| Patrick Arabeyre Les Idées politiques à Toulouse à la veille de la Réforme - Recherches autour de l'oeuvre de Guillaume Benoît (1455 - 1516) Presses de l'Université des Sciences Sociales de Toulouse - Etudes d'Histoire du Droit et des Idées Politiques 2003 / 40 € - 262 ffr. / 585 pages ISBN : 2-909628-87-6 FORMAT : 16x24 cm
L'auteur du compte rendu: agrégée d'Histoire, docteur de l'Université de Lille III en Histoire moderne, actuellement Chargée de Recherche (1ère classe) au C.N.R.S., Isabelle Brancourt est en poste au Centre d'Etude d'Histoire Juridique (Archives nationales). Ses recherches concernent l'histoire de la justice du Parlement de Paris et de la procédure sous l'Ancien Régime.
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Louvrage de M. Arabeyre est un voyage au bout de la pensée dun juriste de la France ancienne, Guillaume Benoît. Né à Toulouse le 21 décembre 1455, Benoît compose son uvre majeure pour ses étudiants de Cahors, alors quil est professeur à luniversité de cette ville. Devenu ensuite conseiller au Parlement de Bordeaux, puis de Toulouse, consultant, voire conseiller politique occasionnel, il ne cesse de repenser ce travail magistral, sollicité parfois par des événements ou des circonstances, jusquà sa mort, le 4 septembre 1516, au lendemain même du Concordat de Bologne.
M. Arabeyre livre ici au public sa thèse de doctorat, soutenue à lUniversité de Bourgogne en 1999. Ce livre est dune très haute densité intellectuelle et scientifique, tout en restant, par son style, accessible et dune lecture aisée. Cest dire tout de suite lattention particulière quil faut accorder aux éléments proprement scientifiques de louvrage, lindex, bien sûr, mais, surtout, lappareil critique dune exceptionnelle richesse et la recension des sources et de la bibliographie. Placée en début douvrage, cette dernière couvre quarante-cinq pages ; quand on connaît la difficulté propre aux sources des XVe-XVIe siècles, tant sur le plan de la langue, le latin bien souvent, que sur le plan de la paléographie, la liste des sources, manuscrites ou imprimées, est impressionnante.
Après une introduction générale, louvrage se présente en deux livres bien équilibrés, le premier, intitulé «Lhomme et luvre », le second, « Les idées politiques », chacun assorti dintroductions et de conclusions partielles ; il est couronné dune courte conclusion générale. La spécialisation de la thèse en histoire des idées politiques apparaît ainsi clairement, sans porter préjudice aux aspects proprement historiques (contexte, biographie) ou juridiques (droit savant). Le livre plante donc parfaitement le décor du temps, de la personne de Guillaume Benoît et de son enseignement, pour privilégier ensuite sa pensée. Cette organisation naît dune originalité fondamentale : cette thèse est le commentaire scientifique dun livre, et dun seul. Elle repose donc essentiellement sur une maîtrise exceptionnelle du commentaire. Parti du texte quil a décortiqué, M. Arabeyre remonte ensuite aux sources objectives dont sest servi Benoît, puis aux sources éventuelles, sous-jacentes à son propos, et, enfin, il analyse ce que Benoît lui-même apporte de nouveau. Il passe alors à la postérité intellectuelle de Benoît, en particulier dans la pensée du XVIe siècle, rarement au-delà (sauf sur la question des bâtards royaux).
Létude est donc dabord une démonstration méthodologique, et, compte tenu de la nature de luvre analysée, de cette Repetitio sur le canon Raynutius, De testamentis qui forme un gros in-4° de 463 folios en latin, une véritable prouesse. Tous les canons de lexplication de document sont là : enjeux et problématique de lanalyse, contexte : cest lintroduction ; connaissance de lauteur, nature de luvre, datation, circonstances de son élaboration et de sa diffusion : cest le premier livre ; commentaire systématique et composé en distinguant les axes essentiels de la pensée politique de Guillaume Benoît dans la Repetitio (ce que M. Arabeyre appelle les «blocs» de raisonnement), et les éléments satellites (ce quil nomme les «digressions», qui, dailleurs, nen sont pas !) : cest le deuxième livre. Toutes les obscurités sont levées, expliquées.
Tout cela pour soutenir une idée : quà travers cet «exercice décole» qui consistait en un commentaire dun canon, sur la question des testaments, Guillaume Benoît a voulu semparer du droit privé pour le mettre au service dun droit public à peine né mais dont il commençait à percevoir les contours, les présupposés, les principes et les conséquences. Au terme du livre, la démonstration est faite : c.q.f.d.
Lintroduction de louvrage est dabord historiographique puis historique. Elle établit ainsi la pertinence du propos : lintérêt de luvre de Guillaume Benoît avait bien été relevé par quelques auteurs, spécialement des historiens du droit, tel Paul Ourliac, mais aucune analyse générale, approfondie navait été tentée jusquà présent. Lintroduction définit ensuite le contexte général de luvre : elle se présente ainsi, par la précision des remarques, le soin méticuleux apporté aux datations et aux attributions, comme une contribution fort riche, à travers Guillaume Benoît, à lhistoire de la réflexion politique des penseurs méridionaux, à lhistoire politique des règnes de Charles VIII et Louis XII, à lhistoire du parlement de Toulouse, enfin, par la description détaillée des bibliothèques, à lhistoire de lhumanisme.
