| Yannick Simon Composer sous Vichy Symétries 2009 / 24 € - 157.2 ffr. / 424 pages ISBN : 978-2-91437-357-9 Imprimer
On ne compte plus les études sur la collaboration littéraire, lantisémitisme de plume, lhonneur ou le déshonneur des poètes, tandis que lattitude des musiciens français sous lOccupation na guère fait lobjet danalyses approfondies, si ce nest louvrage collectif La Vie musicale sous Vichy (Complexe, 2001). Quant aux biographies de compositeurs, elles se piquent rarement dexactitude sur les années noires, à tel point que Yannick Simon se paie le luxe, dans ce livre quétaye une impressionnante documentation, de rédiger pour Honegger, Messiaen et Jolivet les chapitres précis que leurs biographes avaient édulcorés.
Il est vrai que la nocivité dune symphonie reste à prouver, tandis que lefficacité dun pamphlet de Céline, dun écrit clandestin de Vercors, ne se discute pas. À telle enseigne que si lun des premiers soucis de loccupant fut de mettre au pas les revues littéraires et de dresser la liste des écrivains proscrits, il ne disposait en revanche que dun très lacunaire Lexikon der Juden in der Musik, de surcroît entaché derreurs. Francis Poulenc, qui, seul parmi ses pairs, mit en musique les vers dEluard et Aragon en 1943, a ainsi résumé la situation dans une lettre à Darius Milhaud : «Dans le domaine musical, ces messieurs verts ont été moins atroces que pour les écrivains et relativement on a fait ce quon a voulu.» On ne sexplique que mieux lattention médiocre accordée aux compositeurs par Vichy, et le peu de zèle, malgré le lobbying de quelques croisés, quil mit à promouvoir luvre de Vincent dIndy, le plus antisémite et le plus wagnérien des compositeurs français. Même la figure de Jeanne dArc est abandonnée à de jeunes compositeurs qui nen font pas toujours lusage étroitement pétainiste quon pourrait craindre.
Nous nentrerons pas dans les détails dun livre déjà irremplaçable, qui sattache à la fois à décrire la politique musicale de Vichy et les parcours individuels de musiciens qui, lorsquils furent indignes, létaient de leur propre chef, non sous la pression. Cest, du reste, la spécificité de cette corporation : plutôt libres dexercer, assez bien lotis pour ne pas se dénoncer, les compositeurs nen sont que plus responsables de leurs choix. Dans lensemble, «la résistance molle fait écho à un maréchalisme timoré», et les plus compromis nuisent surtout à leur propre réputation. Pour un Florent Schmitt, militant zélé du rapprochement franco-allemand au sein de la section musicale du groupe Collaboration, qui fait le voyage à Vienne pour célébrer le 150e anniversaire de Mozart, «pèlerinage encore plus nazi que mozartien» selon Rebatet ; pour un René Dommange, directeur ouvertement collabo des éditions Durand ; pour un Jean Martinon, auteur de la musique du fameux documentaire antijuif Forces occultes ; pour un Jean Françaix, qui fait obséquieusement allégeance à Pétain ; pour un Max dOllone, qui cesse carrément de composer pour tresser des lauriers à Wagner et Hitler ; pour tous ceux-là, combien de musiciens qui ne pensent pas à prendre parti et sécoutent les uns les autres sans se soucier un instant des clivages idéologiques. Bref, on compose
Même la musique de Milhaud, qui na pas attendu le Statut des Juifs pour quitter la France, nest pas interdite sur les ondes nationales, mais «limitée au plus strict nécessaire», et rares sont les musicologues à rayer son nom des histoires de la musique. De même, la SACEM met peu dentrain à appliquer les mesures restrictives préconisées par le Commissariat général aux questions juives. On multiplierait les exemples de ces négligences.
Reste le cas paradoxal dArthur Honegger, jugé «non souhaitable» outre-Rhin avant 1939, lun des premiers membres du Front national de la musique, qui fait pourtant le voyage à Vienne, se passionne pour la création contemporaine allemande, donne à Comdia des chroniques dune grande liberté de ton, quoique «assez foireuses» selon Poulenc, et dont la posture orgueilleuse fait ici lobjet dune passionnante étude. Plus simple serait le cas de Messiaen, qui ne fait guère de difficulté pour occuper la chaire dharmonie au Conservatoire de Paris, laissée vacante par un André Bloch contraint et forcé par la législation antijuive, sil nétait aussi lauteur des saisissantes Visions de lAmen, créées sous lOccupation, et du Chant des déportés donné à Chaillot en 1945. En réalité, malgré la controverse homérique sur la «notation Obouhow» (qui prétendait notamment supprimer les dièses et les bémols), cest le débat esthétique qui souffre le plus de lattentisme général. La rupture nen sera que plus franche, en 1945, et plus violentes les admonestations du jeune Boulez, dont léclat sert de conclusion à ce riche tableau de la vie musicale sous lOccupation, dont le seul défaut est parfois de se redire.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 24/11/2009 ) Imprimer
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