| Jean Rounault Mon ami Vassia - Souvenirs du Donetz Le Bruit du temps 2009 / 24 € - 157.2 ffr. / 477 pages ISBN : 978-2-358-73009-9 FORMAT : 13,7cm x 20,6cm
Préface de Gabriel Marcel. Postface de Jean-Louis Panné Imprimer
Se souvient-on de La 25ème heure ? Ce roman du Roumain Virgil Gheorghiu avait connu un regain de succès grâce au beau film interprété par Anthony Quinn. Cette vingt-cinquième heure, cest celle où le monde bascule dans un fracas extraordinaire et épouvantable et où chacun se retrouve face à son destin. Elle sonna à lest de lEurope, vers le premier tiers du siècle dernier. La-t-on déjà oublié ? Mais savions-nous vraiment, braves gens de loccident mal remis de 1914-1918, ce qui sest passé «là-bas» ? Bien sûr que non. Laffreuse réalité avait dépassé la terrible fiction. Louragan a tout emporté sur son passage, pas une vie, pas un destin ne fut épargné quand sonna cette heure hors du temps et de lhistoire.
Pardon de ce préambule, un peu mélodramatique, mais, il nous est apparu nécessaire pour rendre compte de lémotion que lon peut éprouver à la lecture de ce livre paru, pour la première fois, en 1949. Laventure de Rainer Samuel Biemel, devenu pour loccasion, dans le camp n°1022, Jean Rounault, est bien celle du héros de La 25ème heure.
Ce Roumain germanophone, un de ces Allemands de Transylvanie, originaire du Luxembourg, part en France pour ses études de philosophie. Sympathisant communiste, il rêve dune Transylvanie bolchevique. La lecture de Gide a raison de ses premières certitudes, et ce militant antinazi ne cessera plus de critiquer la patrie du communisme. La guerre le surprend à Paris, la Gestapo sintéresse à ce germanophone qui connait si bien les milieux intellectuels parisiens antifascistes. Il se réfugie en zone libre. En 1941, la Roumanie est en guerre contre lURSS. Mobilisé, Biemel ne se soustrait pas à lappel. Traducteur au ministère de la propagande, il fait passer des prisonniers de guerre français évadés vers la Turquie. 1944, Bucarest est bombardée, les troupes soviétiques envahissent le pays qui passe sous la coupe du Parti communiste. LURSS a besoin de mains duvre, 60 000 Roumains sont immédiatement «réquisitionnés». Membre dune minorité ethnique suspecte, Biemel est arrêté par le NKVD, malgré la protection de Jean Mouton, directeur de linstitut français ; «A tout à lheure !», lui lance ce dernier persuadé davoir gain de cause.
Commence alors le chemin vers les camps soviétiques. Biemel devient Jean Rounault. «Renault», la voiture française, est adopté par ses compagnons dinfortunes comme surnom pour ce Français de culture, Roumain de naissance, Luxembourgeois dorigine et Allemands par décision. Rounault est bien à limage de ce peuple multinational de déportés, «une Tour de Babel», que les trains emmènent vers lest.
Le récit commence. Après le train, cest le camp, Makeevka, à 12 kilomètres de Stalino, dans le Dombass, le pays des mines de charbon. Le style est vif, clair, bien accroché à un quotidien de misère. La soupe du matin, cest de leau. Malheur à ceux qui ne sont pas ouvriers de profession, journalistes, enseignants, «commerçants» ; pour eux, cest le «travail noir», le fond de la mine. Rounault se présente comme électromécanicien et prend ainsi la direction de latelier de jour. La faim, la fatigue, tout cela le déporté le subit à chaque minute de son existence. Mais le récit ne sarrête pas sur la souffrance et le désespoir ; au contraire, un peu à la manière dont le racontera Soljenitsyne, Rounault parle de cette survie faite de rencontres, de petits moments de bonheur qui saccrochent malgré la détresse «intérieure». De celle-là, le lecteur en saura peu. Le récit de la vie au camp est une succession de petites histoires qui rythment un séjour dont nul ne peut prévoir la fin. Les portraits sont aussi surprenants quattachants, comme celui de cet aristocrate allemand, le baron Winterfeld, désabusé par un monde quil a vu deux fois sécrouler. Et lon croise un pope, une jeune femme gardienne du camp, embarrassée par son fusil, un ingénieur autrichien. Chacun se débrouille, rapine, esquive les corvées, trafique. La connivence fait partie de larsenal de survie, rarement lamitié.
Mais cest la mort qui est la grande absente du livre. Quand elle fait subrepticement son apparition, cest déjà un cadavre que lon enlève. Ici, pas dexécutions ou de tortures publiques. Au camp de Makeevka, le NKVD nextermine pas les prisonniers, il les fait travailler. Mais le typhus rode ; la faim, le froid, les blessures au travail et la fatigue épuisent définitivement les corps. De temps à autre, au détour dune phrase, la mort prématurée dun des protagonistes survient et clôture lépisode.
Mon ami Vassia est un livre pudique, qui ne sarrête pas sur les stigmates de lenfer concentrationnaire. Au contraire, le témoignage de Jean Rounault est dautant plus pénétrant quil enveloppe le lecteur dans une torpeur douceâtre doù le voyeurisme est banni. Mais, surtout, cest la frontière entre lextérieur et le camp qui semble sestomper, celles entre les déportés et le peuple soviétique. Cest à ce moment que le récit devient inquiétant. Une terrible menace plane sur toute une population, mélange de prisonniers, de suspects, de déracinés qui se retrouvent au fond de la mine ou à chercher pitance autour du marché du village. Et partout, le NKVD organise avec ses sentinelles, ses officiers et son administration, la vie de Makeevka. Au final, grâce à lintervention de lInstitut français de Bucarest, Jean Renault Rounault est libéré. La plupart de ses codétenus resteront cinq ans à Makeevka, 15 à 20 % dentre eux y laisseront la vie.
A Bucarest, puis, enfin, à Paris une autre existence commence. Gabriel Marcel lui propose de raconter son histoire au camp. Ici le récit sest déjà arrêté. Mais il faut lire lexcellente et importante postface que Jean-Louis Panné consacre à la genèse et à la réception de louvrage. Le climat politique et intellectuel français nétait pas propice à parler des camps soviétiques. Cest un nouveau combat que mène alors Jean Rounault qui est ici rapporté avec un grand souci du détail et une remarquable finesse dans lanalyse.
Pascal Cauchy ( Mis en ligne le 23/02/2010 ) Imprimer | | |