| Jean-Marie Goulemot Pour l'amour de Staline - La face oubliée du communisme français CNRS éditions - CNRS Histoire 2009 / 10 € - 65.5 ffr. / 377 pages ISBN : 978-2-271-06713-5 FORMAT : 12cm x 19cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Constat : «Les temps sont proches où plus personne ne saura que le stalinisme français a été une réalité» (p.11). Il existe quelques vérités désormais admises sur le communisme et notamment sur sa nature totalitaire, largement mise en lumière au temps du stalinisme. Certes, en ce domaine, laveuglement des militants ne lasse pas détonner et dinterroger : comment des esprits qui professaient un sens critique aussi rude à légard de leur société et de leurs gouvernants, ont-ils pu se laisser fasciner par la phraséologie creuse du dictateur ? Le vertige davoir enfin, à portée de main, un «sens» pour lhistoire sans doute ? En tous les cas, cette dévotion sectaire sest traduite par des discours, des pratiques qui, il faut lespérer, doivent sembler rétrospectivement grotesques et déplacés (mais la nostalgie, en ce domaine, est un puissant anesthésiant). Des discours et des pratiques devenus tout à la fois objet dhistoire et de curiosité.
Quest-ce qui peut pousser un éminent spécialiste du XVIIIe siècle et des Lumières comme Jean-Marie Goulemot, professeur à luniversité de Tours, à saventurer dans les contrées les plus obscures, les plus délirantes de la raison politique ? Pourquoi un proche au sens universitaire du terme des encyclopédistes et de Voltaire sengage-t-il dans une réflexion sur le totalitarisme, le culte de la personnalité et le modèle stalinien ? A ces questions, finalement peu de réponses, si ce nest une enfance imprégnée de cette culture politique, des souvenirs développés dans une introduction en forme dego-histoire. Mais louvrage qui en sort, dans un format de poche très accessible, est empreint dune ironie toute voltairienne à légard des hommes qui, au nom de la raison historique, ont redonné à lobscurantisme une place de choix dans la politique, et fait de la «boursouflure» (du langage, du culte) un mode de communication.
Du culte de la personnalité donc : louvrage nentend pas retracer, par le menu, les divers aspects du culte stalinien. J.-M. Goulemot sintéresse aux Français et choisit comme terrain délection le 70ème anniversaire de Staline, le 50eme anniversaire de Maurice Thorez dirigeant historique du PCF et «meilleur stalinien de France» - ainsi que le temps passe la mort de Staline. Et là, on retrouve lhistorien moderniste, qui connaît limportance des rituels politiques (comme les funérailles) dans la manifestation de la souveraineté et la sacralité du pouvoir. Quécrit-on, alors, à lhomme «le plus admiré du monde actuel» ? Que lui envoie-t-on comme cadeau ? Comment sorganise la célébration ? A quels codes obéit-elle ? Selon quels rythmes et avec quelle ampleur ? Au final : est-ce un rituel politique qui se dégage, aux allures dimprovisation enthousiaste ?
Alternant létude quantitative et qualitative, lauteur fait un tableau impressionniste, et pose la question, inquiétante, dune possible compulsion des Français, liée à leur éducation politique au temps de la IIIe République. Un lien - esquissé entre un passé national et une idéologie internationale - qui est repris dans trois textes placés en annexe, revenant non pas sur les individus, mais sur lévénement la Révolution française et sa commémoration, les Lumières au prisme du militantisme. Encore une fois, les résurgences actuelles (sur le mode «à qui appartient le label, et la mémoire, des Voltaire, Jaurès, Blum
?») apparaissent, soulignant dun trait fin les vacuités de notre actualité politique.
Paru il y a 27 ans, louvrage se laisse toujours lire, à la fois comme une réflexion historique sur «le passé dune illusion» (pour reprendre lexpression de F. Furet), mais également, par éclats, comme un point de vue éclairé sur la vie politique et ses modes. Certes, le paysage politique a évolué et le PCF est désormais dans les limbes de la politique
mais les pratiques dadulation de lhomme de pouvoir, du «sauveur» subsistent, ô combien, dans une opinion publique toujours fascinée par le césarisme (il suffit de voir comment le pouvoir actuel se met en scène). Empreint dune ironie discrète, mais efficace, le texte se laisse lire, alternative écrite au célèbre documentaire Mémoires dex
La nation reconnaissante est toujours en quête de son grand homme
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 25/08/2009 ) Imprimer | | |