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Ondoyante jeunesse
Ludivine Bantigny   Ivan Jablonka    Collectif   Jeunesse oblige - Histoire des jeunes en France, XIXe-XXIe siècle
PUF - Le noeud gordien 2009 /  26 € - 170.3 ffr. / 307 pages
ISBN : 978-2-13-056692-2
FORMAT : 15cm x 22cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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«Or ce mot de «jeune», c’est un mot de vieux, il n’y a que les vieux pour le prononcer à tout bout de champ». Cette citation de Nicole Védrès (Paris 6è, 1965), placée en exergue du texte de Ludivine Bantigny qui ouvre le recueil («Le mot «jeune», un mot de vieux ? La jeunesse du mythe à l’histoire»), éclaire bien le propos des auteurs. Il s’agit de se poser la question des jeunes et de la jeunesse, de construire une catégorie historique, en utilisant assez largement les méthodes et références de la sociologie. Les sociologues sont les premiers à s’être posé la question de la construction d’une catégorie «Jeunesse». Pour les historiens, il faut rappeler les travaux pionniers de M. Crubellier (L’Enfance et la jeunesse dans la société française, 1800-1950,1979) et l’ouvrage collectif dirigé par Giovanni Lévi et J.C. Schmitt (Histoire des jeunes en Occident,1996).

«L’histoire, en une large spirale, dresse le portrait de sociétés tour à tour soucieuses, malades, riches, entichées, avides de leur(s) jeunesse(s) ; elle fait aussi découvrir les impensés d’une catégorie à la fois banale et ondoyante – âge biologique, classe, ressource nationale, groupe culturel, animateur social, cible de l’action publique, thème littéraire ou cinématographique, argument publicitaire, etc.», remarque I. Jablonka (p.294). Les chercheurs réunis ici présentent des aspects divers de la jeunesse en France, sur deux siècles, d’une jeunesse qui s’autonomise et s’affirme tandis que se constitue progressivement une identité juvénile.

Jean-François Sirinelli, professeur des Universités à l’IEP de Paris et directeur du Centre d’histoire de Sciences-Po, dont la thèse, Génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, publiée en 1988, était déjà une approche de la jeunesse, signe la préface. Ludivine Bantigny et Ivan Jablonka ont réuni 17 spécialistes (dont plusieurs étrangers, les travaux scientifiques de chacun sont indiqués en fin de volume) pour envisager ces divers aspects des jeunes entre le XIXe et le début du XXIe siècle en France. Les deux maîtres-d’œuvre de l’ouvrage sont l’un et l’autre anciens élèves de l’Ecole normale Supérieure et maîtres de conférences en histoire contemporaine (à Rouen et à l’Université du Maine).Ils participent à plusieurs revues (Vingtième siècle, histoire@politique entre autres) et Ivan Jablonka est par ailleurs rédacteur en chef du site laviedesidées.fr. Ils appartiennent à une génération de chercheurs en histoire très formée à la pluridisciplinarité et ouverte aux influences de la sociologie. On peut ainsi voir dans cet ouvrage collectif le manifeste d’une génération de chercheurs qui appellent à renouveler les sources et leurs lectures. Ouvrage universitaire, le livre en a les qualités et les exigences : notes de bas de page abondantes, rigueur. Une bibliographie en fin de volume complète l’ensemble.

Le choix est de parcourir deux siècles d’histoire française pour analyser les grands traits d’une jeunesse en construction, et d’aller résolument jusqu'à nos jours, dans une lecture d’histoire du temps présent. Le plan est donc chronologique : Première partie : «Naissance de la jeunesse contemporaine (XIXe-début du XXe siècle)» ; Deuxième partie : «De la jeunesse aux jeunes (D’un après guerre à l’autre)» ; Troisième partie : «Vers une identité juvénile ?(Des années 1960 à nos jours)».

Ouvrage collectif, il a les qualités et les défauts du genre. Il reprend des communications du séminaire du groupe de travail «Jeunes et jeunesse(s), objets d’histoire» tenu au Centre d’histoire de Sciences-Po Paris depuis 2004. En revanche, on peut regretter des silences (qui tiennent au parti pris adopté : il ne s’agit pas de faire une synthèse définitive, mais de donner des éclairages qui répondent aux recherches en cours) : presque rien sur l’entre-deux-guerres, période pourtant fondatrice dans le domaine de la prise de conscience des jeunesses ; très peu de réflexion également sur les différences filles/garçons ; après tout la mixité n’est qu’une habitude récente (dans les années 1960) mais il y a des univers féminins de la jeunesse qui auraient pu être davantage explorés. Deux articles seulement sur les jeunesses féminines (Christine Bard, «Jeunesse de la garçonne» et Richard Ivan Jobs, «Travailleuses familiales et fées du logis. Les jeunes femmes comme agents de modernisation dans la France de l’après guerre»), mais pas grand chose sur les relations entre filles et garçons et ce qui se modifie rapidement dans les années 60 (en dehors de la sexualité, sur laquelle porte l’article de Michel Bozon, pp.225-245). Il y aurait peut-être là des pistes à ouvrir. On pouvait aussi attendre, espérer, davantage de réflexion sur les comportements politiques. Certes le sujet a déjà été travaillé, mais le sous-titre du livre est quand même Histoire des jeunes en France XIXe-XXIe siècle.

