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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Omar Calabrese L'Art de l'autoportrait - Histoire et théorie d'un genre pictural Citadelles & Mazenod 2006 / 174 € - 1139.7 ffr. / 390 pages ISBN : 2-85088-117-1 FORMAT : 29,0cm x 35,0cm
Traduction d'Odile Menegaux et Reto Morgenthaler. Imprimer
Les nouveautés des éditions Citadelles & Mazenod sont toujours attendues pour la beauté de leur présentation et la qualité de leur contenu. Ce volume sur LArt de lautoportrait ne faillit pas à la tradition. Très abondamment illustré, il est riche de nombreuses et magnifiques reproductions. Ce sont essentiellement des peintures, pour la plupart bien connues. Mais la principale qualité de louvrage ce qui nest pas le cas de tous les livres de cette collection réside dans le lien entre le texte et les images. Dabord, aucune illustration na été choisie pour elle-même : elle vient toujours éclairer le texte qui la commente ou lutilise pour sa démonstration. Parallèlement, la plupart des uvres citées sont reproduites. Qui plus est, la mise ne page est particulièrement bien réussie et place très souvent les reproductions en vis-à-vis direct du texte. Quand ce nest pas le cas, un système de numérotation marginale permet de facilement retrouver luvre évoquée.
Son auteur, Omar Calabrese, enseigne aujourdhui la communication à luniversité de Sienne et la sémiotique à Milan. Sa longue carrière universitaire et ses nombreuses publications (notamment Il Linguaggio dellarte) témoignent de son intérêt pour lensemble des sciences humaines et leur application au domaine de lart. Cette ambition est au cur de cet ouvrage traduit en français. Il entend croiser différentes disciplines des sciences humaines (narratologie, sémiotique, psychologie, etc.) pour construire une «théorie» de lautoportrait. Lidée sous-jacente est donc que lart de lautoportrait constitue une catégorie en soi qui a ses règles propres et ses fonctions spécifiques, différentes de lensemble des autres domaines artistiques. O. Calabrese en décrit la formation à travers une approche historique. Deux aspects intimement mêlés servent de fil directeur : laffirmation de lidentité, et létude des fonctions de la représentation de soi.
Cette problématique se déploie en onze chapitres inspirés dun article dA. Chastel sur lautoportrait. Les trois premiers étudient les formes qui ont précédé laffirmation de lautoportrait : lartiste qui se représente dans les images comme pour signer son uvre, une pratique de lantiquité comme du Moyen Âge ; ou encore la pratique courante au XVe siècle de se représenter parmi les personnages de limage quand ils sont nombreux ; ou, enfin, de donner ses traits à un personnage représenté, comme saint Luc peignant la Vierge, ou Holopherne décapité. Ces représentations de soi expriment une forme daffirmation «générique» (p.45) de lidentité, répondant à diverses fonctions : montrer son appartenance à un groupe, participer au sacré, ou encore contourner et dénoncer les règles dune société figée. Ces multiples fonctions expliquent que ces pratiques picturales se retrouvent jusqu'au XXe siècle.
La suite de louvrage est consacrée à lautoportrait proprement dit, en tant que genre autonome, qui saffirme entre 1450 et 1550. Plusieurs chapitres (principalement les 4, 5 et 8) étudient les variations stylistiques de lart de lautoportrait et les diverses virtuosités auxquelles il donne lieu, que ce soit par les jeux de miroir ou de mise en abîme de lartiste se peignant en train de se peindre. Ces variations sont elles-mêmes en rapport avec le statut plus intellectuel ou plus manuel accordé à la peinture. Le chapitre 6 est plus strictement consacré à la fonction de lautoportrait comme moyen daffirmer une position sociale, notamment celle du gentilhomme, de laristocrate, de lhomme de lettres ou du «seigneur des arts». Le chapitre 7 reprend ces problématiques à travers létude consacrée aux autoportraits féminins qui présentent des spécificités iconographiques les distingant des autoportraits masculins.
Les chapitres 9 et 10 correspondent à un autre aspect de la représentation de soi : la manifestation graphique de ses passions et de son intériorité qui correspond à une nouvelle étape dans la perception de lidentité. Ce sont des aspects certes présents au XVIe siècle, mais qui sapprofondissent à partir du XVIIe pour devenir centraux à partir du romantisme qui exalte les passions et fait de la quête de soi une des fonctions de lart. Le dernier chapitre vient clore cette évolution par une sorte de retour en arrière : lart du XXe siècle procède à un éclatement des formes artistiques dautant plus net dans le cas de lautoportrait que ce mouvement saccompagne dune «disparition du je».
Louvrage dO. Calabrese présente donc une histoire de lautoportrait qui entend faire la «théorie» de cet art. La conséquence de cette démarche est de favoriser les périodes de genèse, donc particulièrement les XVe-XVIe siècles et den faire le pivot de la démonstration, qui sert de fondement à la compréhension des autres périodes. La première et la quatrième de couverture, illustrées respectivement par des uvres de Dali et Vigée-Lebrun sont de ce point de vue trompeuses et masquent le fait que la majorité des uvres étudiées sont celles de la Renaissance. Mais la démarche a pour elle dêtre stimulante.
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 19/04/2006 ) Imprimer | | |
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