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Aurore boréale au règne du roi-soleil | | | Jean-Christian Petitfils Fouquet Perrin - Tempus 2005 / 11 € - 72.05 ffr. / 607 pages ISBN : 2-262-02332-8 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
La vie de Nicolas Fouquet, son ascension sous la régence dAnne dAutriche et pendant la Fronde, son apogée comme surintendant des finances dans les années 1650, puis sa chute, son arrestation en 1661 et son emprisonnement à Pignerol jusquà sa mort en 1680, illustrent remarquablement les différentes étapes de ce quYves-Marie Bercé a très justement appelé «la naissance dramatique de labsolutisme». Goût du luxe et piété profonde, renforcement de lautorité royale et complots, sens de lÉtat et concussion, État de justice et raison dÉtat ont marqué ce destin étonnant. Fouquet fut, en quelque sorte, laurore boréale du règne du roi-soleil : avant que lastre louisquatorzien ne sélève et néblouisse ses contemporains, il diffusa une somptueuse mais fragile lumière, qui éclaira les sombres années du commencement du règne.
Magistrat, issu dune famille de marchands angevins, le père de Fouquet eut la bonne idée de se ranger dans le camp de Richelieu à lépoque où le pouvoir de ce dernier nétait pas encore assuré. Sa carrière, puis celle de son fils, en furent récompensées. Nicolas Fouquet suivit les traces de son père dans la robe et comme serviteur de roi. Procureur-général au Parlement de Paris, il fut également intendant dans plusieurs provinces ou aux armées. Il sut aussi faire les bons choix dans des moments cruciaux : durant la Fronde, il resta fidèle à Mazarin, à la reine-mère et au roi. Faisant preuve de sens politique et de courage physique, il fut un allié précieux pendant ces terribles années, mobilisant pour ses maîtres ses réseaux de magistrats et de financiers. En récompense de ses services, et compte tenu de ses liens avec les gens de finance indispensables pour un roi sans-le-sou en guerre contre lEspagne, il fut nommé surintendant des finances en 1653. À ce poste, jusquà sa chute en 1661, il se démena pour assumer les peu glorieuses échéances financières du début dun règne dont rien alors ne laissait présager quil serait si flamboyant.
Lauteur de ce Fouquet, Jean-Christian Petitfils, est un spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles. Auteur de plusieurs biographies, de Lauzun, du Régent, de Louise de la Vallière et récemment de Louis XVI, il avait, en 1994, signé un très remarqué et très apprécié Louis XIV. Bien que travaillant sur une époque quil connaît bien - Lauzun et Fouquet furent dailleurs compagnons de détention à Pignerol ! - lauteur a effectué un travail de recherches considérable. En sappuyant sur dimportants fonds darchives et de nombreux manuscrits, il dresse, du vicomte de Vaux et de son temps, un excellent tableau, à la fois vivant et précis.
Outre les étapes et péripéties dun destin fascinant, ce livre apporte des éclairages sur trois aspects de cette époque : les finances du royaume, le mécénat et la raison dÉtat. Le Fouquet de Daniel Dessert, de même que ses autres travaux et ceux de Françoise Bayard parus dans les années 80 avaient permis de mieux connaître et comprendre le système dit des traitants et des partisans. Ces groupes de personnages prêtaient à lÉtat, par des réseaux extrêmement complexes de clients, dintermédiaires et dhommes de paille. En suivant Fouquet, nous nous trouvons donc au cur de ce système où la distinction entre argent du roi et argent privé est plutôt floue, où toutes les charges et titres sachètent et où le service du souverain est aussi un moyen de senrichir, et den faire profiter ses clients. À ce petit jeu, le maître incontesté fut bien entendu Mazarin. Jean-Christian Petitfils nous rappelle à quel point ce génial politique fut aussi un manipulateur retors, tour à tour flattant ses fidèles ou leur jouant la comédie du désamour. Il fut surtout animé dune cupidité maladive, que Fouquet dut souvent calmer de sa propre poche.
Concernant le mécénat, le rôle de Fouquet est assez bien connu. À Saint-Mandé dabord, à Vaux ensuite, il avait réuni, à la fois par goût et pas mégalomanie, une brillante compagnie dartistes et décrivains, parmi lesquels La Fontaine, dont il aimait écouter les flatteries, mais dont il savait surtout apprécier le talent. Lélégante beauté du château de Vaux-le-Vicomte, où il donna le 17 août 1661 une fête grandiose en lhonneur dun Louis XIV impassible mais révolté devant autant de faste, témoigne encore aujourdhui du goût de cet homme, qui poursuivait la grande tradition des mécènes de la Renaissance.
La chute de Fouquet, arrêté à Nantes trois semaines après lapogée de la fête de Vaux, est un parfait exemple de la raison dÉtat. Louis XIV voulait tout dabord solder les comptes des années Mazarin, sans salir la mémoire de son parrain. Fouquet paya donc pour des malversations financières, en partie réelles, mais surtout inévitables vu le contexte de débâcle des années 1650. Sans Fouquet et ses acrobaties, Mazarin naurait jamais pu payer les troupes et Louis XIV aurait perdu la guerre contre lEspagne. Surtout, le roi entendait montrer à tous quil était désormais le maître incontesté. Dix ans après la Fronde, il ne pouvait pas tolérer quun de ses sujets puisse lui faire de lombre. Artistes, bâtiments, mais surtout embryon de principauté dans lÉtat, avec les places de sûreté que Fouquet avait acquises en Bretagne Sud, à Concarneau, dans le golfe du Morbihan et surtout à Belle-Ile, tout ceci était inacceptable pour Louis XIV. Pour toutes ces raisons, Fouquet devait être condamné, peu importait le respect des formes. Colbert y veilla avec un zèle haineux, même sil ne put empêcher que lancien maître de Vaux sauve sa tête.
Lhistoire de cet homme brillant et vaniteux, habile et naïf, qui tomba pour sêtre cru intouchable et pour avoir - mais il ne fut pas le seul ! - mal évalué la formidable personnalité du jeune roi, est donc aussi une histoire du début de la monarchie absolue, ce moment où lÉtat, au sens moderne du terme, naquit véritablement.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 16/06/2005 ) Imprimer
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