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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Sexe, sang, argent et pouvoir à la fin de la monarchie de Juillet | | | Anne Martin-Fugier Une nymphomane vertueuse - L'assassinat de la duchesse de Choiseul-Praslin Fayard 2009 / 19 € - 124.45 ffr. / 176 pages ISBN : 978-2-213-63840-9 FORMAT : 13,5cm x 20,5cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe vient de soutenir une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines dune mémoire nationale». Il a publié LEurope de François Guizot (Privat, 2002). Imprimer
Le 18 août 1847, le duc de Choiseul-Praslin assassine sauvagement sa femme, avant de se suicider et de trouver la mort quelques jours plus tard. Le scandale qui en résulte est considérable. Lassassin est pair de France, et, tout comme sa femme, apparenté aux élites dirigeantes et aux milieux curiaux de la monarchie de Juillet.
Lenquête est dans un premier temps confiée à la Chambre des pairs, puis à la justice ordinaire après le décès du duc. Elle porte alors sur la possible complicité de la gouvernante, Henriette Deluzy, dans la préparation du crime. Linstruction dévoile nombre déléments souvent publiés très rapidement. Avide de faits divers, la nouvelle presse industrielle, notamment, cherche en effet à attirer un lectorat peu politisé (Christophe Charle, Le Siècle de la presse (1830-1939), 2004). Les journaux mettent à nu les rapports intimes entre les deux époux. La publication des lettres de la duchesse révèle les besoins sexuels dune femme délaissée dont le corps porte les stigmates de dix grossesses successives. Ces lettres expriment aussi une jalousie nourrie par les rapports troubles entre le mari et la gouvernante de leurs enfants. Différents témoignages indiquent par ailleurs le poids des questions dargent dans les relations de ce couple mal assorti. Ce dévoilement des murs de la plus haute société accentue le discrédit moral qui pèse sur les classes dirigeantes. Déjà ébranlées le mois précédent par la condamnation pour corruption de deux pairs de France, anciens ministres, Cubière et Teste, elles sont également frappées de plein fouet à lautomne par le suicide de lambassadeur français à Naples et la crise de folie dun autre pair de France, le comte Mortier, qui a été sur le point dégorger ses propres enfants. Lexploitation de ces faits divers par la presse dopposition a alimenté «un mépris tranquille» selon la formule de Tocqueville du peuple pour ses élites dirigeantes, qui est lun des signes annonciateurs de la révolution de Février.
Cest à un retour sur cet épisode des derniers mois du règne de Louis-Philippe que nous invite Anne Martin-Fugier. Cette spécialiste du premier XIXe siècle, romancière occasionnelle, délaisse pour loccasion les rigueurs des études universitaires. Une nymphomane vertueuse se présente sous la forme dun récit situé aux frontières de la fiction et de lhistoire. Le texte est pour lessentiel composé de citations non référencées. Elles sont empruntées aux dossiers de lenquête judiciaire, aux articles dépoque, à la correspondance dhommes politiques comme Guizot et aux mémoires ou journaux de contemporains comme Charles de Rémusat. Cependant, les différents témoignages sont souvent placés dans la bouche des domestiques du couple Choiseul-Praslin, et lutile présentation, des «personnages» au début de louvrage, fait songer à un texte de théâtre.
La forme choisie propose ainsi une mise en abîme du voyeurisme que suscite lépisode en 1847, tout en facilitant une lecture agréable. Ce court récit propose donc une approche originale des milieux politiques et curiaux de la fin de la monarchie de Juillet, tout en nous livrant au passage une série dindications précises sur la vie quotidienne de la bonne société, et notamment des femmes, celle des domestiques ou celle des milieux artistiques du premier XIXe siècle. Louvrage constitue ainsi une invitation à lire ou relire les ouvrages plus académiques quAnne Martin-Fugier a consacrés à ces divers sujets, à commencer par La Vie élégante ou la formation du Tout-Paris, 1815-1848, ou certaines des sources sur lesquelles lauteure sappuie et qui ont fait lobjet de rééditions récentes, à linstar des Mémoires de la comtesse de Boigne, maîtresse du vieux président de la Chambre des pairs, le chancelier Pasquier, ou de Choses vues de Victor Hugo.
Pierre Triomphe ( Mis en ligne le 06/05/2009 ) Imprimer
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