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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
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Selon que vous serez puissant ou misérable... | | | Hervé Piant Une justice ordinaire - Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de Vaucouleurs sous l'Ancien Régime Presses universitaires de Rennes - Histoire 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 306 pages ISBN : 2-7535-0192-0 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
Préface de Benoît Garnot.
L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat, agrégé d'histoire, est enseignant dans le secondaire. Il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Pour dénoncer les dysfonctionnements de la justice de lAncien Régime, les critiques ne manquent pas, à commencer par les contemporains de linstitution. Hervé Piant le rappelle dans lintroduction dUne justice ordinaire, préférant cependant Racine et Voltaire à La Fontaine et ses Animaux malades de la peste, sans doute pour ne pas séchouer sur ces vers, sempiternels écueils quun chanteur populaire a déjà largement détournés à son profit. Il souligne aussi avec raison que le fonctionnement des tribunaux des rois bourbons est aussi très mal connu, lhistoriographie, grande ou petite, ayant souvent préféré les procès à sensation ou les justices dappel ou dexception à la justice rendue au quotidien dans un des plus grands royaumes dEurope.
Une justice ordinaire est donc celle dune cellule de base de ladministration royale, la prévôté de Vaucouleurs, localité jusqualors plus évocatrice de Jeanne dArc ou de la comtesse du Barry. Ce choix répond autant à des impératifs pratiques, comme limportance du fond darchives et laccessibilité pour un enseignant chercheur, quà des intérêts historiques. Enclavée dans les Etats lorrains, la prévôté de Vaucouleurs représente la justice royale et française sur une frontière appelée à disparaître dans les 120 ans que couvre létude. Les plaideurs de lépoque moderne pouvant dans une certaine mesure choisir leurs tribunaux, la justice y connaît donc la concurrence des justices seigneuriales, à linstar dune grande partie des prévôtés dAncien Régime, mais aussi celle des justices lorraines. Avec ses 9764 affaires civiles et criminelles répertoriées par lauteur, le fond de la prévôté aux Archives départementales de la Meuse offrait donc une matière variée, sans être faite de cas particuliers, et en tout cas amplement suffisante à la thèse de doctorat dont est tiré ce livre.
Lapproche choisie se veut une histoire sociale de la justice et non pas une histoire de la répression, doù le recours au civil comme au criminel. Dinstrument de régulation verticale, la justice devient outil social sous la plume dHervé Piant, permettant aux personnes concernées de régler leurs différends mais aussi de parvenir à leurs fins. Cest donc aux acteurs de linstitution judiciaire que létude sintéresse dans un premier temps. Le petit monde de la cité des juges (chapitre II), et des professions corollaires, de la fonction prévôtale à la lieutenance générale de police, pour lequel lhistorien se livre à une étude prosopographique allant de la formation à la fortune, manifeste sans grande surprise un important phénomène de reproduction sociale.
Cependant, cest certainement le monde des justiciables et des plaideurs qui attire le plus lattention du lecteur en raison, certes, du caractère novateur du travail dHervé Piant lhistoriographie sétant peu intéressée à ces seconds couteaux du système judiciaire qui en forment pourtant la grande «clientèle» - mais aussi par son côté quelque peu croustillant et humoristique que lauteur sait mettre en exergue avec utilité et talent. Ainsi, le personnage de Pierre Devouthon (1709-1789), un Louis-François Pinagot du bord de Meuse très différent de celui dAlain Corbin, savère responsable de 3% du contentieux total du tribunal pendant sa vie dadulte, devenant un modèle du chicaneur, utilisant à tour de bras lappareil judiciaire pour tenter descalader léchelle sociale de son temps.
Etudiées dans les deux chapitres suivants, les causes des conflits tendent à manifester une certaine sordidité permanente de la nature humaine : querelles agraires, dettes impayées et affaires de famille constituent le pain quotidien du tribunal de Vaucouleurs. A cette pitance, il faut ajouter les scènes de violence (chapitre V). Grâce à elles, Hervé Piant conforte la thèse de son maître Benoît Garnot selon laquelle la société française du XVIIIe siècle ne devient pas moins violente, comme lavaient pensé un temps Pierre Chaunu et ses élèves, mais quen fait les choix répressifs se portent davantage vers une protection des biens que vers une préservation des personnes.
Reste enfin le dénouement dans lequel la justice montre pleinement son rôle social et où lauteur achève de démontrer son utilisation par les plaideurs, dont certains savent utiliser parfaitement tous les ressorts du système. Dune part, il apparaît que nombre de procès se réglaient hors du prétoire avant une sentence finale et dans une grande variété de possibilités quHervé Piant évoque comme lalternative infrajudiciaire et qui vont de la résignation à la négociation en passant par la vengeance. Dautre part, la diversité des procédures manifeste clairement la grande souplesse et la grande complexité de la justice dAncien Régime qui abandonne au plaideur qui sait lutiliser une grande autonomie quant au traitement de son affaire. Loin de la justice immanente de lEtat de droit mise en place à la Révolution française, linstitution de lépoque moderne apparaît très pragmatique et pratique à qui sait sen servir.
Au terme dun travail considérable, Hervé Piant dresse donc un portrait très éclairant et rigoureux de la justice royale, contribuant à la débarrasser de sa légende noire sans pour autant en faire un modèle dutilité. Cette utilité, ce sont les historiens qui la trouveront dans tous les éclaircissements que lauteur apporte quant au fonctionnement du système judiciaire, source de nombre de documents essentiels aux modernistes. Si, selon les principes de publication des thèses aux Presses Universitaires de Rennes, lappareil critique a été considérablement réduit par rapport au travail originel, le lecteur averti ne pourra quêtre satisfait de la présence des notes infrapaginales et des sources. A coup sûr, cette justice ne lui apparaîtra pas si ordinaire.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 20/04/2007 ) Imprimer | | |
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