Grâce au premier chapitre du livre 1, Guillaume Benoît sort de lombre : le lecteur ne sennuiera pas à la découverte de cet inconnu. Fidèle à sa méthode, même en ce portrait, M. Arabeyre extrait de la Repetitio et de ses additions, en les confrontant aux autres sources, tout ce quelles peuvent livrer du secret dune vie. Avec le deuxième chapitre, on entre jusquau plus intime de lélaboration de la Repetitio, «uvre dune vie». Lérudition de M. Arabeyre le dispute dès lors au soin quil met à la rendre aimable, cest-à-dire claire, sans cet ésotérisme de la langue qui rend parfois les ouvrages scientifiques si rebutants.
Le cur de la thèse reste ce livre second entièrement consacré à la façon dont Guillaume Benoît conçoit le gouvernement des hommes, de cette Cité qui le fascine. Le livre est construit autour de deux thèmes : le Roi, dune part, les relations du Spirituel et du Temporel, de lautre. Le Roi occupe la plus grande partie du propos : en examinant le statut royal, ce livre est une contribution essentielle à lhistoire de lélaboration des lois fondamentales du royaume de France, dans la plénitude et la complexité de leurs caractères, juridiques, mais aussi historiques. Le très important chapitre sur lautorité royale introduit à tous les grands débats qui nourrissent la réflexion politique occidentale depuis lAntiquité et qui président à toutes les évolutions majeures de lépoque moderne : nature de la fonction royale, ministère et service marqué par le sacre, idéal exigeant et éminemment moral ; nature du pouvoir royal, dont lorigine en question introduit aux notions de souveraineté et de droits, du roi entre autres, au caractère de lautorité, à ses limites, ses contrepoids. Lensemble de la construction juridique de Guillaume Benoît aboutit ainsi à lesquisse de lEtat royal, fondé sur la circonscription nette dun domaine public garantit par le principe de linaliénabilité.
La dernière partie de louvrage, consacrée aux relations entre lEglise et le Roi, est particulièrement instructive. Elle replace la pensée du canoniste Guillaume Benoît dans les courants de réflexion qui ont agité les milieux ecclésiastiques, intellectuels ou royaux, entre les deux moments essentiels que furent la Pragmatique Sanction de Bourges (1438), et le Concordat de Bologne (1516). Face à la montée dun gallicanisme nourri aux sources des conflits entre le roi et le pape au début du XIVe siècle et renouvelé sous leffet du Grand Schisme dOccident, au tournant du XIVe et du XVe siècle, loriginalité des universitaires et juristes méridionaux méritait cet éclairage précis et savant.
Au terme de cette lecture, on comprend quelle permet, de façon décisive, de préciser les contours de la monarchie tempérée qui a toutes les faveurs de Guillaume Benoît. Ce régime nest pas une royauté où une institution viendrait systématiquement et constitutionnellement contrebalancer le pouvoir du roi, mais une monarchie simplement humaine, dans laquelle lEtat nest pas érigé en entité abstraite, au-dessus de la société humaine, mais où, au contraire, il y adhère profondément. La transcendance nest reconnue quà Dieu et au Spirituel. Dans ce cadre, M. Arabeyre croit nécessaire dévoquer «la problématique de labsolutisme en France au début des temps modernes» (p.371). Un beau thème de spéculation, certes, mais peut-être, à la manière des scolastiques une simple hypothèse décole ? Le terme dabsolutisme nécessite-t-il autant dinterrogations ? Son caractère anachronique, sous lAncien Régime, sur le plan du simple vocabulaire ne risque-t-il pas de nous enfermer toujours dans une spirale de contradictions dès lors quil sagit danalyser la pensée politique des contemporains dune monarchie qui pour être absolue, parfois, nen est pas pour autant absolutiste ?
Fil tendu entre Benoît et lesprit de son uvre, la thèse de M. Arabeyre est un chemin ascendant, en matière de difficulté et de spéculation, depuis lhomme et les faits jusquà la réflexion, en passant par les conditions matérielles ou intellectuelles de lélaboration de son uvre. Chaque point de cette voie ouvre à des explications en cercles concentriques et à des discussions, toujours érudites, mais toujours accessibles. Par la nature de luvre examinée, on en apprend finalement presque autant en droit privé quen droit public. Ce livre brille en effet par une solide connaissance du droit et des sources du droit : droit romain (Digeste, principalement), droit savant, coutumes, droit canonique également, autant que par la méthode de lhistorien et rappelle le temps malheureusement révolu des meilleures thèses dEtat.
Isabelle Brancourt ( Mis en ligne le 14/01/2004 ) Imprimer | | |