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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Moderne  
 

Mystique et politique au temps de Richelieu
Benoist Pierre   Le Père Joseph - L'Eminence grise de Richelieu
Perrin 2007 /  24 € - 157.2 ffr. / 476 pages
ISBN : 978-2-262-02244-0
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié en dernier lieu : Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (Champ Vallon, 2003).
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Après «l’Éminence rouge», Richelieu, dont la biographie a été récemment rénovée par Françoise Hildesheimer, voici «l’Éminence grise», le fidèle second du cardinal, dont la vie et l’œuvre sont examinées au prisme de sources nouvelles et de questionnements nouveaux.

François Le Clerc du Tremblay est né à Paris le 4 novembre 1577. Son père, Jean Le Clerc, président au Parlement, appartenait à une famille de robe originaire d’Auvergne ; sa mère, Marie de La Fayette, sortait au contraire de la noblesse d’épée. Sous le signe de ce double héritage, François reçut une éducation mixte, qui pouvait l’amener aussi bien à devenir un magistrat humaniste qu’à chercher fortune dans la carrière des armes : après une solide formation classique acquise auprès de précepteurs, le jeune homme fréquenta – comme Richelieu – l’académie équestre d’Antoine de Pluvinel (1595) puis accomplit, avec un groupe de jeunes gentilshommes, un «grand tour» européen qui l’entraîna en Italie et en Allemagne (1595-1596). Latiniste, François acquit aussi la maîtrise de l’italien, de l’espagnol et de l’allemand. Au début de 1597, le baron de Maffliers, tel était son titre depuis deux ans, suivait le connétable de Montmorency, dont il était le voisin à Paris et le vassal dans ses terres, au siège d’Amiens. La rupture intervint deux ans plus tard : le 2 février 1599, François Le Clerc du Tremblay entrait au couvent des capucins d’Orléans.

La jeunesse de François avait été profondément marquée par les guerres de religion, dont sa famille était sortie appauvrie et divisée (entre catholiques et protestants, entre sympathisants de la Ligue et partisans du roi Bourbon). Son père était mort prématurément en 1587. Il semble que François ait refusé un riche mariage dans la robe, qui eût pu rétablir ses affaires. Toute vocation mise à part, l’entrée en religion du baron de Maffliers apparaît donc comme un geste de refus vis-à-vis d’un monde où sa lignée semblait condamnée au déclin. Elle exprime son désir de retrouver une unité spirituelle après avoir été tiraillé entre des influences contraires.

Devenu en religion le Père Joseph de Paris, François Le Clerc du Tremblay avait choisi un ordre réputé pour son rigorisme et pour une dévotion centrée sur la figure du Christ souffrant. Après quelques années passées à approfondir son expérience mystique, il mit à profit son tempérament d’homme d’action. Prédicateur fécond, il lança des missions en Poitou pour ramener les protestants à la foi catholique. En 1611, il devint le directeur de la communauté de moniales qui allait former la congrégation des Filles du Calvaire (1616). Dans le même temps, il s’associa au projet de croisade contre les Turcs lancé par le duc de Nevers, Charles de Gonzague, projet dont la base était la création d’un nouvel ordre religieux et militaire, la «Milice chrétienne». Pour défendre ces différentes causes, le P. Joseph se rendit à Rome (1617) et en Espagne (1618). Il était alors devenu l'une des figures activistes du parti dévot.

