défenseur infatigable des Indiens, réduits en esclavage, ainsi que des noirs qui commençaient à arriver dAfrique. Il contribua puissamment à regrouper les premiers dans des villages, ces fameuses missions jésuites, qui furent détruites au milieu du XVIIIe siècle. Andreoni, pour sa part, publia en 1711, sous un pseudonyme, un ouvrage qui permet de mesurer les progrès de lesprit mercantiliste. Il y décrivait avec force détails les diverses étapes de la production du sucre, ainsi que les rapports entre colons et esclaves. Document exceptionnel sur la vie économique du Brésil colonial, louvrage fut aussitôt détruit, toutes ces informations étant considérées alors comme relevant du secret professionnel.
Le chapitre consacré à linfluence durable du positivisme nest pas moins remarquable. Le Brésil est en effet le seul pays au monde où la pensée politique dAuguste Comte ait connu un début de mise en pratique (au point de lui avoir emprunté sa devise : ordre et progrès). Limité tout dabord à lEtat du Rio Grande do Sul, ce que lauteur appelle "une greffe idéologique de longue durée" sest ensuite étendu après 1930, avec larrivée au pouvoir du président Getulio Vargas, à lensemble du pays. Les positivistes se sont ainsi trouvés opposés à deux reprises aux libéraux : sur la question de labolition de lesclavage, tout dabord, aux grands propriétaires terriens qui étaient les premiers représentants du libéralisme ; puis, cette lutte gagnée, aux partisans du laisser faire qui voulaient réduire au minimum lintervention de lEtat. Contre ces derniers, les positivistes ont toujours affirmé la nécessité dun pouvoir assez fort pour être en mesure darbitrer les conflits entre classes dominantes ou entre celles-ci et les travailleurs. Si le dirigisme a cessé dêtre à lordre du jour, la liste des mesures prises en ce sens (établissement dun impôt foncier, développement dune industrie nationale, droit du travail, enseignement primaire) nen est pas moins instructive.
Conscient des problèmes posés par un discours comme le sien, lauteur mène également en parallèle une réflexion critique sur la pertinence de concepts comme ceux dacculturation ou dassimilation. Bien que destiné à un public universitaire louvrage, bien traduit, se lit facilement, et il nest pas nécessaire dêtre un spécialiste de lAmérique latine pour en tirer profit. Il donne de ce pays grand comme seize fois la France une image plus complexe et plus vivante que celle qui a cours dordinaire et contribuera, on peut lespérer, à une meilleure intelligence entre les deux nations.
Michel Bourdeau ( Mis en ligne le 15/09/2003 ) Imprimer | | |
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