| Claude-Alain Sarre Louise de Condé J.-P. Gisserot 2005 / 8 € - 52.4 ffr. / 278 pages ISBN : 2877477932 FORMAT : 13x22 cm
L'auteur du compte-rendu : Françoise Hildesheimer, conservateur en chef aux Archives nationales, est professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié Fléaux et société. De la Grande Peste au choléra . XIVe-XIXe siècles (Hachette, 1999), et, dernièrement, Richelieu (Flammarion, 2004). Imprimer
Née le 5 octobre 1757, morte le 10 mars 1824, fille du prince de Condé et de Charlotte de Rohan, Louise de Condé, sa longue vie durant, fut, de laveu de son père, «un peu ridicule, et pas comme les autres». Mais comment peut-on être tout à la fois princesse du sang et en quête dabsolu, le tout au temps de révolutions qui vous rend errante à travers lEurope et vous met à la merci de souverains plus ou moins favorables aux émigrés et sensibles au sort et aux doléances de celle qui semble incapable de trouver un quelconque équilibre matériel et spirituel ? Une dizaine de couvents en Italie, en Autriche, en Suisse, en Russie en Lituanie, en Pologne (où elle fait profession), en Angleterre, enfin en France (où Louis XVIII lui fait don du Temple), plusieurs directeurs de conscience éprouveront la difficulté dune personnalité faite de contradictions accrues par la mise à lépreuve dune époque exceptionnelle.
Car Louise appartient à une génération qui, comme jamais auparavant, a éprouvé dans sa chair linstabilité des positions humaines et des régimes politiques ; de Révolution en Restauration, elle na certes rien oublié, mais elle a sans doute été confortée dans cette confiance en Dieu seul qui sancrait dans les souvenirs de sa petite enfance auprès de sa grand-tante, Madame de Vermandois, abbesse de labbaye bénédictine de Beaumont-lès-Tours, qui accueille la jeune orpheline de mère quelle fut. En revanche un passage à lélégante et mondaine abbaye de Pentemont ne lincite pas à poursuivre dans cette voie, et les années 1782-1789 sont celles dune vie mondaine conforme à sa condition, mais qui ne semble déjà guère la satisfaire.
Cest alors que se produit un accident, une simple chute sur la terrasse des Tuileries qui entraîne la fracture ou la luxation dune rotule, épisode qui récidivera à plusieurs reprises et lhandicapera physiquement toute sa vie. Physiquement, certes, mais au-delà plus profondément, ny a-t-il pas là comme le retentissement pathologique de la marche spirituelle difficile, heurtée et incertaine, cahotante qui est et sera de plus en plus la sienne
Pour linstant, ce handicap lenvoie à Bourbon lArchambault où elle rencontre Louis-Nicolas Magon, marquis de La Gervaisais, gentilhomme breton, auquel elle écrira des lettres enflammées, jusquà linévitable rupture. Nous sommes en 1786, et la voilà élue abbesse séculière de Remiremont. Puis arrive 1789 ; elle a plus de trente ans et nest toujours pas mariée, partagée entre ses aspirations spirituelles et les exigences mondaines de sa condition. Elle entre en émigration aux côtés de son père, mais cest, à terme, loccasion pour elle de prendre son autonomie, en 1793, puisquelle ne peut naturellement pas accompagner le Prince de Condé en campagne.
Les années 1793-1815, fort riches de péripéties et derrance, peuvent pourtant se résumer à la quête dun havre spirituel, lequel se dérobe sans cesse, à limage du genou rétif de laltière princesse qui veut être gouvernée tout en ne supportant pas de lêtre. Trois personnalités marquantes de directeurs de conscience croisent successivement sa route ; deux réussites : labbé de Bouzonville et labbé dAstros ; un choc négatif avec la forte personnalité de Dom Augustin de Lestrange dont elle partage un temps le destin erratique. En fait, elle ne peut se plier à la discipline daucune des communautés qui laccueillent ; rien ne lui semble correspondre aux exigences que lui dicte son cur («Quand je vois vos uvres, je bénis la main qui les dispense, je reconnais le cur qui les dirige, et le mien gémit de navoir pas la capacité daimer comme il en sent le besoin. Il voudrait sélancer vers son Dieu. Il se gonfle, il tressaille, il senflamme, il brûle dans mon sein
»), exigences de spiritualité, mais aussi jugements à lemporte pièce : «En voyant tant de méchants ici-bas, je trouve une grande douceur à lever mes yeux vers un Être parfait auquel je crois, en qui jespère et que je suis heureuse daimer et, par conséquent, de servir, en suivant ses Lois mille fois plus douces et plus faciles que celles que nous imposent les scélérats, les impies ou les imbéciles parmi lesquels nous vivons.» Et, se voulant toute à Dieu, elle ne peut oublier le monde et en suit avec passion les événements multiples
Claude-Alain Sarre laccompagne avec attention et minutie jusquà son retour en France ; là, celle qui, chemin faisant (à Varsovie en lespèce), est devenue Sur Marie-Joseph de la Miséricorde, professe bénédictine, reçoit les terrains du Temple pour y établir sa propre communauté vouée à lAdoration perpétuelle. Seul ce changement de rôle, cette affirmation de son autorité propre, la stabilisera ; de 1816 à sa mort elle sattache à létablissement matériel et spirituel de son uvre, sorte de mausolée familial expiatoire, en exprimant une volonté dintense mysticisme : «Âmes religieuses, lorsque vos voix réunies font entendre les louanges du Seigneur et quelles racontent sa gloire, tandis que vos curs ladorent en esprit et en vérité, il me semble que ce sont autant de flèches enflammées lancées vers le trône de lÉternel
» Décidément, il nest pas facile dêtre princesse et mystique, danéantir son ego social dans le tout de lÊtre ! Cela donne «une personne diverse», au jugement clairvoyant de la maîtresse des novices quelle a connue à Turin, une personnalité qui se déclare elle-même «aidée et secourue de la grâce, il est vrai, mais toujours moi», autrement dit la princesse de Condé.
Reconnaissons-lui une sincérité réelle et une postérité spirituelle, puisque, après un épisode intellectuellement et artistiquement fort brillant rue Monsieur à Paris, sa communauté est aujourdhui établie à Vauhallan en région parisienne. Les nombreux textes mis en uvre et abondamment cités par Claude-Alain Sarre à lappui de la résurrection de son attachante héroïne sont le fruit dune remarquable enquête archivistique, dont on peut in fine regretter quelle ne soit pas mieux mise en valeur par léditeur : à tout les moins, les beaux textes édités en annexes devraient-ils être munis de leurs références.
Françoise Hildesheimer ( Mis en ligne le 14/04/2005 ) Imprimer | | |