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Histoire de la «langue mordante»
Thomas Bouchet   Noms d'oiseaux - L'insulte en politique de la Restauration à nos jours
Stock 2010 /  19.50 € - 127.73 ffr. / 302 pages
ISBN : 978-2-234-06313-6
FORMAT : 12,5cm x 18,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.
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«La violence, écrivait naguère Ellul, est une incrédulité dans les mots». Avant d’en arriver à cette extrémité, l’opposition politique prend souvent la forme d’un débat contradictoire. Les ressources mobilisables par les orateurs sont, dans cette perspective, fort nombreuses. L’art de convaincre diffère, par exemple, de celui de persuader. Certes s’agit-il, à chaque fois, de se ménager l’adhésion d’autrui, mais le chemin emprunté est différent selon que l'on s'évertue à convaincre ou à persuader. Dans le premier cas, la démarche est rationnelle, socratique. C'est par le truchement d'un raisonnement étayé par des preuves que l'on amène autrui à se rallier à un point de vue. La persuasion, au contraire, pousse autrui à croire ce que l'on veut lui faire croire en jouant sur sa sensibilité et son imagination. On fait alors fi de la raison.

Au même titre que la violence physique, la persuasion ou le débat rationnel, l’insulte constitue une arme politique. C’est d’ailleurs le sujet du livre Noms d’oiseaux, L’insulte en politique de la Restauration à nos jours de Thomas Bouchet, fruit d’un colloque de l’université de Bourgogne. Agréable à lire, l’ouvrage retrace l’histoire parlementaire hexagonale à travers le prisme de l’invective. De «casse-toi, alors, pauv’con» à «ruraux», en passant par «menteur» et «mao-stalinien», l’histoire de la «langue mordante» (p.288) en politique est très riche. «La pratique, rappelle l’historien, est régulièrement attestée dans un espace public qui a résonné et résonne encore d’assauts verbaux, de noms d’oiseaux désobligeants, dévalorisants, humiliants» (pp.8-9). Si certaines injures traversent les âges, d’autres se fanent fort vite.

L’intérêt de l’analyse de l’insulte dans le champ de l’histoire parlementaire est d’autant plus grand que l’invective contient davantage que de simples mots. En effet, avance l’auteur, «si certaines formules témoignent d’un réel talent dans l’invention verbale ou tiennent une place notable dans la dynamique d’un conflit, on serait bien en peine d’élaborer un lexique de l’insulte : tout mot peut a priori faire l’affaire s’il s’inscrit dans un contexte favorable». Le processus, écrit Thomas Bouchet, est soumis à divers paramètres, tels que «l’expression des visages, les phrases qui précèdent et suivent la profération» et les «enjeux politiques du moment». Le mécanisme de l’injure est, en outre, «triangulaire». C’est-à-dire que «ce sont (…) les cibles et les tiers qui qualifient l’attaque». Et, naturellement, «les seuils de tolérance sont variables» (p.9). Ils évoluent de concert avec les époques, l’esprit du temps et les mœurs politiques.

Pour en rendre compte, l’essai de Thomas Bouchet nous propose un tour d’horizon des injures politiques depuis la Restauration. Dans un discours prononcé à la tribune de la Chambre des Députés en février 1823, le libéral Manuel s’attire les foudres des royalistes, modérés et ultras, en affirmant que «le moment où les dangers de la famille royale sont devenus plus graves, c’est lorsque la France révolutionnaire a senti qu’elle avait besoin de se défendre par une nouvelle forme, par une énergie toute nouvelle…» (p.22). Ces quelques mots déclenchent, alors, un séisme dans l’hémicycle. De prime abord, l’expression «formes nouvelles» parait assez anodine. Pourtant, elle a contribué à déchaîner les passions et mènera à l’exclusion de l’assemblée de Manuel. En effet, la charge subversive de la formule est évidente : neuf années après la chute de Bonaparte, le «Robespierre à cheval», la Restauration tente d’annihiler chacune des avancées révolutionnaires. La souveraineté n’est plus d’essence nationale, mais appartient au monarque. Il n’est de surcroît plus question de constitution, mais de charte, qui plus est «octroyée» par Louis XVIII. Le «mouvement», dont Manuel est l’une des figures de proue avec son ami le chansonnier Béranger, ambitionne de rétablir les conquêtes politiques et sociales de la Révolution. Pour ce faire, il s’oppose à la «résistance», fondée sur «l’alliance du trône et de l’autel». Replacée dans le contexte, la sortie du député prend tout son sens. Elle soulève «la question des limites du parlementarisme sous la Restauration. L’impact de l’assaut mené contre la monarchie restaurée (…) prouve que la question de la Révolution est extrêmement sensible» (p.35).

L’historien passe ensuite au peigne fin le reste de l’histoire parlementaire hexagonale, des polémiques du Second Empire - comme celle qui a opposé Victor Hugo à «Napoléon le Petit» - aux grandes controverses des républiques suivantes, telles que l’affaire Dreyfus, «Poincaré-la-Guerre», l’introduction de l’interruption volontaire de grossesse et le passé de François Mitterrand pendant l’occupation. L’auteur s’aperçoit, en conclusion, qu’à la suite de maintes évolutions l’insulte s’est aujourd’hui dépolitisée. Désormais médiatisée par le son et l’image, l’insulte politique sort d’autant plus rapidement de l’actualité qu’elle se trouve être «pauvre sur la fond et grossière sur la forme». Elle parait même avoir fuit le parlement, progressivement réduit au rôle de chambre d’enregistrement sous la Ve République. C’est pourquoi «l’étude des noms d’oiseaux d’hémicycle et de leur actuel recul gagnerait à être menée de pair avec d’autres explorations systématiques» (pp.271-288).


Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 30/03/2010 )
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