Ludivine Bantigny ouvre la réflexion avec un texte bien documenté et stimulant, cité plus haut. Elle retrace de façon claire et efficace l’historiographie de la jeunesse. Elle montre aussi tous les regards et sentiments ambivalents que suscite la jeunesse : de l’engouement à la peur, de l’enthousiasme à l’intolérance, d’une jeunesse parée de toutes les vertus à une jeunesse stigmatisée.

D’un siècle à l’autre, des questions se renouvellent, reviennent en écho : la question militaire (articles d’Annie Crépin et Odile Roynette, «Jeunes hommes, jeunesse et service militaire au XIXe siècle», de Christophe Gracieux, «Jeunesse et service militaire en France dans les années 1960 et 1070. Le déclin d’un rite de passage») ; la délinquance (Jean-Jacques Yvorel, «L’invention de la délinquance juvénile ou la naissance d’un nouveau problème social», Sarah Fishman, «Vichy et la délinquance juvénile. Changements législatifs et institutionnels»).

La troisième partie est sans doute la plus stimulante, en particulier les contributions de Gérard Mauger («Les styles de vie des jeunes des classes populaires (1975-2000)»), Richard Derderian («La mobilisation des jeunes Maghrébins en France») et Ivan Jablonka («Le nom des jeunes sans nom»).Peut-être parce que c’est là que les approches théoriques sont les plus neuves. Un des intérêts - entre autres - de ce recueil est de montrer le renouvellement des approches historiques sur le sujet. Mais c’est ici également que l’histoire se confond le plus avec la sociologie, les historiens revendiquent d’ailleurs l’utilisation d’enquêtes sociologiques comme sources : Michel Bozon se livre à un «plaidoyer pour un usage critique des enquêtes sociologiques par les historiens du contemporain» (L’histoire se réintroduit ainsi en discipline fédératrice des sciences humaines) : «L’apport et la sensibilité des historiens pourraient être admirablement employés dans l’analyse critique des instruments de recherche : ainsi les questionnaires, les catégories utilisées et les protocoles sont-ils de véritables objets culturels et historiques, à traiter en premier lieu comme tels (...) Par ailleurs les historiens pourraient se lancer dans des analyses secondaires des matériaux d’enquête, avec une focalisation sur les générations et les groupes sociaux» (pp.227-228).

Jeunesse oblige, le titre rappelle, entre autres références,le film de Robert Hamer Noblesse oblige, dans lequel Alec Guinness jouait huit rôles différents ; et l'on retrouve au fil des pages ces rôles multiples de la jeunesse ou des jeunesses : jeunes conscrits, jeunes étudiants, jeunes filles des années 20, jeunesses bourgeoises, ouvrières, rurales, maghrébines, jeunes des cités ou jeunes «sans nom»…

Finalement, la jeunesse existe-t-elle ? Pierre Bourdieu disait : «la jeunesse n’est qu’un mot» ; la lecture de ce travail collectif montre qu’elle résulte essentiellement d’un regard : celui que les plus âgés portent sur elle ; regard qui reflète les espoirs et les inquiétudes de la société qui tour à tour construit une jeunesse délinquante ou enthousiaste, une jeunesse miroir de toutes les attentes. Les tendances fortes sont indéniables : l’allongement de la jeunesse, lié aux grandes lignes de l’évolution démographique, son extension aux différentes catégories sociales ; naguère luxe des élites, la jeunesse est désormais partagée par tous les milieux mais de fortes différences subsistent cependant.

En conclusion : un recueil stimulant, qui donne une bonne idée de la vitalité actuelle de l’histoire culturelle, particulièrement bien représentée ici chez ces jeunes historiens. Un ouvrage qui pose un état des lieux sur le sujet, appuyé sur une abondante bibliographie. Au-delà du public universitaire d’historiens et de sociologues, Jeunesse oblige devrait intéresser un large public dans une France qui, aujourd’hui plus que jamais, se pose la question brûlante de sa jeunesse au double miroir d’une crise qui s’installe et de la nostalgie «jeuniste» des baby-boomers vieillissants.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 17/03/2009 )
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