Entre-temps, l’évolution de la conjoncture politique nationale et internationale remit en cause ses grands desseins. Avec le commencement de la guerre de Trente Ans (1618), les Habsbourg de Vienne et de Madrid se détournèrent de la lutte contre les Ottomans pour concentrer leurs efforts contre les princes protestants de l’Empire, et la «Milice chrétienne» sombra dans l’indifférence (1628). À l’intérieur, le P. Joseph eut l’occasion de mettre à profit ses talents de médiateur pendant les troubles qui opposèrent le roi et les grands. Il se lia avec Richelieu et s’attacha à lui. Arrivé au pouvoir en 1624, ce dernier l’appela à Paris. Dans les années qui suivirent, le capucin suivit les armées royales, notamment pendant le siège de La Rochelle, dans les campagnes qui aboutirent à la défaite du parti protestant (paix d’Alès du 28 juin 1629). En une dizaine d’années, les perspectives théologiques et politiques du P. Joseph connurent une profonde transformation : de l’unité des chrétiens par la lutte extérieure contre l’infidèle il passa à l’idée de l’unité sous l’autorité du roi de France, obtenue par une lutte contre les ennemis intérieurs et extérieurs de l’État. Au «catholicisme dévot et universaliste» succède un «catholicisme royal». Pour le P. Joseph, le roi est à l’image de Dieu ; de même que Dieu règne sur la Cour céleste par l’intermédiaire d’une hiérarchie angélique, de même le roi doit régner sans partage sur le royaume, par l’intermédiaire de ses bons serviteurs, au premier rang desquels se trouve son principal ministre, le cardinal de Richelieu.

Auprès du cardinal, le P. Joseph a d’abord été à la fois un secrétaire, un rédacteur d’opuscules de propagande et un agent diplomatique officieux itinérant, expédié à Rome en 1625 et en Allemagne en 1630. Cette année-là, à Ratisbonne, il signa avec l’empereur un traité par lequel la France renonçait à ses alliances protestantes. Richelieu désavoua son émissaire et, au terme de la fameuse «journée des dupes» du 10 novembre 1630, fit prévaloir cette ligne anti-habsbourgeoise au Conseil. Quelques jours plus tard, le capucin se ralliait aux positions de son patron. La rupture avec les dévots était consommée.

Une fois passée la crise de Ratisbonne, le P. Joseph, toujours dépourvu de tout titre officiel, devint réellement «l’Éminence grise», le principal conseiller politique du cardinal, voire son successeur pressenti. Autant que le secrétaire d’État en titre des Affaires étrangères, il fut au centre du réseau diplomatique français, correspondit avec les ambassadeurs du roi et entretint un réseau européen de renseignement officieux, composé en grande partie de réguliers. Son grand dessein était désormais l’abaissement de la Maison d’Autriche. L’ancien fauteur de croisade n’hésitait pas à tisser des alliances avec les puissances protestantes, voire à prôner une alliance de revers avec les Ottomans. La transformation d’un religieux et d’un dévot en homme politique scandalisa les contemporains, et les pamphlétaires hostiles à Richelieu firent du P. Joseph un suppôt de Satan et de Machiavel. C’est l’origine de la légende historiographique et romanesque qui fait endosser au capucin la part d’ombre de son maître.

Le P. Joseph n’avait pas pour autant cessé d’être homme de Dieu. Jusqu’à la fin, il dirigea activement les Filles du Calvaire et défendit les intérêts des réguliers à la Cour. C’est également sur son initiative que Louis XIII décida de consacrer son royaume à la vierge (1637). Victime d’une crise d’apoplexie, l’«Éminence grise» mourut à Rueil, résidence de Richelieu, le 18 décembre 1638. La légende prétend qu’il succomba dans les bras du cardinal, qui tentait de le ranimer en lui criant : «Père Joseph, il faut vivre : Brisach est à nous !» La voie était libre pour un autre conseiller du cardinal, un nouveau venu doté d’un tout autre tempérament : Jules Mazarin.

La démarche de Benoist Pierre reproduit celle adoptée par Françoise Hildesheimer dans sa récente biographie de Richelieu : le renouveau du sujet part d’un retour aux sources, notamment à celles qui ont rebuté jusqu’ici les historiens, en particulier l’abondante correspondance religieuse de l’Éminence grise ou encore ses écrits mystiques et poétiques, réputés illisibles. Ainsi l’itinéraire politique du capucin reprend-il sens : la rupture de 1630 n’est pas un reniement, mais la conséquence logique d’une recherche d’ordre et d’unité dans un monde hiérarchisé – après le désordre né des guerres de religion. L’ancien cadre de la chrétienté tendant à s’effacer, cette harmonie ne pouvait se réaliser que dans le cadre plus restreint du royaume, autour de la figure d’un roi qui, avant même Louis XIV, est déjà «roi-soleil».


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 29/05/2007 )
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