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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Alvaro Huerga Bartolomé de Las Casas - Vie et oeuvres Cerf - Histoire 2005 / 55 € - 360.25 ffr. / 492 pages ISBN : 2-204-06874-8 FORMAT : 15x24 cm
L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat, agrégé d'histoire, est enseignant dans le secondaire. Il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Pour un public francophone averti, sans être érudit, Bartolomé de Las Casas (c.1485-1566) nest pas un inconnu. Certes, cette célébrité doit beaucoup à un téléfilm fameux, à la voix et au physique de lacteur Jean-Pierre Marielle et à sa faconde dans la défense des Indiens de lAmérique espagnole. La télévision ne fait alors que transcrire la vision contemporaine du frère prêcheur du XVIe siècle, celle dun père des droits de lHomme, dun mythe idéologique. Nécessairement, une telle perception ne traduit pas la réalité historique. Cest ce manque, et labsence dune biographie récente et rigoureuse, qui amènent un autre dominicain, le père Alvaro Huerga, à se pencher sur la vie et les uvres de Las Casas. Avec la rigueur de lhistorien il enseigne à Rome et Porto Rico et celle du théologien il est membre de lAcadémie pontificale de théologie Alvaro Huerga dresse ce quil appelle modestement une ébauche, une biographie dans les strictes limites de lhistoriographie.
Ces dernières savèrent parfois particulièrement étroites. La question de la date de naissance de Las Casas et de ses études offre au lecteur loccasion de mesurer lincertitude, courante dans certains pans de lhistoire, et à lauteur celle de montrer sa méthode. De lun et de lautre, il ressort que Bartolomé de Las Casas est né à Séville, sans doute vers 1485, peut-être un peu avant, dans une famille de classe moyenne, dont lancienneté dans la foi chrétienne a pu et peut encore être mise en doute question dimportance dans cette Espagne des trois religions qui nallait bientôt nen tolérer plus quune seule. Sil ne se prononce pas quant à lhéritage religieux, le père Huerga nhésite pas à opter pour telle date plutôt quune autre et à réfuter avec élégance et fermeté lexistence dhypothétiques études de jeunesse, non sans avoir méthodiquement pesé les différentes hypothèses.
Le problème des origines est crucial pour la biographie de Las Casas, tout comme pour celles des conquistadors. Né à la porte dentrée de lAtlantique, alors quun Nouveau Monde riche en opportunités sentrouvre de lautre côté, fils dun homme qui a fait le voyage avec Colomb et en a rapporté un Indien que la reine Isabelle la Catholique lui reprend, Bartolomé semble très jeune marqué par la question qui fut le problème de sa vie : la condition des Indiens dAmérique. Il est cependant moins connu quavant den être le défenseur, il en est lexploiteur : arrivé en 1502 à Hispaniola (Saint-Domingue), il participe à la colonisation et pour cela reçoit son lot dIndiens selon la pratique de lencomienda.
Il faut dix ans à lindiano Las Casas pour prendre conscience de linanité des traitements faits aux Indiens. Larrivée des Dominicains en 1510 et la prédication du frère Montesinos lannée suivante achèvent de lui dessiller les yeux : «ces gens ne sont-ils pas aussi des Hommes ?». Devenu prêtre dans des conditions difficiles à établir, Bartolomé entame un combat qui devait durer toute sa vie. Cette lutte, il la mène sur tous les fronts et par tous les moyens. Sil cherche dans un premier temps à obtenir du pouvoir royal une Réforme des Indes (1515-1516) lors dun deuxième séjour en Europe (au total, il aura traversé dix fois lOcéan), cest pour pouvoir ensuite réaliser son idéal de société chrétienne où Indiens et colons européens cohabiteraient, une utopie qui échoue au Venezuela sur la Côte-des-Perles.
Quimporte ! Le combat continue, dautant que ses positions se radicalisent avec le temps et quil revendique le maintien de lintégrité des sociétés indiennes rencontrées. Il continue partout : à Cuba, au Nicaragua, au Guatemala et en Espagne où son insistance contribue à la promulgation des Nouvelles Lois (1542). Il continue sous tous les habits : devenu dominicain vers 1522, il est ensuite supérieur de couvent puis évêque au Chiapas (1543) où son engagement en faveur des Indiens lui suscite la rancur des colons et entraîne son retour définitif en Europe (1547). Le combat continue par tous les moyens et Las Casas de sélever, en 1551, contre les thèses défendues par Luis de Sepulveda dans son livre Democrates Alter qui justifie la guerre contre les Indiens. De lantagonisme entre les deux hommes naît limage dEpinal de la controverse de Valladolid dont la forme fut bien différente des réquisitoires mis en scène par la télévision.
Affecté au couvent San Gregorio de Valladolid, sa plume ne cesse dêtre au service de sa mission et il multiplie les traités et opuscules. Humaniste, Las Casas est un optimiste mais il arrive que, devant des échecs maintes fois répétés, le découragement perce, notamment dans sa Très brève relation de la destruction des Indes (1552). Lorsquil rédige son Histoire des Indes, cest bien dans le même but, et non pas pour souligner sa participation à des événements mémorables. Dailleurs, il parle de lui le plus souvent de manière anonyme, employant la troisième personne, se désignant comme un clerc ou le clerc. Il manifeste dans ses écrits une modernité qui paraît encore aujourdhui étonnante, puisquil y postule même le droit à lautodétermination des peuples. La finalité en reste lévangélisation, préoccupation normale dun prêtre catholique mort en 1566.
Cest donc une vie bien remplie, riche en actes comme en pensées, que celle de Bartolomé de Las Casas et Alvaro Huerga la reconstitue avec rigueur et méthode. Si la numérotation des postulats ou des conclusions sur plusieurs niveaux produit des confusions ponctuelles (comme loubli du 2e point entre un 1er et un 3e dans les pages 48 à 53), elle conduit aussi à une plus grande clarté dans la pensée. En outre, Bartolomé de Las Casas. Vie et uvres respecte les règles de lédition scientifique : une fois nest pas coutume, les notes sont infrapaginales et occupent même toute la page en une occasion (p.140). On peut déplorer labsence doutils aussi utiles quun index et une chronologie. Au moins y-a-t-il un petit lexique. Le livre de Alvaro Huerga nen constitue pas moins un ouvrage de référence dont on peut saluer la publication en français, sept ans après sa publication espagnole.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 27/04/2005 ) Imprimer | | |
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