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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Georges Darien L'Ennemi du peuple L'Âge d'homme - Le Livre carabine 2009 / 17 € - 111.35 ffr. / 186 pages ISBN : 978-2-8251-3864-9 FORMAT : 15,5cm x 22,5cm
Préface de Jean-Pierre Bouyxou ; annotations de Gérard Guégan. Imprimer
Un écrivain ? Un pamphlétaire ? Il naurait en effet été que cela si une haine surhumaine du Riche ne lavait enflammé à chaque fois quil semparait de la plume. Peut-être serait-il plus juste de comparer Darien à un volcan dont la coulée de lave verbale emportait tout sur son passage. On connaissait, grâce au volume publié en 1994 chez Omnibus, ses féroces diatribes romanesques : Biribi, La Belle France ou Le Voleur, à propos duquel on sinterroge encore de savoir sil sagit ou non dune autobiographie maquillée
Puis, il y a les innombrables articles issus de la presse anarchiste. LÂge dhomme nous offre de redécouvrir lintégralité de ceux qui figurèrent dans les colonnes de LEnnemi du Peuple. Dirigée par Émile Janvion, cette feuille bimensuelle accueillit, daoût 1903 à octobre 1904, des collaborateurs éclectiques tels Zo dAxa, Lucien Descaves, Urbain Gohier, Élie Faure, Jehan Rictus ou Jules Laforgue. Darien, qui avait suggéré le nom du journal à Janvion en référence à la célèbre pièce dIbsen, y tint chronique, soit pour développer ses idées (ou faudrait-il dire ses impulsions réflexives ?), soit pour réagir à lactualité la plus brûlante.
Le recueil ne se présente pas selon lordre chronologique, mais thématique. Ainsi souvre-t-il sur la série en neuf livraisons de La Terre et lArmée, dans laquelle Darien assène une critique radicale de limpôt, de la question de la propriété du sol et du militarisme. Sur ce sujet, lavis de Darien ménage dailleurs des surprises. Car cet indécrottable anar nhésite pas à déclarer larmée nécessaire, sinon indispensable. Une position à ce point dissonante par rapport au courant libertaire sexplique par le fait que Darien na jamais prêté foi à une quelconque «révolution tranquille». Daprès lui, larmée, constituée à la base de bons citoyens bernés par la République, se doit de rejoindre les insurgés, voire de prendre la tête du mouvement qui renverserait la pyramide des Possédants et des Possédés. «Il faut tuer», déclare-t-il, sans ambages. «Il faut rendre le mal pour le mal ; et le rendre avec usure. Cest le seul moyen de supprimer les malfaiteurs. Si lon veut quune chose cesse dexister, il faut la détruire. Et si des hommes veulent défendre cette chose-là, il faut tuer ces hommes-là». Jusquau-boutiste, Darien ? Oui. Hérétique au sein de sa famille idéologique ? Plus encore ! Il dénonce lattentisme de ses congénères et réévalue le sens même du mot «anarchisme». Il est sans doute également lun des premiers à oser affirmer la part de religiosité qui sous-tend ladhésion au corpus doctrinaire du libertarisme, quil identifie à laboutissement extrême du libéralisme.
Dans un long texte de septembre-octobre 1904, Darien sappuie sur Kant et démonte la traditionnelle antithèse Liberté-Autorité. «Ce nest pas lAutorité qui est opposée à la Liberté ; cest la Socialité. [
] Lanarchisme répond : Il faut supprimer lautorité. Ah ! bah !... Et puis ? Et puis des sociétés futures à botte que veux-tu ? des traités de morale paralytique, des rengaines, un «fais ce que veux» volé à Rabelais [
], des sentences pillées à droite et à gauche et mises bout à bout tant bien que mal ! et justice, prise au tas, moralité, travail forcé, bonne volonté, abstention obligatoire, liberté absolue, organisation, individualisme altruisme, bonheur et franc-maçonnerie
Une pleine échoppée des bottes éculées de tous les systèmes défunts. [
] Tout ce quil faut pour imposer à lhomme, lorsquil se réveillera enfin, de nouveaux sommeils peuplés de fantômes, de nouveaux cauchemars moraux.» Fulminations et constats lucides : le mélange est détonant. Darien invente le cocktail Molotov à lencre.
Un conseil simpose. Le livre ouvert, rendez-vous directement à la page 23, car lavant-propos ne permet guère de saisir la puissance visionnaire et la saine dissidence affichée par Darien. Cette mise en bouche aurait même tendance à décourager de sa fréquentation. Jean-Pierre Bouyxou sattache, dans une langue insupportablement truffée dargot désuet et artificiel, à y souligner tous les vices cachés du personnage. À partir dune phrase et dune rumeur Darien aurait pensé à servir de nègre au Drumont de La France juive, ce qui nest nullement attesté dans lexcellente biographie de lantisémite viscéral signée Grégoire Kauffmann voilà notre Vésuve chapeauté du couvercle hermétique de la terrible suspicion
Et puis, Darien admirait le catho-mystique Bloy, il nétait pas si pauvre quon pouvait lespérer, etc. Suit une énumération manifestaire, sans grand lien avec le sujet ; un sous-Siné qui ânonnerait «À bas la calotte !» et «Popu-Roi !» sous un drapeau noir effrangé. On se plaît à imaginer la lettre quaurait pu adresser Darien à un tel préfacier.
Courons plutôt lire les réflexions que lui inspirent les méfaits de labstentionnisme ou lamour libre, laccueil sarcastique de LHumanité de Jaurès ou les passages iconoclastes et désopilants consacrés à Saint Tolstoï. Là, on verra à luvre un authentique entrepreneur en démolition. À lentrée du chantier, une pancarte met les Canailles en garde : «Si vis pacem
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Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/04/2009 ) Imprimer
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